Trespass (1992)

 

Trespass

(1992)

 

 

A l’origine de ce Trespass, connu chez nous sous le titre Les Pilleurs, il y a un script écrit durant les années 70 par Bob Gale et Robert Zemeckis, duo gagnant en devenir des Retour vers le Futur, à propos de deux types en pleine chasse au trésor dans un bâtiment abandonné qui se retrouvent plongés malgré eux en pleine guerre des gangs. Une intrigue fortement inspirée du Trésor de la Sierra Madre avec Humphrey Bogart, qui troque la mine d’or et les brigands d’autrefois pour un cadre urbain forcément plus moderne. Le scénario reste au placard pendant des dizaines d’années jusqu’à ce qu’un producteur ne le dépoussière et le propose à Walter Hill, alors fraichement sorti de 48 heures de Plus. Le bonhomme accepte et réécrit sensiblement la chose afin de, une fois encore, la rendre plus contemporaine. A l’époque le projet se nomme The Looters et le cinéaste compte en faire un thriller plutôt terre-à-terre qui reprend à son compte certaines méthodes d’alors des malfrats, comme le fait de filmer leur propres crimes.

 

 

L’histoire s’intéresse à deux pompiers qui n’ont pas un rond en poche mais se retrouvent par hasard en possession d’une carte au trésor. Durant l’évacuation d’un immeuble en feu, ils tentent de sauver un vieil homme qui préfère mourir dans les flammes et leur confie des documents faisant référence au pillage d’une église durant les années 40. De précieuses reliques en or pur furent dérobées puis cachées dans ce qui est désormais une usine désaffectée éloignée du centre-ville, n’attendant plus qu’eux pour être récupérées. Voyant là l’occasion de refaire leur vie, les deux amis se rendent sur place, en plein ghetto malfamé, dans l’espoir d’exhumer le magot, mais rien ne va se passer comme prévu. Car au même moment l’endroit est utilisé par de dangereux criminels pour un règlement de compte, et lorsque les compères sont témoins du meurtre, ils sont vite repérés et prit en chasse. Nos héros se retranchent alors dans une pièce sans issue où ils vont être assiégé.

 

 

C’est justement là où se trouve le butin convoité, et le ton va vite monter entre les deux hommes puisque si l’un ne désire que trouver un moyen de s’enfuir pour sauver sa vie, l’autre ne compte pas rentrer les mains vides et devient prêt à tout pour garder son bien, y compris à tuer. Mais chez les truands aussi il y a du grabuges car les sauveteurs ont eu le temps de prendre en otage le petit frère du leader, et devant le refus de leur chef de donner l’assaut, certains commencent à le percevoir comme un faible. Des alliances commencent à se former pour le renverser tandis que le prisonnier, un junkie en manque, se met à avoir des crises de plus en plus graves. Autant dire que la situation va vite s’aggraver, la tension ressentie dans les deux camps poussant chaque protagoniste à faire les mauvais choix… Et ainsi Trespass devient plus une étude de personnages qu’autre chose, puisque ce sont bien ces relations conflictuelles entre les différents protagonistes qui dirigent l’histoire plutôt que l’action (plutôt rare) ou le MacGuffin (vite mis de côté).

 

 

Si explosions et coups de feu il y a, cela n’est pas autant efficace que l’apparition d’une patrouille de police à un moment inopportun ou les tentations douteuses de ce clochard qui pousse les pompiers au meurtre. Prit au piège malgré lui avec les pilleurs, il se dresse d’abord contre eux avant de rejoindre leur bord quand l’or entre en jeu et que sa vie est autant menacée que la leur. Difficile du coup de savoir si ses conseils sont sincères ou s’il manipule ses compagnons afin de se débarrasser de tout ce petit monde en même temps pour mieux fuir avec le butin ! Quant au voyou capturé, ses gardiens doivent lui injecter une dose d’héroïne afin de le maintenir en forme pour parlementer mais tout laisse à croire que l’un d’eux va provoquer une overdose pour l’empêcher d’évoquer le trésor à ses camarades… Bref, le suspense demeure l’atout principale du film malgré la promesse d’affrontements violents et de cascades, et il ne faut pas nécessairement s’attendre à l’actioner bourrin que les producteurs nous on vendu.

 

 

Car hélas pour Walter Hill, la sortie cinéma prévue coïncida avec les émeutes de 1992 à Los Angeles, qui éclatèrent en réaction au passage à tabac de Rodney King. Entre le titre original (The Looters, littéralement “les pilleurs”) et le fait que l’intrigue oppose deux pompiers Blancs à un gang de malfrats Noirs, autant dire que la Universal préféra revoir sa copie plutôt que de se risquer à jeter de l’huile sur le feu. La distribution fut reportée à quelques mois plus tard tandis que la campagne marketing choisi l’angle du banal film d’action afin d’éviter d’alarmer les foules. L’œuvre changea également de nom pour devenir ce moins agressif Trespass, au grand dam du réalisateur qui fut cependant contraint d’accepter étant donner la situation, et la fin fut modifiée suite à une projection-test faite auprès d’un public afro-américain se montrant déçu de voir mourir les deux antagonistes joués par les rappers Ice-T et Ice Cube, alors ultra populaires.

 

 

La nouvelle conclusion est supposément plus ouverte quand au sort de l’un d’eux, qui ne succombe plus devant la caméra et se retrouve simplement blessé, mais le montage de la scène reste discutable puisque l’on peut voir la charpente incendiée du bâtiment s’écrouler là où se trouve le personnage. Du rafistolage peu convaincant en gros, même si la scène d’après à le mérite d’être un poil plus sombre qu’à l’origine: à la place d’y voir deux des héros prendre la fuite pour se rendre à la police, ils se séparent désormais en plein chaos, l’un trompant l’autre pour s’enfuir avec le trésor. Dans tous les cas le résultat reste bien en phase avec les thèmes explorés jusqu’ici et ne détonne pas du reste. Comme quoi des modifications de dernières minutes peuvent être efficace, comme le prouve aussi la musique du film composée par Ry Cooder, qui remplace au dernier moment celle du jazziste John Zorn dont Walter Hill n’apprécia pas le travail. Ses riffs de guitares s’y montrent aussi atmosphérique que dans Sans Retour et nous n’avons probablement rien perdu au change…

 

 

Car d’ambiance il en est sacrément question ici, le cinéaste ayant choisi de ne pas filmer platement les choses. S’inspirant de l’idée que les gangs de l’époque filment leurs propres méfaits sous l’influence de MTV et des vidéoclips, il opte pour une mise en scène nerveuse, pleine de dutch angles, de jeux d’ombre et autres cadrages mettant en valeur l’immense usine désaffectée où se déroule l’action. De quoi épicer un peu un script qui donne la part belle aux personnages, même si cela n’était peut-être pas nécessaire vu l’excellent casting: le regretté Bill Paxton et le toujours génial William Sadler en pompiers pas très finauds mais déterminés, un Ice-T impeccable et carnassier qui prêta quelques uns de ses morceaux de rap au film, dont le thème principal qu’il produisit en duo avec Ice Cube. Et si ce dernier a toujours l’air d’un gros nounours adorable, ce n’est pas souvent qu’il se retrouve dans le rôle d’une véritable ordure.

 

 

Art Evans (58 Minutes pour Vivre, Vampire, Vous Avez dit Vampire ?) oscille parfaitement entre l’innocence et la malfaisance en SDF plus intelligent qu’il n’y parait, et l’amoureux de série B y retrouvera même le colosse Tommy “Tiny” Lister, qui se promène ici avec des crampons-rasoirs sous ses chaussures. Autant de talent au service d’un script efficace ne garanti malheureusement pas le succès, et Trespass fut un échec au box office. Désormais oublié de tous, il n’en demeure pas moins un avatar très recommandable de la hoodsploitation, et s’il n’est qu’un film anecdotique dans la prestigieuse carrière de son réalisateur, il fonctionne toujours à merveille mériterait vraiment d’être redécouvert.

 

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