Summer of ʽ84 (2018)

 

Summer of ʽ84

(2018)

 

“Vaginas are magical !

 

 

L’été touche à sa fin, aussi voilà l’occasion parfaite pour parler de Summer of ʽ84, un film qui se déroule trente-quatre ans dans le passé. Je le sais bien puisque c’était mon anniversaire ce mois d’Août. Quoiqu’il en soit, étant donné le paysage cinématographique actuel, ce titre suffit à exposer les intentions des responsables: jouer sur la nostalgie du public pour les Eighties et ainsi capitaliser sur le succès fulgurant de Stranger Things et du nouveau Ça. L’intrigue s’intéresse ainsi à l’aventure dangereuse vécue par une bande de garçons qui n’ont ni Internet, ni Xbox, ni iPhones pour passer le temps. Des jeunes évidemment intéressés par les films d’horreur et les comics, se déplaçant constamment en VTT dans un suburb de carte postale. Une imagerie qui provient évidemment de classiques comme E.T. et Les Goonies, déjà bien pillés ces derniers temps par une mode ciblant un public Geek qui commence doucement à vieillir. C’était aussi Explorers, Monster Squad, Stand By Me, Eerie, Indiana et même Super 8, s’il fallait évoquer un copieur qui a fini par lui aussi prendre de l’âge. Des œuvres cultes et révérées dont la formule est finalement très simple à copier…

 

 

Certainement pas un challenge pour le trio de réalisateurs derrière Summer of ’84, le collectif Roadkill Superstar (RKSS) qui nous vient du Québec. Ce sont Anouk & Yoann-Karl Whissell et François Simard, les coupables de Turbo Kid ! L’hommage à la génération VHS et au cinéma d’exploitation, ils n’ont jamais cessé de le faire comme l’attestent leurs nombreux courts-métrages et fausses bandes-annonces (Le Bagman, Demonitron: La Sixième Dimension, les Ninja Eliminator). Du coup, forcément, ils baignent dans la culture 80s nécessaire au projet: leurs héros conversent par Talkie Walkie depuis leurs chambres, se disputent à propos des Ewoks dans Le Retour du Jedi et ont des autocollants d’extraterrestres sur leurs vélos. Une ColecoVision vient faire coucou tandis qu’une séquence d’espionnage implique de vieux jouets G.I. Joe. Pour autant, le film ne déborde pas de références ni de visuels trafiqués pour glorifier les années 80. Bien au contraire, et en phase avec le sujet, ils ont mis la pédales douces sur toutes ces choses afin de garder un certain sens de réalisme et ne pas empiéter sur l’intrigue. Une première pour eux !

 

 

La raison en est le scénario, sur lequel ils n’ont pas travaillé et qui est signé par deux Américains totalement débutant dans l’industrie. Leur histoire ne traite ni du surnaturel, ni de la science-fiction, et s’apparente finalement beaucoup plus au The ʽBurbs de Joe Dante par son sujet (le nom du personnage de Tom Hanks est justement recyclé ici), et aux écrits de Stephen King. La ville où se déroule l’intrigue pourrait tout aussi bien être Castle Rock, et le thème principal n’est finalement pas tant la grande aventure ou les liens de l’amitié, mais plutôt les secrets infâmes qui se cachent sous le vernis d’une petite ville en apparence tranquille. Ici il n’est pas question d’extraterrestre, de voyage interdimensionnel ou de chasse au trésor, mais d’un tueur en série qui s’en prend aux jeunes adolescents. Un monstre baptisé le Cap May Slayer, du nom du Comté où il opère, responsable d’une quinzaine de disparitions en dix ans. Ce cas obsède Davey, un gamin du même âge que les victimes qui est passionné par les mystères et les conspirations. Nous sommes en Juin 1984 et il va mener sa propre enquête durant ses vacances, persuadé que le coupable se cache parmi ses voisins…

 

 

Son coupable, il le trouve assez vite: une série de petits détails insignifiants l’amènent à soupçonner Wayne Mackey, un individu vivant seul et dont le sous-sol contient une étrange porte verrouillée. Il est gentil, charmeur et sait communiquer avec les enfants. Seulement il est également policier, entraineur de l’équipe junior de baseball et se trouve être un pilier de la communauté. Difficile de piéger un tel individu, et du coup le garçon va impliquer sa petite bande afin de l’espionner et réunir les preuves nécessaires pour le dénoncer à la police. D’abord sceptiques, les autres enfants vont se prendre au jeu, découvrant sans cesse d’étranges éléments pendant leurs surveillances. Mais nos Sherlock Holmes en herbes ne sont pas très malins et Wayne va vite réaliser qu’on lui tourne autour. La situation s’aggrave lorsqu’ils découvrent qu’un gamin de la ville a récemment disparu, prouvant que l’assassin frappe désormais chez eux. Les garnements décident de révéler leurs trouvailles aux parents de Davey, espérant recevoir leur soutien, mais ceux-ci s’offusquent de leurs attitudes et contactent le policier incriminé afin qu’il reçoive des excuses…

 

 

Du reste, le récit s’oriente dans une direction plutôt prévisible. Le jeune héros est déterminé à vouloir faire éclater la vérité malgré les réticences de ses amis, tandis que l’antagoniste a désormais pleinement conscience de l’identité de ses adversaires. Au moins le film fait l’effort de ne pas plomber cette seconde partie en présentant Wayne comme un méchant de cinéma jouant un double jeu. Jusqu’au bout la question de sa culpabilité est laissée en suspens, le personnage se montrant en apparence bienveillant et prêt à tout pour calmer le jeu. Seule l’accumulation de détails douteux à son encontre vient nous assurer qu’il cache quelque chose. On pourrait se montrer critique, ou voir cela comme une faiblesse d’un premier scénario, seulement il s’agit en fait d’une trouvaille plutôt habile visant à créer un faux sentiment de sécurité. En tant que spectateur, nous avons déjà vu ce type de situation plusieurs fois et nous nous plaçons alors en mode auto-pilote jusqu’à la révélation finale qui arrive sans surprise. La fin hollywoodienne typique semble se dérouler sous nos yeux: Davey retrouve la confiance de ses parents tandis que ceux de l’héroïne, au bord du divorce, se rabibochent, sauvant la romance entre les deux jeunes…

 

 

Mais Summer of ʽ84 enchaine alors sa “deuxième” fin, un épilogue pas nécessairement inattendu en soit, mais qui se révèle bien plus sombre que prévu. Cruel même, terminant le film sur une note tragique laissant un goût amer. La dynamique de groupe est alors totalement revisitée, détruite, puisque la férocité des évènements ne permet finalement pas au happy end de perdurer. Difficile de dire si l’amitié existe encore entre les protagonistes après cela, chacun semblant se diriger dans une direction différente. Quant à Davey, son obsession pour les secrets et les affaires criminelles est à la fois punie et exacerbée par une sorte d’injustice divine qui conclut le film d’une manière forte – bien plus que l’on aurait imaginé. Dommage alors que le quatuor soit sous-développé ! Car si l’on suit le personnage principal du début à la fin, on ne sait finalement rien de la vie de ses camarades. Woody, le gros, doit gérer une mère éplorée et alcoolique, et on ne peut que supposer qu’elle soit inconsolable de la mort de son époux. Eats, le voyou de la bande, est visiblement dans le collimateur de la police malgré son jeune âge. Ses parents se battent violemment et si l’on comprend que son attitude rebelle n’est qu’une façade, il semble manquer des bouts de son histoire (sa relation conflictuelle avec son grand frère, par exemple).

 

 

Farraday, l’intello à lunettes, lui, il n’existe quasiment pas ! On sait qu’il veut étudier là où les autres préfères s’amuser, et qu’il est assez intelligent pour manipuler ses camarades, mais c’est tout. Il aurait tout aussi bien pu ne pas exister. Même chose pour Nikki, la jeune femme que cette petite bande dévore des yeux, de quelques années leur aînée. Elle débarque plutôt tardivement dans le film, n’a pas assez de scènes pour être qualifiée de véritable love interest, et n’a absolument aucune influence sur les évènements de l’histoire. Son personnage semble n’exister que pour être finalement inaccessible dans la conclusion, un symbole de la mort de l’innocence et des espoirs de Davey. Difficile de croire qu’avec 105 minutes et plusieurs passages à vides, Summer of ʽ84 n’ait pas trouvé deux secondes pour creuser un peu plus ces protagonistes secondaires, qui ne servent finalement que de faire-valoir au héros plutôt que de vivre à ses côtés. Le récit aurait été plus intéressant si, indépendamment de la menace du tueur, l’affaire même était un risque pour l’équilibre du groupe. Considérant les thèmes abordés dans la conclusion, explorer les problèmes de chacun aurait été un bon moyen de montrer ces adolescents grandir et se séparer, désormais trop grands pour courir après des chimères et ignorer leurs problèmes.

 

 

La fin de l’été 1984 aurait marqué la fin de l’innocence, des illusions et l’étape vers un âge ingrat et difficile. Le tueur en série n’aurait été qu’un symbole, un prédateur pour l’enfance au sens propre comme au figuré, et son dernier acte aurait eu encore plus d’impact. Il est certain que c’est exactement ce que les scénaristes avaient en tête, mais en l’état leur histoire n’est pas aussi puissante au niveau émotionnel faute de connexions entre le public et les différents personnages. Mais ne boudons pas notre plaisir. Outre la conclusion surprenante, l’ambiance sympathiquement rétro est très plaisante car dépeinte avec réalisme. Pas question ici de présenter un vision fantasmée des années 80 avec couleurs, sons et clins d’œil en pagaille: la simple description du bon temps que pouvaient prendre les mômes à l’époque suffit. Âgés de quinze ans, ils sont pile à la frontière entre la naïveté et la rébellion, et leurs actions le reflètent parfaitement. D’un côté ils évoquent Gremlins, alors encore dans les salles de cinéma, rêvent de devenir le prochain Spielberg et réclament le caméscope de leur paternel. Leur passe-temps préféré ? Jouer à la “chasse à l’homme”, une partie de cache-cache en pleine nuit, à la lampe torche, où l’on se cache dans les jardins du voisinage !

 

 

Mais en même temps ils dérobent la liqueur de leurs parents pour la boire en cachette, lisent des magazines coquins et dévorent des yeux la plus jolie fille du quartier, Nikki, qu’ils observent avec des jumelles lorsqu’elle se change. Leur temps passé dans leur cabane n’est plus qu’un sursis, les parents parlant d’abattre celle-ci, et les voilà qu’ils trainent dans les salles d’arcades du bowling du coin. A ce titre, l’amateur éclairé ne pourra qu’applaudir à l’apparition d’une borne Polybius, laquelle n’est évidemment pas allumée et exhibe une affiche “en dérangement”. Question ambiance, il faut aussi saluer la musique, très réussie mais également très discrète. Là où beaucoup surjouent la carte John Carpenter pour la bande-son, RKSS choisi d’utiliser celle-ci comme une simple toile de fond n’envahissant jamais le film… exactement comme Carpenter décrivait ses compositions ! Enfin, mentionnons au moins deux acteurs qui, sans écraser leurs partenaires, sortent du lot: Rich Sommer, vu il y a longtemps dans La Tempête du Siècle, incarne Wayne, le suspect a priori trop sympa, trop mielleux et jamais menaçant de façon trop évidente… jusqu’à son impressionnant monologue final. Et chez les jeunes, Judah Lewis dans le rôle de Eats, vu l’année d’avant dans The Babysitter, qui joue ici un faux loubards en réalité dévasté par sa situation familiale.

 

 

Espérons que cela ne soit pas la dernière fois que nous visitions la petite ville fictive de Ipswich, Oregon, qui avec ce film a tout le potentiel pour devenir le théâtre de futures tragédies comme Stephen King les affectionnent. Sans être révolutionnaire, et s’il ne donnera jamais à RKSS le même succès international que Turbo Kid, Summer of ʽ84 se montre plaisant, prenant, tout à fait respectable, et prouve qu’il est possible de miser sur l’effet de nostalgie sans déraper pour autant dans l’exagération et l’esthétisme superficiel. Pour les intéressés, attention toutefois de ne pas le confondre avec Summer ʽ03 qui sortira prochainement ! Certes vous pourrez sans doute voir Joey King en bikini dans celui-ci, ce qui n’est pas déplaisant, mais ce n’est pas tout à fait la même chose.

 

 

 

2 comments to Summer of ʽ84 (2018)

  • Roggy Roggy  says:

    Ce film donne vraiment envie et j’aime bien le travail des réalisateurs. “Turbo kid” m’avait fait bien rire avec ses excès gore et sa bonne humeur.

    • Adrien Vaillant Adrien Vaillant  says:

      Alors attention le style est très différent, hein ! 😀

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