Gakidama
(1985)
Petit morceau de V-Cinema déjanté, Gakidama (餓鬼魂, l’esprit affamé) pourrait être vu comme la réponse japonaise à Gremlins matînée de body horror à la David Cronenberg. En réalité il s’agit de l’adaptation d’une novella du même titre signée Baku Yumemakura, un romancier de genre surnommé L’Artisan de la Violence en raison de ses nombreux romans d’action. C’est aussi l’une des rares escapades du studio Tsuburaya dans le domaine de l’horreur pur, une compagnie de tokusatsu surtout connu pour la série Ultraman, et malgré sa durée réduite d’une cinquantaine de minutes le film n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat à ce niveau là. L’intrigue suit Morioka, un journaliste qui s’aventure en forêt pour un reportage sur les yōkais, les habitants ayant aperçu un hitodama dans les parages. Lui et son photographe sont alors témoin d’une apparition qu’ils vont essayer de poursuivre, et mal leur en prend car cet esprit est en fait un gakidama, un “hitodama qui se nourri de viande” (et qui n’existe absolument pas dans le foklore). Celui-ci va prendre la forme d’une chenille et pénétrer dans l’oreille du reporter.
Possédé, le protagoniste rentre au bercail pour se nourrir comme un boulémique, le parasite caché dans son estomac grossissant comme un fœtus monstrueux jusqu’à ce qu’il remonte l’œsophage pour s’extirper de son hôte. Mais avant qu’il ne puisse attaquer la femme de Morioka, témoin du drame, un mystérieux individu débarque et le capture avant de s’enfuir. Trop sûr de lui, il va cependant permettre à la créature de s’échapper dans le voisinage. C’est à partir de là que l’on s’attend aux classiques attaques façon Critters ou Ghoulies, mais Gakidama va complètement déraper pour proposer des idées plus démentielles. Car au lendemain de l’incident le couple ne montre aucun signe de traumatisme et poursuit sa vie comme si rien ne s’était passé. Le protagoniste ne possède pas même une cicatrice alors que son étrange sauveur avait déclaré qu’il s’était fait arracher le menton et devait aller à l’hôpital ! Néanmoins il va découvrir que son collègue a également été possédé après être retourné en forêt pour prendre des clichés supplémentaires, et cela va réveiller en lui d’étranges pulsions.
Car quiconque a hébergé un gakidama en lui devient victime d’une faim impossible à satisfaire avec de la nourriture ordinaire et qui ne peut être comblée qu’en mangeant un gakidama pleinement incarné ! L’inconnu qui s’était rendu chez lui était simplement en quête d’un repas, ayant perdu sa proie lorsqu’elle s’était caché dans Morioka, et il va venir lui expliquer la situation. Ayant capturé un autre specimen au préalable il l’invite à dîner pour prouver ses dires, faisant plonger le pauvre homme tête la première dans sa malédiction. Celui-ci s’introduit alors dans le domicile du photographe dans l’espoir d’attraper le monstre qu’il est sur le point de régurgiter, mais il va découvrir qu’il n’est pas le seul à convoiter la bête. Quant au yōkai qui s’est enfuit, il retourne chez le journaliste pour régler ses comptes, débarquant alors que sa femme est seule à la maison. Les deux vont naturellement se battre mais la créature semble indestructible et il n’est pas impossible qu’un gakidama puisse entrer une seconde fois dans un corps humain. Surtout quand la victime désespère d’avoir un enfant…
Bref, une histoire plutôt déviante qui va beaucoup plus loin que la simple zizanie destructrice habituellement montrée dans ce type de production, et que l’on doit évidemment à l’écrivain à l’origine de l’histoire. Dommage alors que la courte durée empêche d’élaborer sur certaines idées pourtant prometteuses comme ce banquet où le héros et son compagnon dégustent un gakidama cuisiné comme un plat de haute gastronomie. Même chose pour la lente folie qui s’empare de son épouse, laquelle compare le fœtus vomi par son mari à un bébé dont il aurait accouché ! Le final, sacrément dingue, montre la petite créature se faufiler entre ses jambes pour s’introduire en elle, lui procurant du plaisir sexuel jusqu’à ce que l’orgasme se termine dans la douleur. Et le générique de fin d’emballer tout ça sous fond de musique pop ringarde avec un tube nommé Mysterious Love ! Mais que les amateurs de bestioles en caoutchouc se rassurent, le côté Gremlins est bien là avec ce duel maladroit entre l’actrice principale et une marionnette mal articulée.
Le mauvais esprit bouffe ses canaris et imite Jack Nicholson dans Shining en passant son visage à travers le trou qu’il a fait dans une porte (et non, il ne s’exclame pas “Here’s Gaki !” et c’est dommage). En retour son adversaire le balance contre une télé qui explose à l’impact et le noie dans une baignoire, tout cela avec des effets spéciaux parfois qui alternent entre le grossier et le réussi comme c’est souvent le cas dans le tokusatsu. L’animation du yōkai est ainsi extrêmement limité, mais les séquences de body horror sont parfaitement dégoûtantes, telle cette larve qui remonte à travers la gorge de son hôte dont la bouche s’ouvre en grand dans un flot de sang. Un ancien possédé à les joues suturées en un sourire de l’ange, la femme de Morioka aperçoit brièvement un vers dans la narine de son mari lorsqu’il se mouche, et bien sûr le gakidama est une merveilleuse abomination. Mix improbable entre les minions de The Gate et le Ghoulie crapaud, avec un corps de bébé doté d’une tête anguleuse aux yeux globuleux et à la gueule garnie de crocs.
Du bon travail signé Shinichi Wakasa, qui s’est principalement illustré à travers plusieurs Godzilla des ères Heisei et Millennium. Un artiste talentueux au même titre que le scénariste Atsushi Tamatoya, un vétéran de l’industrie ayant notamment écrit La Marque du Tueur pour Seijun Suzuki et réalisé Une Poupée Gonflable Dans le Désert, et le réalisateur Masayoshi Sukita, un photographe professionnel qui oeuvra dans le milieu de la mode et la scène rock avec notamment une longue collaboration avec David Bowie à son actif. Une étrange équipe pour un étrange film comme on n’en fait plus de nos jours. Déjà obscure à l’époque, Gakidama a malheureusement sombré encore plus dans l’oublie, au même titre que ses copains de la même époque comme Conton et Guzoo, pourtant encore plus dingues. La bonne nouvelle est qu’ils sont tous disponible pour qui prendra la peine de les chercher, grâce à Internet et à quelques éditeurs courageux qui tel Morioka vomissent ces petites monstruositées pour mieux nous régaler.
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