Sara
Witch Hill
(1990)
Marion Zimmer Bradley est avant tout connue pour son grand cycle de la Ténébreuse (comportant une vingtaine de romans) ainsi que sa version au féminin de la légende arthurienne, avec le Cycle d’Avalon débuté par Les Dames du Lac. Malgré son attachement pour ces époques et mondes mystiques, l’écrivain se dédie parfois au fantastique dans des histoires de magie se déroulant à l’époque contemporaine, comme c’est le cas ici. Sara n’est pas l’unique cas dans la bibliographie de Bradley et on pourrait entre autre nommer Adagio pour une Ombre, dont elle reprend ici le personnage de Colin McLaren.
Sur une narration à la première personne, l’histoire nous présente la jeune Sara Latimer, qui perd un à un les membres de sa proche famille. Elle apprend au même moment que plusieurs de ses ancêtres, se nommant toutes comme elle, ont connue des fins tragiques. Désormais orpheline, Sara découvre alors qu’elle hérite d’un manoir dans la petite bourgade de Witch Hill Road, celui-ci ayant appartenu à une tante qu’elle n’a jamais connue et qui s’appelait également Sara. Sur les lieux, la jeune femme réalise que sa ressemblance physique avec sa parente est suffisante pour que la plupart des villageois les confondent, et débarque alors un pasteur au service d’un culte mystérieux, l’Ancien Rite. Celui-ci veut la convaincre qu’elle est la réincarnation de sa sorcière de tante et qu’elle se doit désormais de retourner parmi les siens, et d’honorer son statut de Grande Prêtresse…
Écrit à l’origine sous le pseudonyme de Valerie Graves, Sara est un petit roman qui se trouve être totalement différent des autres œuvres de Bradley, décevant à l’époque un grand nombre de fans qui ne retrouvaient alors pas du tout l’atmosphère habituelle de la romancière (même si elle a déjà abordé la question de prêtresses et de rites dans la religion celte avec Les Dames du Lac). En fait Sara n’est pas vraiment une œuvre personnelle de la romancière mais l’appropriation des écrits de H.P. Lovecraft par cette dernière.
L’histoire, qui se déroule dans le Massachusetts, à pour cadre un minuscule village perdu en pleine campagne et se situant tout juste à côté de la célèbre ville d’Arkham. Certains personnages travaillent aussi à l’Université de Miskatonic et la ville portuaire d’Innsmouth et son océan inquiétant sont évoqués de nombreuses fois puisque se trouvant dans le voisinage. Sont également cités le Necronomicon, les Grands Anciens, Lovecraft lui-même et on y trouve même quelques références aux nouvelles de l’écrivain (on y cite la mort de l’écrivain Robert Black, personnage de Celui Qui Hantait les Ténèbres, l’un des derniers écrits de Lovecraft)… Plus que de simples références, c’est là même l’hommage de Bradley envers l’écrivain, et le livre constitue une part des contributions qu’on réalisés de nombreux auteurs (bien souvent regroupé sous l’appellation de Cthulhu Mythos, le Mythe de Cthulhu chez nous).
Ainsi le culte de l’Ancien Rite n’est pas sans renvoyer, ne serait-ce que par son nom, aux sectes adoratrices des Grands Anciens, et l’atmosphère inquiétante propre aux écrits de Lovecraft est ici présente dès l’arrivée de Sara à Witch Hill Road, un village coupé du monde (l’héroïne emprunte une succession de transports en commun de mauvaises qualités alors qu’autour d’elle disparaît toute trace de grandes civilisations, s’enfonçant dans la campagne profonde à la flore hostile – dans le lointain, le fameux océan gris près duquel se trouve Innsmouth). L’impression de malaise est très bien retranscrite par cette transformation soudaine du paysage, Sara réalisant qu’elle est véritablement seule pour la première fois de sa vie et sans personne pour l’épauler, perdue dans un lieu qu’elle ne connaît pas…
Un autre élément inhabituel pour la romancière se retrouve également ici: l’érotisme. Jamais autant développée par l’auteur, il est ici poussé assez loin et offre de longues descriptions détaillées des actes. Ceux-ci sont parfois amusant (la première scène, où Sara et Brian tombent sous le pouvoir d’un aphrodisiaque magique et se mettent à faire subitement l’amour sans se contrôler), doux (la relation entre Sara et Brian mais aussi l’acte entre l’héroïne et Tabitha, une femme vouée au culte), mais bien souvent malsain et violent par le biais de viols “dissimulés” du pasteur à l’encontre de la jeune femme (il l’a pousse à l’acte par le biais de l’aphrodisiaque puis lui rappel qu’elle s’est donnée à lui sans réticence) et d’une séquence onirique où celle-ci semble avait été prise par de nombreuses personnes lors d’une orgie.
La teneur hautement sexuelle de Sara n’est cependant pas complètement gratuite et, même si l’on peut éventuellement penser que le fanatisme du pasteur n’est qu’un moyen d’introduire une scène de sexe, l’écrivain dissimule un discours sur le viol et n’hésite pas à parler des réactions honteuses des autorités face à une femme qui a été droguée puis abusée. Rien n’est explicitement évoqué et tout passe dans les paroles ou les pensées des protagonistes, mais le message est bel et bien présent. De la même façon est donné une explication de la “sorcellerie” telle qu’on la connaissait au Moyen-Âge et durant l’Inquisition, encore perçue dans la campagne profonde. Ici, le personnage de Tabitha montre qu’il ne s’agit en aucun cas d’une croyance quelconque mais d’un simple moyen de survie, afin de cohabiter avec la bêtise humaine qui veut que la Femme se doit de ne pas être intelligente, cultivée ou libre…
L’œuvre est loin d’être parfaite et possède plusieurs petits défauts qui font que, si le livre demeure très agréable et divertissant, il n’est pas un incontournable. La mignonne Sara est très attachante, voir touchante, mais elle semble peut-être un peu trop naïve pour une citadine débarquant à la campagne pour la première fois de sa vie: son manque de méfiance n’est pas vraiment crédible et on se dit que n’importe qui dans sa situation aurait des réactions un peu plus fortes. Sans parler d’un vocabulaire un peu trop lettré qui frôle parfois le ridicule lors de certaines tournures de phrases durant les échanges entre Sara et Brian. Certes ils viennent de la ville, mais tout de même !
L’intrigue n’est pas vraiment développée et, en reprenant des thèmes de Lovecraft et en les combinant avec ses propres connaissances des Religions, Bradley aurait pu aller beaucoup loin, explorer un univers fascinant et apporter plus d’enjeu via les agissements des membres du culte. Ici, Sara se résume à bien peu de choses et l’élément surnaturel lui-même est carrément mit en retrait malgré un final prometteur. Et à ce titre, le dernier chapitre en devient même agaçant puisque le climax est expédié en un rien de temps, annulant d’un coup toute implication du lecteur, avant de déboucher immédiatement sur un épilogue très peu satisfaisant. La fin du roman est bel et bien bâclée et il n’y a rien de plus regrettable, surtout que l’on était en droit d’attendre quelque chose de conséquent avec cette histoire de sorcières et ces emprunts à Lovecraft…
Certains pourront éventuellement penser qu’il s’agit là d’un prologue au cycle Lumière de l’auteur et que les prochains livres de cette série peuvent apporter quelques précisions sur toute cette intrigue, mais en vérité il n’en est rien. Certes Sara reprend deux personnages de Adagio pour une Ombre (Claire Moffatt et Colin McLaren) mais, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’est ni une suite de ce dernier, ni un prologue au cycle sus-cité. Malgré la présence de McLaren dans chacune de ses histoires, et si les romans de Lumière forment un tout cohérent, Sara est en réalité un simple one-shot qui se lie indépendamment des autres œuvres de Marion Zimmer Bradley. Claire et Colin ne font ici que quelques apparitions et n’interviennent pour ainsi dire presque pas (ce qui se prête d’ailleurs mal à leur surprenante présence au sein d’un culte diabolique !). Même si on peut relier les différentes histoires de l’écrivain en un même univers fictif par la présence de ces protagonistes, il s’agit ici d’un simple clin d’œil de l’auteur à un de ses précédents travaux.
Sara est donc un petit roman qui aurait mérité un traitement plus approfondit et qui demeure loin de ses promesses. Dommage car il y avait du potentiel, et le livre demeure un simple petit divertissement agréable, mais pas impérissable.
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