Un Aller Pour l’Enfer
Belly of the Beast
(2003)
Il y a peu je vous ai parlé de l’actrice Tahitienne Sara Malakul Lane, dans l’incroyablement mauvais 12/12/12. Cela tombe bien que la fin du monde n’est finalement pas eu lieu, car après l’avoir vue dans ce film et Sharktopus, il fallait que je regarde le premier opus de sa trilogie du nanar: Belly of the Beast. Avant de jouer la fille d’Eric Roberts, elle fut celle de Steven Seagal dans ce petit film d’action faisant partie de la génération direct-to-video de la filmo de l’aïkidoka.
Abandonnons Sara quelques instants pour parler un peu de Steven Seagal. La dernière fois que j’ai écris quelque chose sur lui, c’était il y a des années avec Désigné Pour Mourir. Une époque où l’action-star nous réservait encore de bonnes surprises… Il me paraît un peu vain de revenir sur sa carrière mais il vaut mieux remettre les choses dans leurs contextes. Pour être bref, Steven Seagal a fait ses armes au début des années 90 alors que le genre commençait a s’essouffler. Celui-ci est revigoré par l’excellent Die Hard, qui offre un regard nouveau sur le genre et introduit un type de héros plus moderne avec Bruce Willis, abandonnant le côté “gros bras”.
C’est le début d’une nouvelle ère et Seagal est le premier a s’engouffrer dans la brèche avec des titres comme Nico, Justice Sauvage ou Piège en Haute Mer. Des films qui sortent du lot grâce à une extrême violence, à l’originalité des talents de Seagal (l’aïkido, jusqu’ici jamais utilisé au cinéma) ainsi qu’à sa personnalité hors-normes. L’homme présente un égo surdimensionné à l’écran comme dans la vraie vie, montre un style vestimentaire des plus douteux et impose sa philosophie bouddhiste totalement hors-propos.
S’il est loin d’être charismatique, Seagal monte tout de même dans l’industrie au point de pouvoir laisser toute sa mégalomanie éclater en 1994 avec Terrain Miné, qu’il réalise lui-même. Le chant du cygne, car après quelques autres productions encore soignées (L’Ombre Blanche et Ultime Décision, où il partage la vedette), c’est la descente aux Enfers dans l’univers du direct-to-video. Comme son rival de toujours Jean-Claude Van Damme et quelques autres (Wesley Snipes !), Seagal se retrouve prisonnier d’une série de petits films sans envergures, aux titres et sujets interchangeables et dénués de qualités.
On peut considérer qu’il touche le fond vers 1998, avec The Patriot. Le premier d’une longue série de navets même pas drôles qui perdurent encore à ce jour (Maximum Conviction cette année, avec Stone Cold Steve Austin). Si quelques titres sortent du lot grâce à une réalisation un peu plus soignée, comme Hors Limite ou Mission Alcatraz, il n’y a globalement plus rien à attendre des films de Steven Seagal.
Des titres comme L’Affaire Van Haken ou Ultime Vengeance nous présentent un personnage littéralement transformé, handicapé. Obèse et incapable de se livrer aux combats qui ont fait son succès, Seagal laisse maintenant sa doublure faire tout le travail, délaissant même l’exercice du doublage en post-prod. Ce n’est plus son corps, ce n’est plus sa voix, et de l’aïkidoka il ne subsiste dorénavant qu’un fantôme qui traverse le film sans motivation. La star ne cache même plus son dédain pour le cinéma, préférant se concentrer sur une carrière musicale et multipliant les caprices en cours de tournages, ce qui va lui valoir d’être carrément banni des productions Millenium / Nu Image. Si vous vous demandiez pourquoi Seagal n’a pas fait d’apparition dans un des Expendables, voilà la réponse.
Belly of the Beast est justement un projet Millenium, datant de quelques temps avant le conflit entre l’acteur et la compagnie. Alors bien sûr avec un titre pareil, il serait très facile de faire des blagues par rapport au physique disgracieux de Seagal et c’est à se demander si cela n’a pas été fait exprès, tant il n’a aucun rapport avec le sujet du film ! Peut-être une manière de régler des comptes, qui sait ? Le Ventre de la Bête, donc (c’est toujours une meilleure traduction que Un Aller Pour l’Enfer) est certes un petit produit formaté, doté d’une intrigue conventionnelle, mais qui bien heureusement fait tout de même preuve d’un certaine qualité technique.
Oui, ça peut sembler fou, mais la mise en scène fait ici preuve d’un grand soin visuel. Des plans aériens surprenants, des cadrages inventifs et une volonté évidente d’imposer les séquences d’action comme quelque chose d’esthétique. Une chose est sûre, le réalisateur est loin d’être un vulgaire tâcheron et pour cause ! Celui-ci n’est autre que Siu-Tung Ching, le véritable artiste derrière la trilogie Histoires de Fantômes Chinois ! Subitement, le déraillement de la carrière de Seagal paraît beaucoup moins intense par rapport à la sienne.
Comment a t-il pu se retrouver dans cette galère, je n’en sais rien, mais il n’y a vraisemblablement aucune intention artistique derrière ce projet puisque Siu-Tung Ching n’est nullement impliqué dans le reste de la production. Le scénario notamment, que l’on doit à un quasi inconnu (responsable également de Hors de Portée, toujours pour Seagal) et qui a sûrement dû réécrire son script en fonction des demandes de sa star. Ainsi l’histoire se déroule en Thaïlande et le Bouddhisme y est un élément très important, jusqu’à la présence d’un temple où se rend Steven Seagal pour s’assurer du bien- fondé de ses actions.
La trame, classique, pourrait être celle de Taken. Une belle adolescente (Sara Malakul Lane, toute jeune) est kidnappée en Thaïlande avec une de ses amies. Cette dernière n’est autre que la fille d’un important diplomate et les otages vont servir à une quelconque embrouille politique dont on se moque complètement, puisqu’elle n’est jamais concrètement expliquée. La CIA semble impliquée, mais pas trop, ainsi que la police thaïlandaise, sous les ordres d’un homme d’état corrompu dont les motifs restent flous. En fait, on se concentre surtout sur Steven Seagal et sa recherche pour délivrer sa fille, envers et contre tous (sauf les bouddhistes).
Il joue donc Jake Hopper, un ancien agent de la CIA officiellement à la retraite mais donnant toujours un coup de pouce à son patron de temps à autres. Une séquence destinée à nous montrer ses talents d’agent secret nous le montre d’ailleurs infiltrer un manoir bien gardé pour voler un quelconque disque dur. Se déplaçant avec toute l’aisance du félin malgré sa bedaine, notamment via quelques glissades au sol des plus hilarantes, Jake Hopper est un professionnel si doué qu’il se permet même de fouiller dans le frigo de sa cible pour lui piquer une bouteille d’eau avant de repartir !
Forcément, lorsqu’il découvre que sa fille unique a été kidnappée, il n’attend pas que le Gouvernement agisse et prend… un aller pour l’Enfer. Ayant autrefois été agent de terrain sur place, il retrouve quelques contacts pour mener l’enquête: un type propriétaire d’un bar topless et dont le nom de famille est une combinaison de Ray et Liotta (forcément un traitre), et son ancien partenaire Sunti, devenu moine bouddhiste après avoir tué accidentellement une civile en pleine mission (forcément un gentil). Là, il va vite comprendre que les responsables de l’enlèvement ne sont pas les guérilleros du coin, contrairement à ce qu’on veut lui faire croire, et que toute cette affaire est un stratagème pour… Comploter quelque chose, je suppose…
A partir de là l’histoire enchaine les poncifs du cinéma d’action: Seagal va retrouver son collègue qui abandonne le convent pour l’aider dans sa quête, il s’associe avec les guérilleros pour faire tomber l’ennemi commun et le traitre de service veut le piéger avec l’aide d’un bras droit dans le rôle du miniboss. Le tout se terminant bien sûr dans le repaire du grand responsable via un combat mano a mano. Rien de bien spéciale en somme, on navigue en terrain connu et rien ne viendrait vraiment distinguer ce Belly of the Beast des autres films de Seagal version DTV. Cependant n’oublions pas que le réalisateur hongkongais fut autrefois celui du génial Duel to the Death et ses choix stylistiques se font grandement ressentir.
Sur la forme surtout, avec une utilisation régulière des câbles, des ralentis et des acrobaties. Sans atteindre le niveaux des ballets magnifiques de ses réalisations chinoises, Belly of the Beast possède d’impressionnantes séquences d’action qui le distingue franchement des productions du même genre. Le montage demeure encore un peu hasardeux, surmultipliant les angles du vue quand il ferait mieux de rester simple, mais le résultat reste de bonne facture. Même les séquences de bullet-time (balles contre flèches !) sont correctement réalisées bien qu’elles demeurent ringardes par nature. Toutefois ce facteur de qualité devient un élément nanar dès qu’il est appliqué à l’acteur principal… Passe encore de voir Seagal faire des katas au ralenti après que sa doublure ait réalisée d’impressionnantes techniques de combat, mais faire croire que son personnage est capable de se mouvoir comme Jet Li ou de pouvoir briser des flèches en plein vol, c’est juste trop.
Là où le film surprend c’est quand Siu-Tung Ching se croit encore à Hong-Kong, nous balançant sans prévenir un travesti maniant le fouet tout droit sortie des Swordman, une beauté aux seins nus avec un tatouage magique et un sorcier usant de poupées vaudous ! Autant de personnages qui auraient tout à fait leur place dans le folklore chinois mais dont la présence, dans le contexte du film, est pour le moins singulière. Le combat final ajoute même un duel spirituel entre le prêtre maléfique et un groupe de moines bouddhistes, renvoyant inévitablement aux incroyables exorcistes des Histoires de Fantômes Chinois.
La cohabitation de ces scènes purement fantastique au sein d’une intrigue si terre-à-terre paraît inconcevable et effectivement le mélange opère mal. Le sorcier fait une première apparition furtive avant de disparaître du reste du film, ne revenant que pour le final sans réelle explication. La femme au tatouage n’a aucune utilité si ce n’est de dévoiler ses seins et le spectateur ne peut que faire les yeux ronds devant la confirmation que l’un des méchants se déguise en fille. Est-ce là une manière de représenter la Thaïlande et son fameux tourisme sexuel ? On ne peut que se questionner en boucle sans jamais trouver de réponse…
Et à ce propos, la palme revient pourtant à une scène terriblement classique, qui est celle de l’habituel rapprochement entre le héros veuf/célibataire et la donzelle servant de love interest. Une jolie thaïlandaise craquant pour notre héros après qu’il lui ait sauvé la mise. Qui donc voudrait voir une belle jeune femme s’envoyer en l’air avec ce gros panda de Steven Seagal ? La voir l’embrasser est déjà perturbant, mais le choix d’une scène de partie de jambes en l’air entre eux paraît carrément déplacé tant leurs physiques ne correspond pas ! Voilà un cliché qui aurait pu passer à la trappe (il n’offre aucun apport scénaristique), mais heureusement le monteur, compatissant, nous épargne des visions de cauchemars en usant de l’ellipse…
Voilà donc l’étrange paradoxe que forme Belly of the Beast. Un produit formaté, classique, déjà-vu, pourtant soigné, visuellement intéressant et plutôt bien géré dans son ensemble, mais pleins d’idées bizarres qui donne l’impression d’un patchwork improbable où se mêle complot gouvernemental, histoire de vengeance, sorcier vaudou, combattants bondissant et bouddhisme. Et Steven Seagal. Techniquement le film s’en sort bien, mais il souffre énormément de ce qui a dû être une pré-production chaotique pleine de réécritures et d’apports finalement inutiles (pourquoi embaucher Siu-Tung Ching si c’est pour le brider ?).
Finissons ce tour d’horizon en ayant un mot pour les acteurs. J’en ai assez dis sur Seagal, même s’il faut souligner que cette fois la présence de sa doublure est plutôt discrète, son réalisateur ayant pensé à faire des raccords mouvements entre les deux. Sara Malakul Lane, celle par qui nous en sommes arrivé là, est pour le moins surprenante. Encore adolescente et belle comme un cœur, il faut vraiment la féliciter pour donner autant d’énergie malgré un rôle ingrat (elle passe la quasi totalité du film en bikini et mini-short). Elle y joue son personnage avec conviction et à beaucoup plus à offrir que dans 12/12/12 ou Sharktopus malgré un temps de présence à l’écran plutôt réduit, se permettant même de foutre la pâtée aux gardes qui la retiennent prisonnière, les obligeant à se mettre à trois pour la maitriser ! Génial.
Évoquons enfin le personnage de Sunti, le partenaire de Seagal qui est joué par Byron Mann (il était Ryu dans Street Fighter !). Charismatique, très efficace dans les scènes d’action et doté d’un background intéressant (agent de la CIA, il tue par erreur une mère durant une fusillade. Démissionnant, il reste alors au pays en tant que moine bouddhiste mais sacrifie finalement sa spiritualité pour aider son ancien partenaire à sauver la vie de sa fille), il aurait été parfait dans le rôle principal et aurait énormément contribué à rendre Belly of the Beast meilleur. Un vrai gâchis.
Au final le film reste recommandable et d’un niveau supérieur à la quasi totalité de la filmographie DTV de Steven Seagal. Malgré un grand nombre d’idées discutables, Siu-Tung Ching offre un film techniquement acceptable avec quelques belles images. Sara Malakul Lane est jolie, Byron Mann fait un bon sidekick et l’aïkidoka bouffi se retrouve dans suffisamment de situations ridicules pour qu’on en rit de bon cœur. Et ça c’est inestimable, surtout au regard de ses autres productions.
Quand j’ai vu débarquer le sorcier je me suis dit « cool, Steve nous refais un Marked for death en Thaïlande ! ». Et puis non… Malgré cette petite déception (snif), force est de constater qu’on tient ici un des derniers « bon » film du bonhomme. Mais comme tu dis : dommage pour Siu-Tung Ching et Byron Mann (qu’on reverra au côté de Steven dans Absolution – que je n’ai pas vu ni envie de voir…).
Pas encore vu Absolution, mais d’après des extraits il me semblait bien reconnaitre le Byron ! Malheureusement j’ai enterré l’idée d’un Seagal sympatoche il y a belle lurette maintenant.