Trancers: The Adventures of Jack Deth (1991)

 

Trancers: The Adventures of Jack Deth

(1991)

 

 

Avant que la compagnie Malibu Comics ne soit rachetée par Marvel au milieu des années 90, elle espérait comme beaucoup percer dans le milieu et disposait de son propre catalogue de titres et de ses propres labels. Rock-It Comix s’intéressait aux groupes de rock, Ultraverse avait sa ligne de super-héros, et Eternity Comics servait de gros fourre-tout où venaient atterrir des revues horrifiques ou au contenu un peu plus mature. Brian Pulido y fit débuter Evil Ernie avant de fonder sa propre boite, Chaos! Comics, et on y trouve un grand nombre d’adaptations de films d’horreur: des grands classiques (Frankenstein et Phantom of the Opera) aux premiers gores (Blood Feast et 2000 Maniacs, déjà chroniqués ici), en passant par de la SF vieillotte (Invaders From Mars et Plan 9 From Outer Space: Thirty Years Later !), et surtout plusieurs franchises appartenant à ce vieux filou de Charles Band.
De l’époque Empire on retrouve une déclinaison papier de Re-Animator qui se retrouve affublée d’une préquelle (Dawn of Re-Animator), et un partenariat avec la toute récente Full Moon donne naissance à une pléthore de titres susceptibles d’intéresser les fans. Il y a Puppet Master et Children of Puppet Master, des suites directes du film original. Même chose pour Demonic Toys tandis que Subspecies s’offre une mini-série se déroulant avant son premier opus. Dollman et Trancers font en revanche fi de toute continuité et s’inspirent de leurs modèles pour en livrer une relecture qui mélange des séquences connues et de nouvelles intrigues.

 

 

Avec un premier film datant de 1984, Trancers: The Adventures of Jack Deth sort pile à temps pour faire la promotion de Trancers II qui vient de paraitre en vidéo. Une quasi opération marketing totalement assumée par les auteurs du comic-book qui expliquent  d’ailleurs tout ceci dans un édito plutôt amusant. Tom Mason, le “directeur créatif” d’Eclipse, y résume le parcours chaotique de la franchise entre le titre original Future Cop transformé en Trancers, son run limité en salles et l’émergence du marché vidéo où Charles Band a fait son nid. Puis il se mélange un peu les pinceaux à propos des origines de la séquelle en expliquant que le projet  commença comme un simple segment pour une anthologie avant que l’idée n’évolue. Il évoque en fait le chaotique développement de Pulse Pounders, film à sketches jamais achevé et dont l’un des morceaux était effectivement composé d’une suite à Trancers intitulée City of Angels. Tim Thomerson y reprenait le rôle de Jack Deth mais pour une intrigue totalement différente.
Entre ceci, un erratum publié dans le second numéro et l’insistance avec laquelle le scénariste rappelle que cette BD n’est pas une adaptation officielle des films, un certain amateurisme se dégage de l’ensemble – pas incomparable à celui des productions Full Moon, conçues avec les moyens du bord et pas toujours parfaitement soignées. Cela se ressent jusque dans les crédits où le nom du coloriste n’est même pas mentionné, le mot “Incolor” se retrouvant marqué à sa place.

 

 

Cela est soit une blague du fait que les livres d’Eclipse sont généralement publiés en noir et blanc, soit le nom très ironique du logiciel informatique de coloration de Malibu Comics. Même l’illustrateur, Sergio Cariello, est un sacré débutant dont les dessins ne sont pas encore affirmés et les cases pas parfaitement carrée, affichant des lignes tremblantes tracées à la main. Il a depuis perfectionné son art et travaillé pour les plus grandes compagnies, et il a tendance à enterrer le passé, ne faisant jamais la moindre référence à ce début de carrière un peu grossier. Quant au scénariste Steve A. Bennett, s’il fut extrêmement productif à cet époque pour les labels Eternity et Aircel Comics, c’est un parfait inconnu dont il est très difficile de retracer la bibliographie faute de popularité !
Alors j’ai conscience que tout cela donne l’impression que ce Trancers est un horrible produit mal foutu, mais pour être honnête c’est au contraire une bonne chose puisque du coup le résultat fait énormément écho à son modèle. Nous sommes là dans un équivalent de la série B pour bande-dessinées, imparfait, méconnu et conçu en vitesse avec un budget réduit, mais malgré tout divertissant et charmant par sa simplicité. Et sans surprise, Eclipse fut prit des mêmes ambitions que la Full Moon concernant les aventures de Jack Deth, débutant sur une mini-série de deux épisodes avec une fin ouverte dans l’idée de générer une franchise avec des publications régulières.

 

 

Les deux volumes ne forment pas une même histoire s’étalant sur plusieurs pages mais une série d’aventures mettant en scène le même héros et son adversaire, à la manière d’une série télé. L’introduction conserve toutes les bases: en 2247, la ville futuriste d’Angel City, construite sur les ruines de Los Angeles, désormais engloutie sous les eaux, subit les attaques du terroriste Martin Whistler, un “vampire psychique” pouvant asservir mentalement autrui. Ces esclaves, les Trancers, gagnent quelques qualités comme une force et une rapidité accru, mais subissent des mutations et voient leur espérance de vie être drastiquement diminuée puisque pompée par leur maître. La police a donc mis au point une unité d’extermination pour régler le problème, ces agents fonctionnant un peu comme les Blade Runners chargés de détecter les Réplicants parmi la population humaine. Jack Deth est de ceux-là, un gros dur qui a des comptes à régler avec le criminel puisqu’il a tué sa femme.
Comprenant qu’il ne pourra jamais triompher dans son but de remodeler la société à son image, Whistler voyage dans le temps afin de détruire cette timeline et en établir une autre qui lui conviendrait mieux. Deth est chargé de l’éliminer et se retrouve à son tours projeté en 1991 (contre 1985 dans le film, la date ayant été réajustée). Comme dans le film, il peut compter sur quelques gadgets utiles comme son pistolet high-tech et une montre pouvant ralentir le temps pendant dix secondes, et comme dans le film le déplacement temporel s’effectue par “transmigration”.

 

 

Un procédé qui va surprendre plus d’un joueur de Assassin’s Creed puisque Ubisoft l’a totalement repiqué ! Ainsi on ne peut remonter le temps avec son propre corps et c’est l’esprit qui est projeté en arrière, dans la conscience d’un ancêtre. Whistler se retrouve dans la peau de Westlake, conseillé municipal riche et réputé, tandis que Jack prend la place de Phillip, un journaliste de bas étage. L’hôte est comme mis en veille dans un coin de leur tête jusqu’à ce qu’ils repartent. Leurs véritables corps, coincés au XXIIIème siècle, sont comme plongés dans une sorte de coma en attendant que leur conscience ne leur revienne. Un état de vulnérabilité dont profite le flic qui détruit alors l’enveloppe charnelle du terroriste afin de s’assurer qu’il ne puisse jamais revenir vivant de cette ultime confrontation. Toutefois là où Trancers montrait son héros agir par dépit devant la décision du Conseil de traduire le criminel en justice pour ses actions, ici son geste se déroule à la découverte de la situation, le policier obligeant ainsi le Conseil à voter pour l’exécution de Whislter puisqu’une extraction temporelle est désormais impossible.
Le reste de l’intrigue va grandement différer de l’originale si ce n’est pour la rencontre entre notre héros et Leena, jeune femme qui était le coup d’un soir de Phillip auprès de qui il se réveille. Perdu dans cette époque qui le fascine mais qu’il ne connait pas, il décide de tout lui dire afin qu’elle lui serve de guide et elle va naturellement le prendre pour un fou. Mais si ce refus de le croire faisait pour une bonne partie du film à l’origine, ici la jeune femme va vite croiser un groupe de Trancers dépêchés sur place pour contrer la menace que représente Deth.

 

 

Les bases sont posées, le duo est formé, le scénariste est maintenant libre d’inventer ce qu’il désire et de faire rebondir ses protagonistes de péripéties en péripéties. Dans le premier numéro Whislter compte chambouler l’avenir de la planète en proposant à quelques dealers d’armes des cargaisons de “Heaters” du futur: des pistolets à plasma fonctionnant grâce à un mini-réacteur à fission nucléaire. Il sait que cet équipement sera tôt ou tard analysé par et reproduit en masse pour équiper des forces militaires ou des organisations terroristes, ce qui changera le paysage de la guerre et provoquera un chaos qui modifiera complètement l’Histoire. Une idée plutôt ingénieuse puisqu’il n’a strictement rien à faire si ce n’est proposer sa marchandise à quelques bandits qui seront forcément intéressés ! Deth va évidemment intervenir et rapidement résoudre l’affaire en utilisant sa montre, sabotant les armes de manière à ce qu’elles surchauffent et explosent.
Un peu décevant, mais avec la première partie utilisée pour tout mettre en place et considérant le concept de base qui est de montrer de courtes aventures en attendant la création d’une série mensuelle, il ne fallait pas s’attendre à autre chose. En fait c’est surtout l’occasion de montrer comment le ralentisseur de temps fonctionne, là encore pour s’assurer que le public ait reçu toutes les informations importantes dès le premier épisode. The Adventures of Jack Deth enchaine sur une nouvelle intrigue qui va exploiter un peu mieux que les films les problèmes que cause la présence de Jack dans la vie de Phillip.

 

 

Celui-ci tente de ne pas trop perturber la timeline en poursuivant la vie professionnelle de son ancêtre, avec difficultés. Pour ne rien arranger, sa mère et son frère de interviennent. Déjà en froid avec lui en temps normal, ils vont le faire interner de force dans un hôpital psychiatrique en apprenant ses histoires de Trancers et de voyage dans le temps. Un point de départ intéressant qui n’est pas sans évoquer le sympathique Snake Eater II, où Lorenzo Llamas incarnait un super-flic se retrouvant dans la même position et devant compter sur l’aide de patients instables pour s’en sortir. Et tandis que Leena se bat comme elle peut à l’extérieur, il va devoir s’associer avec un fou et une dépressive pour renverser la néfaste Dr. Sax, qui désire combattre la maladie mentale à l’aide d’une bio-puce s’installant dans le cerveau. Elle compte ainsi guérir superficiellement ses cobayes en les reprogrammant entièrement.          
Un projet qui intéresse évidemment Whistler qui voit là un bon moyen de créer des Neo Trancers qui n’auront pas les défauts des précédents. Il a d’ailleurs déjà commencé avec les malades et le staff, pratiquement tous sous sa coupe et contrôlés de telle manière qu’ils continuent leur train-train quotidien sans même réaliser sa présence. Deth et ses camarades sont les seuls à percevoir le terroriste, et cela ne laisse pas beaucoup d’espoir au policier pour être secouru à temps maintenant qu’il va être opéré pour recevoir lui-même un implant…

 

 

Le dernier acte montre comment les personnages se retrouvent submergés de goules que Jack se refuse à tuer, puisqu’il peut encore les sauver en détruisant l’émetteur des bio-puces. Il n’a cependant que quelques instants pour ce faire, sous peine de devoir exterminer une douzaine d’innocents pour sauver la vie de ses amis. C’est bien la première fois qu’un tel enjeu est employé à travers la saga et ce n’est pas souvent que l’on peut voir le visage humain de Jack Deth ! Voilà un développement inattendu mais fort appréciable en plus d’être une bonne façon d’exploiter le concept des Trancers. Et des idées sympathiques il y en a pas mal dans ce livre, comme la narration à la première personne façon film Noir, l’intéressante bataille dans un minuscule ascenseur que l’artiste représente en vue aérienne afin de nous montrer la promiscuité géographique, ou la conversation entre le protagoniste et une psychiatre qui voit la personnalité de ce dur à cuir venu du futur comme un fantasme d’adolescent, reprenant chaque détail de son histoire pour le faire correspondre à un problème d’ordre psychologique.
Amusant aussi de voir les réactions du héros face au monde “moderne”, très choqué de voir comment l’asile se contente d’assommer ses patients de médicaments et décrivant certaines armes comme des instruments de torture médiévaux. Enfin, l’un des meilleurs gags de la série, la présence du supérieur de Deth coincé dans le corps d’une petite fille, a heureusement été conservé et demeure toujours aussi efficace.

 

 

Alors oui, les dessins sont parfois un peu brouillons et l’artiste n’a visiblement pas eu le droit de reprendre l’apparence des acteurs, mais les personnages restent reconnaissables malgré tout et je dirais même que Whistler s’en sort bien mieux avec ce look élégant à la Hans Gruber dans Die Hard, totalement à l’opposé de son ennemi qui évoque justement un rien John McClane avec ce look un peu rêche. Sans doute pas un hasard puisque Piège de Cristal était encore très récent et sa suite venait juste de sortir en salle. Si ce n’est le côté épisodique du scénario, pouvant se révéler épuisant sur le long terme, il n’y a finalement que très peu de défauts à cette adaptation qui fait du très bon boulot avec ses faibles moyens.
Mais cela ne suffira pas et Charles Band n’ayant pas étendu la durée de son contrat avec Eclipse Comics, la série mensuelle que S.A. Bennett désirais faire ne verra pas le jour. Pas plus que l’adaptation de Arcade qu’il évoquait dans son édito du second numéro, et il faudra se contenter d’un recueil au format « prestige » regroupant les deux parutions. Si la déclinaison cinéma de la franchise continuera avec un très sombre mais réussi Trancers III (et d’autres suites beaucoup moins bonnes), il faudra attendre 2015 pour qu’un nouveau comic-book puisse voir le jour. Ce sera chez l’indépendant et peu connu Action Lab Comics pour un partenariat absolument identique à celui d’Eclipse, avec des titres similaires (Puppet Master, Subspecies) et différents (Oblivion, Gingerdead Man). Leur version de Trancers sera là encore une relecture totale du sujet plutôt qu’une séquelle…

 

 

 

       

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