The Shadow Over Innsmouth
(1992)
Prolifique scénariste de japanimation a qui l’on doit des séries comme Hellsing et Serial Experiments Lain, Chiaki J. Konaka est aussi un fervent admirateur de H.P. Lovecraft qui glisse toujours quelques références dans ses œuvres (le nom d’Henry Armitage dans Armitage III, un Club Dagon dans Eko Eko Azarak, une chanson titrée Love Craft dans Psychic Vison: Jaganrei) et il participa ouvertement aux Cthulhu Mythos avec quelques nouvelles et surtout cette adaptation télévisée du Cauchemar d’Innsmouth (インスマスを覆う影, ou Insmus wo Oou Kage, soit une traduction directe du titre original – Insmus étant la prononciation de Innsmouth avec un gros accent nippon). Une rareté dont on parle peu mais qui vaut franchement le détour pour les fans du Maitre de Providence comme pour ceux de tokusatsu et de V-Cinema. Konaka passa derrière la caméra pour la première fois à cette occasion, dans l’intention évidente de rendre hommage à son idole malgré des moyens très faibles.
En seulement 55 minutes il livre une version fidèle mais un rien transfigurée de la nouvelle, qui fait directement écho à un phénomène social japonais moderne. Une recontextualisation qui passera malheureusement au-dessus de beaucoup de têtes puisque tout le monde ne connait pas forcément le fonctionnement du pays. Il modifie aussi quelques détails (le Culte de Dagon est un mélange de religion primitive et de Bouddhisme), supprime ou ajoute des protagonistes, et change complètement la découverte des origines secrètes du héros, qui entame ici une étrange relation avec un nouveau personnage féminin. Une idée que Dagon, l’autre adaptation plus connue de Stuart Gordon, lui piqua sans honte quelques années plus tard. L’intrigue s’intéresse ainsi à Hirata Takuyoshi, un photographe freelance qui vient d’être embauché par un magazine spécialisé dans le reportage des sites touristiques. Il s’intéresse alors à un vieux village de pêche, Inshu Masu (ou Innsmouth), qui est resté bloqué dans le passé.
Si ce côté rustique le séduit, il découvre sur place un patelin décrépit et quasi abandonné. Les rares habitants qu’il croise se montrent taciturnes, méfiants de sa présence, et victimes d’étranges malformations qu’il ne parvient pas à identifier. Seul le conservateur du musée local accepte de converser avec lui, laissant fuiter quelques mots à propos de la raison derrière cette situation, comme ce capitaine qui aurait fait un pacte avec d’étranges créatures pour assurer la prospérité du village il y a bien longtemps. Mais surtout il y a cette femme mystérieuse qu’il n’arrête pas de croiser, qui lui semble familière et réveille en lui d’étranges visions, comme des souvenirs enfouis. Le reste de l’intrigue suit la nouvelle à la lettre, de la terrible découverteà propos de Innsmouth et de la propre famille de Takuyoshi, jusqu’à la procession de Profonds dans les rues du village. Ici pourtant le photographe va réaliser que les monstres le laissent tranquille en le voyant, un gros indice pour nous signifier qu’il fait partie des leurs.
C’est là que le téléfilm diverge de la nouvelle pour y ajouter son grain de sel japonais. Car si le texte de Lovecraft utilisait l’inceste et le sectarisme en une crainte toute citadine de ces villages isolés où la modernité n’a pas d’emprise, Insmus wo Oou Kage va presque dans la direction inverse en traitant de la désertification rurale. Un vrai problème là-bas, où les nouvelles générations ont tendance à quitter la campagne traditionnelle au profit des grandes villes, créant une fracture sociale peu évoquée mais réelle. Il existe même un système de classification pour ces migrants (I-Turn, J-Turn, O-Turn, U-Turn et UI-Turn), ouvertement évoqué dans le film et représenté par certaines discussions entre Takuyoshi et d’autres personnages pas encore transformés en abominations poissoneuses. Comme le responsable du musée qui s’excuse presque d’être un U-Turn, ou cette adolescente qui conduit le héros à Innsmouth et raconte avoir du mal à quitter la région comme ceux de son âge, ne parvenant pas à trouver sa place.
Tout cela a un impact dans la conclusion, similaire à l’originale dans l’idée mais avec de grosses modifications. Takuyoshi accepte assez vite son héritage monstrueux, non sans résoudre son complexe d’Oedipe en battant à mort son propre père, qu’il refuse de reconnaître, puis en acceptant l’invitation presque romantique de sa mère, cette femme qui veille sur lui depuis son arrivée, manquant même de coucher avec elle dans un moment d’égarement – heureusement vite interrompu par quelques Profonds voyeurs qui viennent ruiner l’ambiance. S’il retourne à Tokyo après ça, c’est uniquement pour démissionner formellement avant de retourner à Innsmouth en compagnie de la jeune J-Turn qu’il a recontré, celle-ci ayant été convertie (de force) au Culte de Dagon pour être à ses côtés et sans doute porter son engeance. Un destin donc similaire à celui du protagoniste du Cauchemar d’Innsmouth, mais en plus ambigüe encore comme la décision du couple de retourner au village n’est pas totalement la leur.
Que l’on se rassure, cela ne signifie pas que Konaka intellactualise le propos au détriment des éléments lovecraftiens plus habituels, et il saute à pieds joints dans le fanservice quand il peut. Le héros se rend à la gare d’Arkham où apparait aussi la ville de Dunwich, le Necronomicon traine dans le musée et une cérémonie païenne dans une grotte montre des dessins de créatures en forme d’étoiles. Une conversation à propos de faux souvenirs amène l’idée que la mémoire humaine n’est qu’une illusion, en référence évidente aux Contrées des Rêves, et une étrange forme dans l’horizon semble symboliser Dagon (ou plutôt Dagon-Sama, ce qui est adorable) mais il est difficile de discerner la chose même avec la meilleur qualité d’image possible. Et bien sûr les résidents d’Innsmouth sont tous difformes avec de sympathiques maquillages signés Shinichi Wakasa (Gakidama et de nombreux Godzilla des périodes Heisei et Millennium). Citons aussi deux scènes horrifiques originales et plutôt foutues.
Dans l’une le héros va au restaurant et l’infâme poisson qu’on lui sert s’anime aussitôt qu’il s’apprête à le toucher avec sa fourchette, et dans l’autre le chef du photographe se penche sur son reportage après son départ, tombant sur une série de clichés montrant Takuyoshi de dos, se retournant progressivement vers l’objectif images après images pour révéler sa complète métamorphose. Ajoutez à cela la musique de Suspiria, juste une fois ou deux pendant quelques secondes, pour créer l’atmosphère (ça et une amusante reprise de Paint It Black), et l’acteur principal Shirō Sano (Evil Dead Trap 2, Violent Cop et trois Godzilla), tout bonnement parfait dans le rôle car possédant au naturel le fameux “look Innsmouth”. Le fait qu’il soit lui aussi un grand fan de Lovecraft dans la vraie vie ne gâte rien. Bref, malgré ses limitations The Shadow Over Innsmouth se montre fascinant et mérite de sortir des limbes télévisuelles. C’est d’ailleurs un peu choses faite grâce à l’équipe des chaines YouTube Toy Video et That’s On Youtube.
Non content d’uploader le téléfilm avec des sous-titres anglais pour faciliter sa compréhension, ils ont upscalé leur copie pour garantir une qualité d’image supérieur à ce que l’ont peu trouver ailleurs, même avec la VHS d’époque. De l’excellent boulot qui mérite d’être salué. Également digne d’être mentionnée est la novélisation que Konaka publia deux ans plus tard chez Gakken. Si Insmus wo Oou Kage fut sa première réalisation, cela fut son premier roman et il trouva là l’occasion de développer un peu plus ses idées. Plus surprenant encore est ce jeu vidéo (très) librement inspiré par le téléfilm, Innsmouth no Yakata, un FPS labyrinthique qui ne suit pas du tout l’intrigue et invente sa propre aventure à grands coups de shotgun dans une bâtisse infestée de monstres. A ce niveau là on perd toute subtilité mais l’anécdote à le mérite d’être intéressante.
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