The Bermuda Triangle
(1978)
“Have a drink with me. It’ll be a lot easier for you to enter Hell.”
En 1978, René Cardona Jr. tourne consécutivement deux films catastrophes se situant au beau milieu de l’océan. Deux co-productions entre l’Italie et le Mexique qu’il réalise au même endroit, pour les mêmes compagnies, avec la même équipe et en partie les mêmes acteurs. L’un est Cyclone, survival plutôt traditionnel avec ces naufragés à la dérive qui ont recours au cannibalisme, l’autre est ce The Bermuda Triangle qui se montre déjà plus intéressant puisque confrontant le genre au surnaturel. Comme l’indique ses multiples titres (Le Mystère du Triangle des Bermudes chez nous, Il Triangolo delle Bermude pour l’Italie et El Triángulo Diabólico de las Bermudas au Mexique, sans parler du générique qui propose un Triangle: The Bermuda Mystery), il est ici question d’une visite dans cette fameuse zone sensible du Pacifique où auraient disparu de nombreux navires et aéronefs. En fait Cardona adapte un bouquin alors très populaire sur le sujet, The Bermuda Triangle de Charles Berlitz, best-seller publié quatre ans plus tôt qui utilise notamment le mythe de l’Atlantide comme origine du phénomène.
Portée à l’écran, l’histoire ne cherche pas à expliquer le fonctionnement du Triangle et évacue les nombreuses théories (extraterrestres, monstres marins, manifestations magnétiques, oeuvre du Diable en personne) lors d’une courte discussion, lorgnant plutôt du côté de Amityville avec cette famille en vacances se retrouvant piégée par des forces maléfiques qui vont prendre un mâlin plaisir à la détruire de l’intérieur. Ainsi donc Edward Marvin, riche psychiatre et amateur de plongé sous-marine, entraine sa famille à la recherche de ruines submergées qui pourraient bien être celles de l’Atlantide. La seule ombre au tableau semble être son frère, chirurgien ayant sombré dans l’alcoolisme après avoir accidentellement tué une jeune patiente après une erreur de diagnostique. Cependant les choses vont vite dégénérer lorsque le bâteau arrive dans le Triangle, en commençant par la découverte d’une antique poupée flottant à la surface de l’océan. Quand la fillette d’Edward la récupère, elle va changer de comportement pour devenir morbide, prédisant un funeste destin à tout l’équipage tandis que son jouet s’égare aux quatre coins du bâteau, comme s’il était animé d’une vie propre…
D’abord dans le dénie, les protagonistes vont devoir accepter la bizarrerie de leur situation alors que les évènements inexplicables se multiplient: brouillard et lumières étranges animent la mer, un navire croisé dans la nuit est identifié comme un vaisseau ayant disparu une centaine d’années plus tôt, et les vestiges d’une cité enfouie sous l’eau s’écroulent (explosent, même !) aussitôt que les plongeurs s’en approchent, comme pour les repousser. Quant à la gamine, elle tente de nourrir sa poupée avec un morceau de viande cru et s’amuse à enfermer le cuisinier dans le frigo dans l’idée de le congeler vivant ! Plus tard des oiseaux de compagnies sont mystérieusement égorgés et les parents retrouvent du sang autour de la bouche du pantin… Pendant ce temps, ailleurs, d’autres voyageurs sont avalé par le Triangle, comme cette escadrille d’avions militaires en exercice ou ce bâteau aperçu dans le lointain qui émet un S.O.S. avant de simplement disparaître. Autant dire que les choses vont passer de Charybde en Scylla avec le temps, et outre les instruments de navigation devenant inutilisables, les personnages vont commencer à mourir les uns après les autres dans d’étranges circonstances.
Un couple passe par-dessus bord lors d’une tempête, un type est retrouvé dans une mare de son propre sang, un marin en plein travail de réparation sous-marine est broyé par l’hélice pourtant à l’arrêt contre laquelle il se tenait, explosant en une impressionnante gerbe de sang et de débris humain. La plus flippante est sans doute celle qu’on ne voit pas, lorsqu’un petit groupe tente de fuir vers une île proche en Zodiac avant de se perdre et de tomber à court d’essence au milieu de nulle part… Et c’est là où The Bermuda Triangle brille, malgré ses allures de téléfilm vieillot et mou du genou, avec ces petites touches de terreur pure inattendues, distribuées certes avec parcimonie, mais efficacité. Comme lorsque la radio balance soudainement un tas d’appel au secours de différents navires et aéronefs, y compris celui des héros qu’ils n’ont pourtant jamais émis, ou cette étrange lumière d’origine inconnue qui apparaît sur l’écran-radar pour en “dévorer” une autre qui représentait un petit avion volant dans les parages. Et puis il y a cette foutue poupée qui change parfois de visage pour devenir plus effrayante ou même carrément humaine, scarifiée et l’air maléfique.
Le twist final, où l’on découvre que les militaires enquêtant sur des disparitions en parallèle de l’intrigue SPOILER reçoivent un message des héros, qui de leur point de vue sont introuvables depuis 12 ans FIN SPOILER, est quant à lui inutile vis-à-vis du destin des protagonistes que l’on sait déjà perdu, mais apporte une touche de fatalisme supplémentaire qui souligne bien le caractère implaccable du Triangle des Bermudes. Il est d’autant plus efficace que le générique de fin n’est pas conventionnel, puisque au lieu de présenter l’équipe du film, il liste chaque vaisseau reporté disparu jusqu’à présent, laissant une dernière ligne tout en point d’interrogation comme pour prévenir de futurs victimes. En fouillant dedans on pourra même y trouver le nom du navire de cette histoire, le Black Whale III, évidemment fictif. Dommage que le monteur ait cru bon de rajouter un “Who will be next ?” un peu trop direct après ça. Dommage aussi que René Cardona se soit laissé aller à tuer quelques requins pour de vrai – ou en tout cas glisser des images récupérées quelque part, totalement inutile en plus d’être hors-sujet. Mais à quoi fallait-il s’attendre de la part du réalisateur de Tintorera, qui abusait déjà du procédé ?
Car il s’agit du seul véritable point noir de ce Bermuda Triangle, avecla durée de près de deux heures qui aurait mérité d’être raccourcie pour accentuer l’impact de la conclusion. On se rattrapera avec le casting, forcément éclectique par la nature de co-production du projet, bien enraciné dans le Bis italien de la bonne époque. Citons Hugo Stiglitz dans le rôle du capitaine fumeur de pipe, figure incontournable du genre qui se montre un poil moins passif que d’habitude mais demeure fidèle à lui-même. A ses côtés, le beau gosse Andrés García (Le Jour des Assassins, Tintorera) en parfait héros viril dont la romance avec l’une des filles d’Edward Marvin va tourner au drame total. La même année il figurait aussi au générique du Bermudes: Triangle de l’Enfer de Tonino Ricci. Le colossal Miguel Ángel Fuentes (L’Incroyable Homme Puma, Le Triomphe d’un Homme Nommé Cheval) est ici à contre-emploi dans le rôle d’un machiniste superstitieux qui jamais n’a l’occasion de jouer de son physique, et le vieux John Huston (Chinatown, Tentacules) incarne le patriarche Marvin. La magnifique Gloria Guida, héroïne de la saga érotique de La Lycéenne, joue l’une de ses filles et enfile le bikini pour notre plus grand plaisir. Avant de finir avec les jambes broyées.
Et parce que la série B est souvent une affaire de famille, on peut aussi croiser Andrés García Jr., dont il s’agit du premier rôle (il erra ensuite dans le Bis Mexicain bien gras comme Le Cimetière de la Terreur ou Cazador de Demonios), et René Cardona III, acteur occasionnel et surtout metteur en scène de grosses séries B-Z comme son père, avec notamment Vacaciones de Terror et quelques autres titres tous inédits et difficiles à trouver hors du Mexique. Contrairement au livre original, qui se serait vendu à près de 20 millions d’exemplaires et aurait été traduit dans une trentaine de langues, Le Mystère du Triangle des Bermudes n’aura pas connu grand succès et fini par être oublié, à la fois noyé dans la masse des films catastrophes des années 70 et des autres productions sur le même sujet (Dans les Profondeurs du Triangle des Bermudes, Le Triangle des Bermudes de William A. Graham, Le Triangle du Diable, le susnommé Triangle de l’Enfer, la série Le Voyage Extraordinaire). Mais comme c’est le cas avec les bâteaux perdus dans les Bermudes, il lui arrive parfois de réémerger, ayant récemment rejoint le catalogue haute définition de Vinegar Syndrome avec son petit frère Cyclone. Souhaitons-lui d’arriver cette fois à bon port… dans la vidéothèque de tout Bissophile qui se respecte.
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