Secret Slave, Chapitre I

Secret Slave

 

I. Le calme avant la tempête

 

Le petit garçon s’enfuit en hurlant. Poussé par ses amis à explorer seul la maison hantée en une sorte de pari stupide, il avait pu encaisser le train fantôme du rez-de-chaussée sans trop de problèmes pour son jeune âge. Même à neuf ans, les squelettes en plastiques et les monstres en caoutchouc n’avaient plus rien d’effrayant. C’est à l’étage qu’il sentit le stress monter en lui, lorsqu’il lui fallu descendre de la voiturette pour faire le reste du chemin à pied. Il n’arrêtait pas de se répéter que c’était exactement comme dans la Maison du Rire, avec ses tapis roulants et son labyrinthe de miroirs, mais le fait d’être plongé dans le noir était perturbant. Des bruits étranges se répercutaient à travers les couloirs: rires sinistres, portes grinçantes et grognements. Et même si la plupart lui semblait provenir d’une bande-son poussée très fort, il ne pouvait s’empêcher de frissonner. L’un de ces sons aurait pu être véritable, produit par quelque chose caché dans les ténèbres.
Il commença a sangloter lorsque les toiles d’araignées chatouillèrent ses cheveux, lorsque des éclairages tamisés lui révélèrent des instruments de mort accrochés aux murs couverts de sang: faucilles, couteaux et tronçonneuses. Les créatures de carnaval avaient laissées place à un donjon terrifiant car réaliste, et un quelqu’un pouvait totalement l’y attendre. Et si un vrai tueur vivait là, caché parmi ses cousins imaginaires ?
C’est alors qu’il le vit. La pièce était minuscule, seulement éclairée par quelques bougies électroniques posées sur le sol. L’enfant ne pouvait pas bien discerner ce qui se tenait devant lui, mais il ressenti une impression de danger immédiat et il se figea tel un chevreuil surpris par les phares d’une voiture. Ses yeux s’adaptèrent et il pu deviner une silhouette humaine, assise dans un fauteuil. Il était grand, bien plus que lui, et semblait nonchalant. C’était le plus difficile à comprendre pour lui: il ne criait pas, n’essayait pas de le faire sursauter, ne bondissait pas dans tous les sens. Il se tenait là, silencieux, laissant les ombres faire le travail…

Le petit garçon recula d’un pas alors que la personne se levait de son siège, doucement. Il portait un chapeau et sa tête semblait vaguement tordue, comme si les contours de son visage étaient irréguliers, difformes. Un cliquetis métallique le fit sursauter, pourtant à peine audible parmi la sono de la maison hanté, et il repéra la main plus grande que l’autre, dont les doigts étaient poursuivit par de longues lames de rasoir. L’inconnu les porta près de son visage et dans le mouvement la lueur des bougies se réfléchit sur le métal. Il eu un bref aperçu de ce visage ravagé par des brûlures, ou des coupures. L’homme – le monstre – fit un pas dans sa direction, agitant doucement ses couteaux pour les faire tinter. Puis il laissa échapper un rire macabre, contenu mais tellement plus réaliste et menaçant que ceux qui résonnaient à travers toute la maison.
Pendant un bref instant, il y eu un silence de plomb. L’ambiance préenregistrée se tut et l’enfant retint ses pleurs, par crainte qu’ils alertent l’homme aux rasoirs. Et, subitement, celui-ci frappa du pied en criant un grand coup. Rien de plus, mais dans le jeune cerveau cela équivalait à une attaque frontale. Il fit un bond en l’air, hurla en retour et fila à toute vitesse, suivant inconsciemment un parcours tracé menant à la sortie. Dehors, ses camarades pourront se moquer comme ils le voudront mais il respecteront le courage qu’il a eu pour explorer la bâtisse. A l’intérieur, le grand brûlé au gant de métal ne pu s’empêcher de ricaner devant la réaction de sa victime. Et sa voix n’avait plus rien de lugubre, devenant alors celle d’un jeune homme tout à fait ordinaire. Il retira le masque en latex qui collait à sa peau avec la chaleur d’été, l’empêchant de respirer convenablement, et passa une main pour ébouriffer ses cheveux plaqués par la sueur. Le monstre de foire laissa place à Vincent, un garçon de taille moyenne dont la carrure ne risquerait guère de faire frissonner de peur qui que ce soit.

Mince, les cheveux auburn et les yeux couleur caramel, il semblait presque trop mignon pour travailler dans un tel endroit. C’était sa malédiction d’une certaine manière: un fan des monstres et de l’horreur ayant pourtant l’apparence d’un fils de bonne famille un peu trop sage. Les Tee-shirts à têtes de mort ne le rendait pas plus agressif et aussitôt qu’il mettait ses lunettes, il passait pour un étudiant en mathématique. C’est sans doute pour cette raison qu’il avait décidé de jouer lui-même la bête de train de fantôme cette année, plutôt que de se contenter de l’entretien de l’attraction. Avec un masque et les bons artifices, il s’effaçait au profit d’une apparence qui lui correspondait un peu plus, amusant ou effrayant la galerie selon les moments. Il se sentait plus libéré, improvisant à merveille, comme libéré d’un poids… Il était sauvage et se sentait capable de faire n’importe quoi, et cela était grisant.
Après un regard dans les parages afin de s’assurer que plus aucun visiteur ne traînait, il retira son gant et attrapa le talkie-walkie lui permettant de communiquer avec le gérant de la maison hanté afin de le prévenir qu’il en avait fini avec la dernière fournée de clients, et pour savoir s’il devait de nouveau se préparer. A son grand soulagement on l’autorisa à prendre sa pause – la température devenait difficile et supporter et il avait grand besoin de fraîcheur. S’affalant sur son vieux fauteuil, il sorti une cannette de soda du pack caché sous le siège et se relaxa. La boisson n’était plus froide mais c’était satisfaisant. Et dans le noir, il fit le point…
L’été touchait à sa fin, et donc son travail saisonnier aussi. La petite fête foraine organisée par la ville avait lieu tous les ans et c’était pour lui un plaisir de retrouver la maison hantée, saison après saison, afin de s’occuper de ses petits pensionnaires: dépoussiérer les vampires, calibrer les projecteurs à fantômes et déverser des litres de slime phosphorescent un peu partout… Jusqu’ici la solitude ne le dérangeait pas, n’ayant de toute façon pas beaucoup d’amis en temps normal, aussi il se plaisait dans l’obscurité, parmi les monstres et son imagination. Du moins jusqu’ici…

Une certaine mélancolie avait miné son moral depuis quelques jours. Quelques semaines. Vincent avait d’abord pensé que c’était le train-train quotidien qui devenait monotone, à force de répéter les mêmes tâches jours après jours depuis si longtemps, mais il fallu se rendre à l’évidence: ce n’était pas que de l’ennui. Il avait tenté d’ignorer ce sentiment déprimant tout d’abord, s’investissant dans son personnage, déployant tout un tas de trouvailles pour surprendre les visiteurs sans trop se répéter. Puis, parce qu’il disposait de beaucoup temps libre notamment en cas de journées creuses, il avait commencé à jouer avec son caméscope, filmant l’attraction de fond en comble, travaillant des plans intéressant pour mettre en valeur ses éléments horrifiques avant de se tourner des scènes avec lui-même, dans le costume.
Mais même s’inventer son propre film n’était pas suffisant pour le distraire de cette triste impression. Au contraire, celle-ci devint de plus en plus forte alors qu’il devait, seul, incarner les divers personnages dont il avait besoin pour son histoire. Vincent avait besoin de quelqu’un. Un ami, un collègue, même un patron, histoire de communiquer un minimum, de s’occuper. Et si les années à faire des choses dans son coin l’avait blindé, s’il croyait être habitué à ce style de vie, le simple fait de se tenir ainsi dans le noir – assis dans un fauteuil défoncé au beau milieu d’une pièce vide, lui renvoyait une image pathétique de lui-même.
Il soupira, un brin déprimé de sa situation lorsqu’une petite alarme résonna: le pense-bête de son téléphone, sûrement très important pour ne pas l’avoir laissé en mode vibreur. La tête encore dans les nuages, il jeta un œil à l’appareil sans motivation… puis son cœur se souleva. Quelque fut son état d’esprit les secondes précédentes, il vivait maintenant l’exact contraire !
Euphorique, il se leva avec précipitation, remettant son masque gluant et ses accessoires en place tout en se dirigeant vers un escalier menant vers le toit du bâtiment.

Il avait rendez-vous avec un Ange.

One comment to Secret Slave, Chapitre I

  • Adrien Vaillant Adrien Vaillant  says:

    Voilà donc le premier chapitre d’une très longue série prévue. Presque un feuilleton à suivre, même si je publierai plus d’infos un peu plus tard sur le projet en général.

    Comme ce n’est qu’une intro, il ne se passe pas grand chose et cela présente à peine l’un des personnages principaux. Je vais être franc: ce n’est pas du tout ce que j’avais en tête à l’origine. Mon plan d’écriture était de faire du premier chapitre une histoire complète, comme une nouvelle entière en guise de chapitre. Seulement voilà, non seulement cela se révèle être toujours plus long qu’on ne le pense, mais en plus j’ai tendance à en écrire des pages et des pages ! Les deux premiers paragraphes, par exemple, auraient pu être résumé en une ou deux phrases.
    Mais j’ai toujours envie de travailler l’ambiance et les émotions et j’en fais toujours trop. Probablement un défaut qu’il me faudra corriger par la suite, pour ne pas endormir les lecteurs et passer pour le Stephen King de service (un auteur qui a l’habitude d’en faire trop – sûrement sa mauvaise influence vu que je le lis depuis mon enfance).

    Félicitation à ceux qui auront enduré cette introduction, la suite devrait être beaucoup plus fun normalement.

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