Nighty Night
(1986)
Conçu par un étudiant durant le grand boom japonais de la vidéo et de l’horreur, Nighty Night (真夜中の悪夢, Cauchemar de Minuit) est une anthologie de quatre contes de durées (et qualités) inégales. C’est aussi une œuvre qui fut extrêment rare et pratiquement considérée perdu puisque sa nature de petit shot-on-video amateur tourné en 8mm la limita a une distibution très limité sur son territoire. Pendant longtemps seule l’image de sa jaquette confirma son existence au reste du monde, et il fallu attendre 2023 pour que quelqu’un mette la main sur une copie bootleg qu’il balança sur la toile. Pas la meilleur des qualité puisque l’on parle d’une VHS digitalisée dans les années 2000, néanmoins entre ça et les sous-titres réalisés par quelques passionnés, cela permet de lever le voile sur ce petit cryptide filmique et déconcertant à plus d’un titre. Comme cet étrange prologue où une jeune fille raconte à une certaine Yumi (qui demeure hors-champ) l’histoire du Petit Chaperon Rouge avant de lui souhaiter bonne nuit.
Une version tordue où la fillette a parfaitement conscience que le Grand Méchant Loup s’est déguisé en Mère-Grand et sort un couteau de son panier pour le découper aussitôt en morceaux. S’ensuit Birthday Cocktail, où une autre demoiselle nommée Yumi fête son anniversaire avec des amis jusqu’à ce que la gourmande du groupe ne s’effondre morte après s’être empiffrée et chamaillée avec une camarade. Accident ou meurtre ? Le groupe sombre dans la paranoïa et la jalousie puis tout le monde s’entretue. Une accusée se défend au couteau mais manque sa cible et s’entaille la gorge, une misanthrope nihiliste observe le chaos en empoisonnant deux verres pour se suicider avec l’héroïne non consentante et un garçon amoureux apprend que sa bien-aimée rêve plutôt d’une relation incestueuse avec son père ! La conclusion satirique montre cette dernière se consoler dans les bras du papa avant de se sentir trahi quand il déclare vouloir se remarier, offrant les boissons contaminées aux deux tourtereaux.
Out of the Window dure moins de cinq minutes et ressemble à une légende urbaine. Un adolescent fait ses devoirs lorsqu’une femme magnifique lui apparaît par la fenêtre. Elle le séduit ou le met en transe, et lorsqu’il tente de la rejoindre, marchant dans le vide comme dans un rêve, elle disparaît aussitôt et le pauvre fait une chute mortelle. Le lendemain un autre jeune homme apprend ses leçons lorsque le fantôme réaparait, prêt à prendre une nouvelle victime. Tout simplement anecdotique, mais lui succède vite Survival Game, le meilleur segment du lot qui aurait mérité un film à part. Une jeune fille déballe des cadeaux (possiblement pour son anniversaire comme Yumi ?) et tombe sur un jeu vidéo où il faut combattre un horrible monstre. Peu encline à tester la chose, elle éteint la console et va se coucher, inconsciente que l’appareil va se rallumer dans la nuit pour lancer la partie. Pire: il est dit que plus le temps passe et plus la créature devient puissante, son sommeil lui faisant alors perdre un temps précieux.
A son réveil elle découvre le Goblin (décrit comme tel par l’ordinateur) en train de ravager son appartement et d’engloutir tout ce qu’il trouve, et elle va devoir le combattre avec les moyens du bord… ce qui se traduit par de petits jouets à friction créant des étincelles (Godzilla et Ghidorah !) utilisés comme appât après que la chose se soit enfilée une bouteille de produit inflammable. L’intérêt du sketch réside bien sûr dans la bestiole, qui avec son corps d’insecte et sa tête humaine change des pseudo Gremlins habituels: elle rote, utilise des couverts, bouffe une ombrelle et combine stop motion et animatroniques. Faute de moyens ses apparitions restent limitées, mais le résultat demeure plaisant. Pas sûr que son QI de 200 soit particulièrement illustré cependant. Enfin Cinderella présente une nouvelle Yumi qui espère emballer un garçon malgré qu’il soit déjà prit. Sa persévérance est finalement récompensée lorsqu’il rompt avec sa petite amie et lui déclare sa flamme, mais son propre corps va se rebeller contre elle.
Car alors qu’elle est sur son nuage, elle voit un soir son visage s’enlaidir à l’extrême sans raison apparante, pour redevenir normal le lendemain. Reprenant la fameuse scène de Cendrillon où la belle doit écourter son rencart avec le prince sous peine de retrouver une apparence ingrâte, l’intrigue la montre bien embêtée durant un rendez-vous qui s’éternise et la voilà contrainte de se s’enfuir dans pour cacher la vérité à son compagnon, l’adolescente affrontant ensuite son reflet difforme avec un couteau. Du body horror délirant aux effets spéciaux sympathique pour le budget (Yumi gagne des yeux supplémentaires et une bouche ouverte tirant la langue lui pousse sur la joue) même si le film n’a pas les moyens d’aller aussi loin qu’il le voudrait et esquive l’automutilation. Avec 74 minutes au compteur Nighty Night n’est pas très long et se regarde joyeusement malgré ses problèmes techniques (réalisation plate, décors vides, effets spéciaux rudimentaires) et le script qui recycle des noms sans que l’on ne sache s’il s’agit des mêmes personnages.
Mais qu’importe, le simple fait de pouvoir enfin le voir l’emporte sur le reste, et on pourra également apprécier la musique vaporwave et quelques détails saugrenus comme ce réveil Mickey ou ce T-shirt E.T. Néamoins la confusion persistera pour quiconque fera des recherches sur le sujet, car le réalisateur Hirohisa Kokusho possède deux entrées différentes sur IMDb. La vraie qui mentionne son seul autre crédit (assistant réalisateur sur Fantastic Collection, 1988), et l’autre qui prétend qu’il aurait refait Survival Game en 1999 sous forme d’un court-métrage dont l’existence est impossible à prouver. Pour ne rien arranger, les kaniji de son nom se traduisent plutôt par Hirohisa Kunio, et sous cette identité on découvrira qu’il a possiblement changé de carrière pour écrire des manuels. Une reconversion compréhensible puisque Nighty Night fut victime des tristes conséquences de l’arrestation de Tsutomu Miyazaki, serial killer avide de films d’horreur qui chamboula le paysage culturel japonais.
Comme aux États-Unis, la société considéra la culture otaku comme responsable de ses actes et pointa du doigt les films d’animation violent et le cinéma horrifique comme mauvaise influence. Au moins le créateur du Goblin, Tashiro Mizutani, a depuis connu un grand succès aux USA comme il bosse sur de gros titres tels que Las Vegas Parano, Paul ou Spider-Man: Homecoming. Tout le contraire de son collègue maquilleur, Katsuto Urano, qui persista brièvement sur les scènes indie et tokusatsu (Guinea Pig 4, Lady Battle Cop) avant de disparaître.
GALERIE
Commentaires récents