American Gothic
(1988)
S’il fallait que je cite un film d’horreur angoissant, effrayant, je serais bien en peine de répondre. A vrai dire je n’ai jamais vraiment ressenti la peur au cinéma. Le stress sûrement un peu, mais jamais tellement plus et seulement en de très rares occasions. The Thing de John Carpenter me vient en tête, et doit sûrement être celui que je choisirai. Il y a malgré tout un film qui m’est resté en mémoire avec les années. Pas le plus horrible, pas le plus graphique, pas le plus terrifiant, à vrai dire même pas le plus original. Pourtant, il y a dans ce survival de 1988 un petit quelque chose de dérangeant de par son sujet. Quelque chose qui me revient souvent lorsque me parvient des histoires de parents givrés et d’enfance ruinée par une présence trop envahissante des géniteurs. Ce n’est pas de la peur, mais une sensation de très léger mal-être qui est lié à la folie humaine, à la démence.
American Gothic narre la classique histoire d’une bande de jeunes partant explorer la nature sauvage et tombant victime de ce qu’elle y trouve. Une situation comme on l’a déjà vu des centaines de fois, entre Délivrance et Massacre à la Tronçonneuse. Tous les films de rednecks, de mutants, de psychopathes sévissant dans des régions reculées… Et ici les personnages sont évidemment décimés avec violence par une famille de tarée, habitant une île isolée et supposée déserte. La petite différence de cette version, c’est que ces derniers affichent des tares bien plus crédibles et angoissantes que les habituels vilains du genre. Point de cannibalisme ou d’inceste ici, pas de difformité non plus. Juste un incroyable délire tournant autour de l’esprit de famille et du puritanisme.
Les antagonistes sont un clan de croyants très à cheval sur les bonnes manières. Les parents ont littéralement fuit le continent il y a très longtemps afin de ne pas se laisser corrompre par les vices et le progrès, et ont établit une vie à l’ancienne, comme à l’époque des colons d’Amérique. Ainsi, American Gothic évoque une version tordue de La Petite Maison dans la Prairie où la famille Ingalls aurait continuée de vivre de prières et d’eau fraiche alors que le reste du monde à évolué.
Lorsque les protagonistes découvre leur présence, rien ne laisse présager une véritable menace. Ils visitent la maison avant de tomber nez-à-nez avec les parents, tout d’abord. Un couple d’ermites à priori inoffensif quoiqu’un peu bougon. La femme notamment semble comprendre le besoin de s’amuser de la jeunesse et ne s’offusque pas trop des manières différentes de ses “invités”. Son mari est bien plus réservé et intransigeant, mais son âge avancé et sa carrure de grand-père ne l’impose pas vraiment comme un tueur impitoyable. Mais tout s’emballe lors de la rencontre avec les “enfants”. Ce qui n’était qu’une petite folie sans grande importance dévoile soudain son vrai visage et, au même titre que les pauvres touristes, on réalise qu’il ne fait pas bon de rester dans le coin…
C’est avec surprise, et un certain malaise, que l’on réalise que les “petits” sont en fait de grandes personnes, des adultes d’un âge avancé mais qui continuent de s’habiller et de se comporter comme des bambins ! Une fille et deux garçons, sautillant, rigolant, se chamaillant, mais demeurant indubitablement vieux. On comprend qu’ils ont été couvés à tel point qu’ils n’ont jamais grandit mentalement, et que le délire de protection de leurs parents va bien plus loin qu’un simple choix de vie un peu décalé…
Comme pour ne rien arranger les choses, il n’y a plus aucun moyen de quitter l’île et nos héros se retrouvent contraint de passer la nuit chez leurs hôtes en attendant le prochain bateau. Le film, intelligent, nous laisse un peu mariner. Il n’y a pas de danger direct, il n’y a pas de véritables coups d’éclat, de secrets innommables à découvrir (du moins pas tout de suite). Il y a juste cette démence de deux parents vivant en marge de la société, qui a corrompu leur progéniture et qui pourrait peut-être dériver d’une façon ou d’une autre. Cette partie du récit est naturellement la meilleure. Pleine de tension et jouant sur les attentes, elle joue clairement sur notre instinct de survie et la répulsion que l’on peut avoir pour la Folie. Même si la famille n’a théoriquement rien fait pour qu’on les perçoivent comme des monstres, on ne peut s’empêcher de vouloir les fuir au plus vite…
American Gothic se base sur le conflit des générations et des cultures, et certains personnages tiennent moins le choc que d’autre. Si quelques uns parviennent à prendre sur eux la différence de leurs voisins (d’un côté comme de l’autre), certains se vexent très vite de remarques ou des façons de faire, et deviennent particulièrement hostile. Cela devient une sorte de huis-clos en pleine air et on se demande un temps si la démence qui imprègne les lieux ne va pas déteindre sur autrui. Alors bien sûr, comme nous sommes dans un film d’horreur, il est évident que les petits vieux finissent par passer à l’attaque. Ceux-ci respectent parfaitement le cahier des charges et les visiteurs tombent comme des mouches, assassinés par les “enfants”. Les mise à mort ne sont pas gore ou particulièrement brutales, mais elles gardent bien cette touche d’insanité dérangeante puisqu’elles prennent l’apparence de jeux…
A la manière d’un môme qui arracherait les pattes d’un insecte sans vraiment se rendre compte de la portée de son geste, les tueurs conservent une certaine naïveté durant l’acte, se moquant de leur proie plus par immaturité que par méchanceté. On retiendra notamment cette partie de balançoire se déroulant un peu trop près d’une falaise, et la traque dans les bois où les deux garçons sont habillés en cowboy et en indien, effrayant leurs victimes avec des pistolets à amorces.
Naturellement, le partie survival fini par devenir plus classique lorsque les parents s’y mettent à leur tours, persuadés que leurs invités leur manquent de respect et représentent une menace pour leur équilibre. Bien que restant tout aussi prenant, American Gothic rejoint un temps les autres clones peu subtiles de Massacre à la Tronçonneuse, avec leurs innombrables allez-retour dans la forêt, leurs filles hurlantes et leurs méchants éclatant d’un rire sardonique. C’est banal mais ça reste très effectif grâce à la mise en scène, soignée et multipliant les cadrages intéressants.
Bien heureusement l’histoire prend ensuite une tournure différente et inattendue. Il faut savoir que l’héroïne du film est une jeune femme très fragile, qui a autrefois perdue son bébé. Une erreur d’inattention et celui-ci s’est noyé dans son bain. Entrant dans une profonde dépression, elle fut internée en psychiatrie pendant quelques temps et vient tout juste d’en sortir au début du film, gardant encore une certaine faiblesse mentale. C’est pour elle que ses amis avaient organisés le voyage, afin de lui changer les idées et de veiller sur elle. Naturellement lorsque la situation devient ingérable, elle fini par perdre pied et régresse elle aussi, devenant une nouvelle petite fille pour la famille.
Ça sonne comme une conclusion à la Contes de la Crypte, un twist horrifique mais appréciable, et pourtant ça ne s’arrête pas là. Alors que la norme actuelle est de montrer les enflures psychopathes comme des héros, et de les montrer victorieux à la fin de l’aventure, ici l’œuvre ose ce qui n’a jamais été fait: renverser la vapeur et les confronter à plus fous qu’eux ! Car la nouvelle venue à malgré tout gardé des séquelles de son infanticide involontaire, et lorsque sa “sœur” manipule ce qu’elle appelle son bébé, en fait le corps momifié d’un nourrisson, c’en est trop. Croyant qu’il s’agit de son enfant, elle se rebelle et se montre prête à tout pour le protéger, quitte à massacrer ceux qui vienne tout juste de l’adopter. Ainsi débute un dernier acte façon slasher, très rapide, très court, mais que l’on avait pas senti venir. Et ça serait mentir de dire qu’on ne ressent pas une certaine satisfaction de voir ces grands tarés être mis en pièce par une personnalité encore plus instable qu’eux.
L’une des meilleurs scène, les toutes dernières minutes du film en fait, montre le père céder à la colère et aux larmes, ne comprenant pas pourquoi Dieu lui à prit sa famille alors qu’il a toujours été son plus humble serviteur. Il le renie alors dans un accès de rage, avant d’être anéanti à son tours. La dernière image du film, avant le générique, est tout bonnement mémorable. On y voit les barreaux d’une chaise qui entre dans le champ, lors d’un mouvement de caméra, faire office de barreaux de prison derrière lesquels serait enfermée l’héroïne. Un renvoi au tout premier plan du film, identique, la montrant dans sa cellule en psychiatrie.
Voilà qui rend le film inoubliable et particulièrement sombre. Laissez tomber les maniaques au couteau, les mutants affamés ou autres trucs de ce genre. La folie humaine, les choses qu’elle peut vous faire faire, voilà quelque chose de terrifiant. American Gothic l’illustre parfaitement et se montre particulièrement dépressif, n’épargnant personnage. Pour autant le film est loin d’être comme ces œuvres modernes façon Inbred, ou Détour Mortel 35, qui se croient subversives ou flippantes sous prétexte qu’elles exterminent les protagonistes en faveur de leurs bourreaux. Il n’y a pas de vulgarité ou de méchanceté gratuite ici – même lorsque l’un des garçons, cédant à l’envie de goûter le fruit défendu, attaque une de ses victimes pour la violer et l’étrangle accidentellement, se rendant coupable d’un acte nécrophile. La séquence est malsaine et horrifie même son petit frère, lequel va immédiatement rapporter ce pêché au paternel, qui sévira en conséquence.
Il faut dire que contrairement aux DTV de maintenant, il y a une véritable créativité derrière ce survival. Une mise en scène travaillé, des acteurs excellents: l’héroïne, qui se montre incroyable durant sa transformation, et naturellement toute la famille, qui éclipse aisément les performances des autres acteurs. Comment pouvait-il en être autrement avec des comédiens de la trempe de Rod Steiger (Le Docteur Jivago, Les Derniers Jours de Mussolini), Yvonne De Carlo (Les Dix Commandements de Cecil B. DeMille, et interprète de Lily Munster, dans la célèbre série The Munsters, une sorte de clone de La Famille Addams), et surtout l’incroyable et fantastiquement génial Michael J. Pollard ?
Bref, comme vous le voyez je pourrais chanter les louanges d’American Gothic pendant des heures. Le film est plutôt unique en son genre et se démarque vraiment du lot grâce à ses choix audacieux et par sa réalisation. Si vous voulez voir un film avec des vieux flippant, regardez donc celui-ci plutôt que d’aller au cinéma voir The Visit, le dernier opus de ce bras cassé de M. Night Shyamalan, qui, lui, est franchement moisi.
American Gothic
Célèbre tableau de Grant Wood qui a inspiré le titre et le poster du film
Avant de lire ta chronique, je disais « American Gothic, plus jamais ». J’avais presque détesté ce film, je le trouvais mauvais, les « gosses » m’exaspéraient, le trauma de l’héroïne me semblait un peu facile… Mais j’avoue que ce que tu en dis m’interpelle, et me convainc. En effet, c’est un film tout à fait à part, très malsain d’une manière assez inédite, et je me dis que cela a tellement bien fonctionné qu’en fait je l’ai rejeté pour cette raison, alors que maintenant je suis d’accord avec des éléments que tu soulignes. Allez, je garde le DVD, tout compte fait !
Déjà merci d’avoir lu mon texte, toujours agréablement surpris de me découvrir des lecteurs !
Ensuite si vraiment cela t’as fait changé d’avis, j’en suis très heureux. J’aime vraiment le film en ce qui me concerne mais je peux comprendre certains des reproches que tu lui faisais (les « enfants » ultra agaçant je suis d’accord, même si je crois que c’est justement le principe, pour illustrer la folie de la chose). Donc aucun problème si tu n’aimais pas le film même encore maintenant. A vrai dire, re-regarde le un jour pour t’assurer que garder le DVD est une bonne chose, juste au cas où.
Quoiqu’il en soit, merci beaucoup pour le commentaire !