Gabrielle (2001)

 

Gabrielle

(2001)

 

 

Paru en 2001 chez l’éphémère éditeur Pointe Noire (qui déposa le bilan un an plus tard), Gabrielle est la première œuvre de Kara, auteur français sous pseudonyme qui occupe ici les postes de scénariste, illustrateur et coloriste. Un petit one-shot qu’il a tenu a réaliser pour sortir au moins une BD dans sa vie, lui qui était avant tout chroniqueur pour le magazine Animeland et le site BoDoï, Explorateur de Bandes Dessinées.
Alors évidemment ce premier ouvrage est victime des défauts habituels chez les jeunes auteurs et on peut lui reprocher certaines choses. Une histoire simple et très rapide tout d’abord, qui aurait pu convenir a un récit encore plus condensé que la cinquantaine de pages ici offertes, de trop abondantes références aux artistes qui ont influencés le créateur et surtout un graphisme assez typé qui a dû en rebuter plus d’un. Autant mettre les pieds dans le plat pour se débarrasser: oui, Gabrielle fait partie de ses BD dessinées “façon manga”, et oui c’était une mode très envahissante à l’époque.
Vu le passif du dessinateur il en aurait difficilement été autrement, surtout pour un premier essai, mais que l’on se rassure ; si son chara-design et sa façon de représenter le mouvement emprunte énormément au travail asiatique, Kara possède sa propre patte et montre un trait plus traditionnel pour ce qui est des environnements dans lesquels évoluent ses personnages. En fait c’est bien simple, son travail sur les décors est tout simplement incroyable et témoigne a lui seul de l’étendu de son talent, forcément plus pointu que celui d’un simple imitateur.

 

 

Mais, s’il serait réducteur de considérer Kara comme simple copieur, il faut admettre que son récit et sa mise en image n’est pas sans évoquer certaines œuvres types Angel Sanctuary ou le X de Clamp, jugez plutôt:
L’histoire est celle de deux Archanges aux corps de petites filles, Gabrielle et Raphaëlle, en mission sur Terre depuis de nombreux siècles. La première est subitement prise de folie meurtrière et massacre hommes, femmes et enfants tout en tenant des propos énigmatiques. Sa sœur mène l’enquête, incapable de comprendre comment celle qui était un être de bonté a pu devenir un tel monstre, mais découvre que cette affaire est étroitement liée à la perte de contact entre les mondes mortels et divins.
Bien vite il apparaît que le Paradis et ses créatures ont été détruites par un cataclysme d’origine inconnu, laissant les deux anges seules survivantes. Raphaëlle comprend alors que la confrontation avec sa semblable est inévitable puisque celle-ci a fait un pacte avec un démon de l’Enfer: en échange de ses services, ils lui accorderont refuge dans leur monde pour l’éternité…
Autant dire que le récit ne brille pas son originalité et que cette habituelle lutte du Bien contre le Mal sous fond de religion chrétienne (grandement détournée) a déjà été utilisées maintes et maintes fois auparavant.

 

Fort heureusement Gabrielle est très loin d’être une histoire aussi banale qu’elle ne le paraît et va même nous épargner l’argument théologique qui n’est finalement qu’une toile de fond, et surtout un prétexte pour évoquer des thèmes universels comme la morale, l’immortalité, la foi et le doute. Pas un seul instant Kara ne fait de la propagande religieuse et cela évite au lecteur athée ou de conviction autre d’être abruti par un argumentaire qui sonne dans le vide.
En fait l’auteur semble n’avoir utilisé ce contexte que pour toucher plus facilement a certains sujets et donner une problématique évidente à ses personnages principaux (si le Paradis n’existe plus, que devient un Ange coincé entre la Terre et l’Enfer ?). Le cœur du récit reste évidemment la relation conflictuelle qu’entretiennent Gabrielle et Raphaëlle, l’une s’accrochant désespérément à ses valeurs tandis que l’autre change de voie puisque réalisant l’inutilité de sa fonction. Les dialogues échangent autour du sens de la vie divine, du conservatisme et de la nature humaine qui s’est trouvé une alternative à la vision manichéenne des choses: on ne voit pas les choses en noir et blanc, mais en gris.
Un tel discours pseudo philosophique (soyons clair, cela ne sert que l’intrigue et Kara ne tente pas une analyse véritable de l’Humanité) pourrait vite montrer ses lourdeurs et devenir rébarbatif, voir carrément dévoiler la nature pompeuse ou prétentieuse de son auteur, mais honnêtement cela reste acceptable car intégré au récit. Aucune de ces déclamations ne paraît hors sujet ni ne viennent ralentir la progression narrative.

 

 

Car en l’état les seules références bibliques que l’on peut trouver sont quelques noms (une fillette se prénomme Eve et son chat Lilith) et œuvres d’arts d’origines antiques ou mythologiques qui apparaissent dans le Musée de l’Homme où réside Gabrielle.
Tout s’explique lorsque l’on découvre que Kara dispose en fait d’une formation en Histoire de l’Art et qu’il souhaite rendre hommage à cette multitude de merveilles de création qu’il a découvert avec le temps. La présence du musée n’est évidemment pas un hasard, pas plus que les quelques scènes qui se déroule sur Tanis, une véritable ville-bibliothèque abritant des millions de livres. On peut tout aussi bien y découvrir les titres d’ouvrages de références tant réels que fictifs (le Necronomicon, bien sûr), tandis que les bâtiments abritent diverses sculptures et objets d’Art faisant écho à différents patrimoines.
La BD elle-même est accompagnée de la locution latine “Et in Arcadia Ego” sur sa page de garde, une phrase dont l’interprétation compliqué trouve pourtant bien résonance dans les thèmes qu’évoque ici Kara (l’Art et la Mort). Alors certes cela peut paraître compliqué ou poussif, mais le résultat final est pourtant assez léger et le lecteur pourra sans problème passer a côté de tout ça et ne rien manquer de l’histoire !

 

 

Maintenant, évidemment, Kara ne manque pas une occasion de mêler le fond et la forme, et c’est là qu’entre en considération son graphisme. Non pas l’aspect “manga” dont j’ai parlé plus haut, mais celui plus habituel pour l’arrière-plan. Le moindre décors apparaît comme grandiloquent et théâtral, qu’il s’agisse des serres privées d’un riche parent, de l’intérieur majestueux du musée à l’abandon et des ruelles-bibliothèques de Tanis. Tout apparaît comme immense et très fouillé, gorgé de petits détails qui évoquent des siècles de cultures et de trésors humains. On peut même, sans rire, feuilleter la BD uniquement pour contempler ces illustrations, comme un artbook.
Cette mixture incroyable de connaissances ne se limite pas seulement à l’univers fictionnel de Gabrielle mais également dans son aspect général puisque s’y mêle Steampunk, Cyberpunk, Chine féodale, Renaissance et Belle Époque. Et bien sûr le style “manga” est impossible a ignorer tant dans le design de certains personnages que dans la manière de représenter les deux anges: des jeunes filles prépubères qui savent se battre à l’épée mieux que personne, capable de terrasser des ennemis dix fois plus gros qu’elles et, dans le cas de Gabrielle, affichant une mine déconfite lors des séquences d’expositions, comme pour gagner une aura mystérieuse autour de son passée et de ses actions.
Il va sans dire que cette innutrition peut vite devenir indigeste et donne à la BD une étrange atmosphère un peu autre, qui n’est pas sans renvoyer aux histoires que l’on trouvait dans les pages de Métal Hurlant, jusqu’au twist final qui vient offrir une nouvelle perspective au récit. Autant être prévenu. C’est très loin de vouloir dire que c’est mauvais, mais ce n’est évidemment pas traditionnel et au goût de tous.

 

 

Suite a sa première édition aujourd’hui épuisée, la bande-dessinée a été sauvé du néant par l’éditeur Soleil, chez qui s’est justement réfugié Kara peu après pour créer sa nouvelle œuvre. Elle fut republiée en 2003 sous le label Soleil Levant, en même temps que le premier tome du Miroir des Alices, et a gagné une nouvelle couverture ainsi qu’un document de quatre pages intitulé Genèse. Celui-ci, long de quatre pages, semble revenir sur la confection de la BD mais je ne l’ai pas lu et je ne peux donc pas témoigner du contenu.
En revanche ce que je peux dire, c’est qui si aucune suite n’a jamais été donnée à ce one-shot, Kara avait laissé une fin (relativement) ouverte juste au cas où pour permettre une telle possibilité. Selon lui, cette séquelle intitulée Raphaëlle se serait déroulée quelques heures ou journées après la fin du premier album, et aurait trouvée sa conclusion environ 8 milliards d’années plus tard durant la fin du monde ! Elle ne sortira évidemment jamais, puisque lors d’une interview en 2009 Kara avait confié que seule une poignée de fans se risqueraient a acheter ce second tome huit ans après le premier. En outre son évolution graphique risquerait de jeter le trouble quant à savoir si cette suite serait belle et bien du même auteur.
C’est une évidence mais j’aurai été très curieux de voir ce qui serait advenu de cet univers aux portes de l’Apocalypse, maintenant que Dieu et les siens n’existent plus.

 

 

 

   

 

   

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