The Keep (1981)

La Forteresse Noire

The Keep

(1981)

 

Le pitch est simple, mais accrocheur. Lors de la Seconde Guerre Mondiale, l’armée Allemande envoie un groupe de soldats en Transylvanie afin d’occuper un château abandonné, lieu qui s’avère être le meilleur poste de surveillance en cas d’attaque des Russe près de réseaux pétrolier. Mais les soldats libèrent une puissance maléfique ancienne qui les massacre durant la nuit. L’armée expédie alors un groupe de SS pour mettre fin à ce problème mais cela ne suffit pas et il faudra aux Nazis l’aide d’un vieux Juif handicapé, expert en démonologie, pour tout arrêter. A cela se rajoute un personnage étrange, parcourant le monde en guerre pour atteindre le château le plus rapidement possible.

C’est avec cet ouvrage que se fera connaître du public Francis Paul Wilson. Malgré un sujet des plus particulier et une histoire finalement assez courte, il signe un chef d’œuvre du gothique. L’atmosphère pesante est palpable, la peur des soldats se fait ressentir et la puissance maléfique, ainsi que son efficacité, est écrasante. De même les personnages que représentent l’être ténébreux libéré et l’homme mystérieux cherchant à se rendre au donjon par tous les moyens éclatent de charisme. Le château en lui-même est imposant. Ni vraiment forteresse, ni vraiment donjon, étrangement positionné, possédant une architecture assez particulière et dont les murs sont truffés de croix étranges, l’endroit inquiète et donne le ton au récit, aidé par le paysage si particulier de la Transylvanie.

A la page des remerciements, l’auteur mentionne le célébrissime Howard Phillips Lovecraft mais aussi Robert Ervin Howard, écrivain correspondant de Lovecraft et entre autres créateur de Conan le Barbare. Si les deux cités possèdent des liens à travers leurs fiction (les créatures innommables de Lovecraft se retrouvaient souvent dans les aventures de Conan) , ils avaient cependant leurs propres styles d’écriture (ambiance horrifique “contemporaine” pour Lovecraft, heroic fantasy épique pour Howard). Wilson réussi toutefois la tâche incroyable de réunir les deux esprits au sein de la même œuvre.

Ainsi, si les Grands Anciens n’apparaissent pas, on retrouve de nombreuses références à des ouvrages interdits cités par Lovecraft (Le Livre d’Eibon, le Al Azif, alias le Necronomicon) ainsi que l’idée d’une menace invisible, d’un Mal indescriptible (dans un premier temps), qui renvoie immédiatement à ses œuvres. La seconde partie du livre, lors de la présentation totale du Mal Ancien et l’arrivée de l’étranger, évoque plutôt Howard avec son action et ses duels incroyables, ses anciennes civilisations et entités surhumaines. Le tout avec un équilibre parfait, ne tombant jamais dans le ridicule malgré le changement flagrant d’orientation de l’histoire et d’ambiance.

Il faut dire que Wilson renouvelle complètement un mythe du Fantastique et de l’Horreur: celui du vampire. Car l’idée d’un château en Transylvanie fait obligatoirement penser au Dracula de Bram Stoker. Et en effet, Vlad Tepes y est vaguement évoqué. Mais il n’est pas question du célèbre Comte, pas plus qu’il n’est véritablement question de vampire. Si toutefois le propriétaire du château est assimilé comme tel (sa présence élégante par exemple), les questions posées sur le mythe et tout ce qui en découle (l’ail, le reflet dans le miroir, le soleil, etc) est utilisé de façon intelligente par le biais du démonologue. Ce dernier, cherchant à savoir la différence entre la réalité et la fiction, se retrouve perdu par instant dans un certain manque de logique. Quelque chose cloche sans que l’on sache vraiment quoi.

En fait, Wilson utilise intelligemment un être maléfique hautement plus dangereux qu’un simple vampire pour montrer la création du mythe. Car il n’est pas question d’un suceur de sang dans cette histoire mais bien du Mal lui-même. De son incarnation sous forme humaine. Intelligent, celui ci se sert du folklore des lieux et du contexte historique pour semer la zizanie et se trouver un chemin vers le reste du monde. Contre lui s’élève sa Némésis, un être lui aussi immortel et pouvant avoir des points communs avec le vampire. Le combat classique du Bien et du Mal revisite les mythes surnaturels, permettant à l’intrigue d’évoluer dans un sens inattendu mais très intéressant.

Il est bon de noter aussi le comportement humain au travers de l’œuvre. En effet, la présence du Mal ancestral, bien que terrible, semble parfois très futile face aux évènements mondiaux. Les Nazis, la description de leurs actes ainsi que du plan secret qui les poussent à se trouver en Transylvanie (créer un second Auschwitz), donne l’impression qu’un autre Mal, bien plus terrible, est déjà sur Terre. Ce qui permet donc un partage intéressant des points de vue entre le Juif, souhaitant utiliser le Mal primitif contre les Nazis, et sa fille, se méfiant au contraire de la créature sanguinaire et montrant un minimum de croyance envers sa propre espèce. Un dilemme intéressant que ce choix d’utiliser le Mal pour détruire un autre Mal.

Dans le même ordre d’idée, il est grandement fait état du comportement des soldats Allemands, et plus particulièrement des deux dirigeants des troupes. Un peu à la manière dont le Mal et le Bien s’affrontent à la fin du livre,le livre nous montre la différence de méthode des deux hommes. L’un menant les soldats de l’armée Allemande, l’autre des officiers SS. La différence entre l’Armée et les Nazis est bien montrée à travers l’honneur du soldat et de la sauvagerie des SS. Cette différence transparaît sur les personnages eux-mêmes, l’un militaire et homme de parole s’étant battu pour son pays lors de la Première Guerre Mondiale, l’autre un lâche ayant fuis le champ de bataille pour se ranger derrière Hitler et en profiter pour s’élever. L’aspect psychologique est tel qu’il est même plus intéressant à suivre que le facteur Fantastique de l’histoire, tant les relations et les sentiments sont décrits avec brio. Ce qui contribue à rendre l’œuvre de Wilson encore meilleur.

Toutefois, il est à noter un défaut certains (hormis la court durée du livre qui se lis trop facilement , mais est-ce vraiment un problème ?): si le roman se termine d’une manière abrupt et vraiment sèche dans son dernier chapitre, quelques pages formant un épilogue viennent gâcher tout ce dernier passage par un happy end tranchant complètement avec le reste, et semblant tellement exagéré qu’il parait hors sujet. Rien de plus énervant que de voir une œuvre d’une noirceur pareille se terminer sur une histoire d’amourette des plus inutiles et inintéressantes (et prévisibles, les sentiments des personnages étant explicites durant les derniers chapitres). A part ce soucis un peu gênant en ce qui concerne l’ambiance générale (que l’on peut éviter si l’on occulte ces quelques pages), The Keep est un petit bijoux du roman horrifique et gothique. A lire absolument.

 

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