Amazing Stories (1.19) – Mirror, Mirror (1986)

ROAD TO HALLOWEEN V

 

 

Amazing Stories

Mirror, Mirror

(1986)

 

 

Amazing Stories, chez nous Histoires Fantastiques, était la tentative partiellement ratée de Steven Spielberg de créer sa propre série d’anthologie dans la veine de La Quatrième Dimension et Alfred Hitchcock Présente. Produite sous la bannière Amblin Entertainment, a qui l’on droit quelques chefs d’œuvres nostalgique comme E.T., Retour vers le Futur ou Gremlins, elle diffère cependant de ses concurrents d’alors (Tales From the Darkside ou le premier revival de Twilight Zone) en proposant des contes touchant plus à l’étrange et aux merveilleux qu’au mystère et à l’épouvante. En gros, Spielberg oblige, il s’agit d’une version tout public du même concept, et la musique guillerette de John Williams est là pour nous le rappeler constamment. Limite caricaturale, elle offre une envolée lyrique plutôt niaiseuse et clairement conçue pour appâter les bambins. Même chose avec le générique – friqué – qui vous balance à la tête tout un tas d’images en CGI primitifs: livres, parchemins, crânes, fantômes, chapeaux de magicien, chevaliers, vaisseaux spatiaux…
Autant d’éléments qui, dans l’imaginaire des bambins, sont liés à des histoires… fantastiques. Et si ce générique peu sembler désuet, il a au moins pour lui de s’ouvrir et se conclure de façon magistrale: on commence sur un clan d’hommes des cavernes se racontant des histoires devant un feu de camp, et on termine sur une famille plantée devant sa télé pour regarder… cette première séquence ! Une belle représentation de l’évolution du storytelling à travers les âges.

 

 

Mais derrière cet univers gentillet se cache une face plus sombre (“a place that is just as real, but not as brighlty lit… a dark side…” dirait un certain narrateur rival), finalement bien plus en phase avec le magazine pulp original qu’était Amazing Stories, dont les récits n’étaient pas toujours heureux. En fait nombreux sont les réalisateurs qui préférèrent tendre à des intrigues plus sombres, plus adultes, et ne rentrant pas toujours dans le cahier des charges imposés: on y trouve de la Teensploitation lorgnant vers la sex comedy (Miscalculation, où une potion magique amène la pin-up d’une revue Playboy dans notre réalité) ou encore la contribution de Paul Bartel (Secret Cinema) qui reste fidèle à lui-même en faisant une hilarante satire de l’industrie du cinéma, et inventant les dérives de la télé-réalité avant même que celle-ci n’existe. Mais il y a aussi de nombreuses histoires horrifiques dignes des EC Comics et pas vraiment destinées à un jeune public malgré leur humour, comme Go to the Head of the Class où un Christopher Lloyd décapité poursuit ses bourreaux, la tête dans les mains.
Et il y a Mirror, Mirror, qui lui n’essaye même pas de prétendre. Aucun humour, aucun personnage fanfaron, un point de départ très sérieux et une conclusion si méchante qu’elle laisse le spectateur pantois lorsque s’enchaine le générique et sa musique pour bambins qui fait très tâche après l’ultime image de cette femme prostrée de terreur ! L’histoire est pourtant signée Spielberg, seulement voilà, c’est le légendaire Martin Scorsese qui réalise !

 

 

Et oui, l’auteur de Taxi Driver a fait ses débuts à la télévision via Amazing Stories et s’est retrouvé avec un épisode qui fait dans l’horreur basique, primaire, ne nécessitant aucune intellectualisation. Bien sûr de nombreux analystes auront décortiqués sa mise en scène et ses références afin de glorifier le réalisateur (qui n’en a pas besoin) et de survendre son travail, mais ne soyez pas dupe: Mirror, Mirror n’est pas une perle oubliée qui détonne du reste de la série, et n’a aucune incidence sur la carrière de Scorsese. Je pense même que celui-ci s’est prêté au jeu du conte d’épouvante simple, expérimentant juste avec le format et le budget télévisé dont il n’avait pas l’habitude sans chercher à révolutionner quoique ce soit. Naturellement il demeure un maître en son genre et offre à son court-métrage une élégance que l’on ne retrouvait pas dans le paysage télévisuelle d’alors. C’est élégant, avec de nombreuses trouvailles et des décors remarquables.
Au scénario on retrouve son comparse Joseph Minion, responsable du script de son précédent film (After Hours) et qui plus tard signera le très sous-estimé Vampire’s Kiss avec un Nicholas Cage au sommet de son art. Adaptant l’idée de Spielberg, il s’intéresse au cas de Jordan Manmoth, une sorte de Stephen King en pleine tournée promotionnelle de son nouveau livre, Scream Dreams. En ressort que, s’il terrorise son public, il est lui-même totalement imperméable à la notion de Peur, ne craignant que les aléas de la vie quotidienne: agents, avocats et ex-femmes.

 

 

Au cours d’une conversation il va commettre l’erreur de regretter cette situation, prononçant les mots “I wish I could get scared”. Immédiatement, il va devenir victime d’une situation difficile: aussitôt qu’il regarde à travers un miroir, ou toute surface réfléchissante, un être défiguré vêtu de noir apparaît derrière lui, avec un garrot et cherchant à le tuer. Peu importe l’endroit, peu importe le moment de la journée, ce “Phantom” parvient à se rapprocher toujours un peu plus, et personne ne peut l’aider. Nul autre que lui peut voir le monstre et il semble devenir fou, ce qui lui vaut de passer quelques temps en cellule. Son seul espoir réside en la présence de son amie Karen, qui n’est pas insensible à sa détresse. Ensemble ils recouvrent chaque surface brillante de sa demeure afin de le protéger mais il suffit qu’un journaliste débarque pour que l’écrivain puisse voir la créature à travers l’objectif d’une caméra, et celle-ci commence maintenant à l’étrangler. Comment le pauvre homme va t-il pouvoir se sortir de ce cauchemar ?
Spoiler: il ne peut pas ! Avec une vingtaine de minutes au compteur Mirror, Mirror fonce à toute allure, harcèle son personnage principal et ne lui offre jamais aucun indice, aucune information quant à son agresseur. Manmouth est dans la même galère que les victimes de It Follows mais sans pouvoir refiler sa malédiction à quelqu’un d’autre. Et alors qu’il tente de trouver un peu de réconfort auprès d’une jolie femme, son sort se scelle lorsqu’il la regarde droit dans les yeux… pour voir le Phantom sur sa cornée !

 

 

La fin est difficilement explicable à vrai dire, mais l’absence de toute règle ou de toute mythologie permet de l’accepter malgré tout. Et donc après s’être débattu un bref instant sous l’emprise maléfique qui cherche à l’étrangler, l’auteur apparait subitement sous les traits du monstre comme s’il avait été transformé. Mais la victime n’a pas échangé sa place avec le mystérieux individu, seul son corps en a prit l’apparence ! Perdu, effrayé, Manmoth se retrouve avec un visage difforme, ne pouvant que hurler. Sa dernière décision sera de se jeter par la fenêtre, laissant derrière lui une pauvre Karen médusée par ce que vient d’arriver…
En soit, ce twist final est un peu faiblard et cliché, mais c’est l’absence de toute explication et de toute justice qui le rend intéressant. Jamais le personnage principal n’est présenté comme une ordure qui mérite ce qui lui arrive, un arnaqueur ou même un artiste maudit qui serait obsédé par ses créations. Son seul tort est d’envoyer chier un pauvre gamin qui le poursuit depuis plusieurs jours, se présentant comme son meilleur fan mais espérant surtout lui refiler son propre manuscrit afin d’avoir un avis. Oui l’écrivain réagit sans doute de façon trop excessive en l’envoyant promener, mais il n’est jamais agréable de voir un stalker revenir sans cesse à la charge au point de vous attendre devant votre domicile afin de vous coincer. Le héros ne mérite tout simplement pas son sort…

 

 

En cela il est difficile de croire que le sujet ait été inventé par Spielberg lui-même, et du coup il est plus probable que celui-ci ait simplement donné le point de départ, laissant au scénariste la liberté de poursuivre l’intrigue comme bon lui semble. Et vraiment la musique de la série est tellement hors sujet pour l’occasion, qu’il y a de forte chance pour que vous éclatiez de rire aussitôt que résonne le générique tant le décalage est énorme. Ce fut mon cas. Presque dommage du coup que la chose ne soit pas indépendante puisqu’elle se serait faite remarquée partout ailleurs par le seul nom de son réalisateur. Surtout que là où Spielberg s’intéresse à la relation enfant / vieillard, aux bons sentiments et à une Amérique idéale de carte postale, Scorsese se prend pour Joe Dante et multiplie les clins d’œil aux films de genre: l’épisode s’ouvre sur un extrait de L’Invasion des Morts-Vivants de la Hammer (supposément une adaptation d’un des livres de Manmoth), on trouve des posters de faux films comme Eyes of Terror (où l’on peut reconnaitre ceux de Boris Karloff) et The Killer’s Hand et bien sûr le nom de l’antagoniste, Jordan’s Phantom, est un renvoi au Fantôme de l’Opéra. La transformation finale pourrait être une référence au Portrait de Dorian Gray tandis que certains plans sur les yeux évoquent Psychose.

 

 

Le cinéaste va jusqu’à défendre la communauté horrifique des attaques incessantes de la bonne morale: alors qu’un journaliste se plaint d’être révulsé par des scènes sanglantes, Manmoth réplique avec sarcasme en déclarant que si une bonne décapitation ne le dérange pas, ce sont les scènes d’amour qu’il trouve trop fortes, car cela devrait rester privé ! Après l’interview, on peut le voir soupirer, dépité par la conversation et avouant qu’il déteste avoir à promouvoir ses œuvres. Vu les scènes très violentes que l’on retrouve dans la filmographie de Scorsese, nul doute qu’il a dû vivre la même chose de son côté.
Dommage que, très occupé par celle-ci, il n’a jamais vraiment retenté l’expérience après cela. Parmi ses rares essais notons quand même le première épisode de Boardwalk Empire, conçu a une époque où la série télé commence à devenir très respectable et encore plus cinématographique que le cinéma. Et pour conclure, un petit mot sur le casting: dans le rôle principal, un tout jeune Sam Waterston alors bien loin de son rôle récurrent de Jack McCoy de Law & Order. Son double maléfique ? Il est interprété par un inconnu qui a fait bien du chemin depuis: Tim Robbins ! Sous la couche de latex et de maquillage il est totalement méconnaissable, la structure même de son visage ayant été altérée…

 

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