Tomb of Dracula
(1980)
Bonkers. Il n’y a pas vraiment d’autres mots pour qualifier ce Dracula, ou Tomb of Dracula, ou 闇の帝王 吸血鬼 ドラキュラ de son vrai titre (Dracula: Le Vampire Empereur des Ténèbres), qui est l’une des choses les plus folles que vous verrez jamais à propos du célèbre Comte. Sur le papier le concept était pourtant simple: une adaptation animée de la série Tomb of Dracula de Marvel Comics, où le personnage est ramené à la vie au XXème siècle et sème la terreur de part le monde, se retrouvant poursuivit par divers chasseurs de vampires (dont le fameux Blade, au look très disco-seventies) quand il ne rencontre pas quelques super-héros comme Doctor Strange ou les X-Men. Certains pourront trouver étrange que ce partenariat entre La Maison des Idées et la Toei se soit fixé sur un protagoniste plus Épouvante que Héroïque, et il y a sans doute diverses raisons à cela. Peut-être que le prix de la licence était moins élevé en fonction de la popularité du personnage, ou peut-être que le Japon désirait utiliser une figure reconnaissable de tous, Dracula demeurant plus établi au pays du soleil levant que Luke Cage ou Dazzler.
Mais il convient aussi de rappeler que dans les années 70 Marvel pensait que le genre du super-héros étant mourant et que l’avenir résidait dans l’horreur. Des personnages comme Ghost Rider, l’Homme-Chose, Jack Russell le loup-garou ou Morbius étaient censé être le fer de lance de cette nouvelle génération, et non des personnages secondaires pour les histoires de Spider-Man. Le deal a donc pu être conclu à l’époque où la compagnie pensait encore prendre cette direction avant de se raviser. Mais le fait est que cette version ne retient rien de Tomb of Dracula, si ce n’est quelques noms et le look rétro du Comte, inventant sa propre histoire qui part littéralement dans toutes les directions et donne parfois l’impression de regarder un condensé de trois saisons d’une série télé tant la narration se fracture au fil du temps, au point de finir par enchainer de courtes vignettes épisodiques reliées par un fil rouge. Pas un mal cependant, car en 90 minutes Tomb of Dracula nous balance tant de choses à la tronche qu’il est impossible de s’y ennuyer.
Le point de départ paraît pourtant simple: Drake, un expert en arts-martiaux et descendant humain de Dracula (son propre ancêtre ayant été engendré avant que celui-ci ne devienne vampire), est recruté par les petits-enfants de Harker et Van Helsing (qui dans cet univers ont été tué lorsqu’ils tentèrent de détruire le Comte) afin de traquer son terrible aïeul et mettre fin à son règne de terreur. Quelle n’est pas leur surprise lorsqu’ils découvrent que celui-ci réside désormais en Amérique du côté de Brooklyn, et file le parfait amour avec une humaine ! Dès lors ces personnages disparaissent pour ne revenir que par intermittence, servant plus à résumer les faits et balancer des dialogues d’exposition qu’autre chose, tandis que l’étrange affaire de Dracula devient le cœur de l’intrigue. Du pur high concept où le suceur de sang a été créé par Lucifer en personne, ressuscité et couronné Roi des Vampires afin qu’il plonge le monde dans le Mal en son nom. Une malédiction pour le Comte, qui après avoir terrorisé le Vieux Continent pendant des siècles à dû fuir aux USA pour échapper à ses nombreux ennemis.
Une nuit il décide de perturber la messe noire d’une secte satanique, laquelle s’apprête à sacrifier une volontaire pour l’offrir au Prince des Ténèbres. Kidnappant la jeune femme dans l’idée d’offenser son créateur, Dracula va aussitôt tomber amoureux d’elle et refuser de boire son sang. Un an plus tard ils deviennent les parents d’un petit Janus, qui tel Jesus Christ va naître à Noël. Hélas Satan est bien décidé à se venger de l’affront subit et contacte ses fidèles pour tendre à piège à la famille. L’enfant est assassiné et Dracula disparait, abandonnant sa femme qui va vouloir mettre fin à ses jours suite à ce drame. C’est là que Dieu intervient, ramènant Janus à la vie sous la forme d’un adulte aux pouvoirs sacrés et avec la mission de tuer son propre père ! Mais s’il renie son fils, Dracula va tout de même protéger son épouse de la fureur du Diable, et après une brêve confrontation en Enfer il perd tous ses pouvoirs à son retour, redevenant humain et vulnérable, bien que cela le protège du coup de Janus et des chasseurs qui ne veulent pas devenir des meurtriers.
L’anime se désagrège complètement à partir de là, promenant Dracula à droite et à gauche dans sa quête pour retrouver son inhumanité. A New York il retrouve Lilith, un autre personnage de Marvel qui apparaît ici comme une simple prédatrice ravageant la Grosse Pomme sans que Drake et compagnie ne fassent rien pour l’en empêcher. En Transylvanie il apprend que ses semblables l’ont rejetté en faveur d’un nouveau roi des vampires, Torgo (aucun lien avec Manos et d’ailleur le doublage japonais évoque plutôt un Tomo), choisi par Lucifer pour le remplacer, et aucun de ces suceurs de sang ne comptent infecter le Comte pour lui rendre sa non-vie. Au final c’est se retrouver dans son propre château qu’il renoue avec ses origines maléfiques, où l’attendent au tournant les “héros” dont l’un est si déterminé à venger la mort de sa famille qu’il est prêt à se suicider pour emporter Dracula dans la tombe… The Tomb of Dracula ! Un sacré programme auquel il faut ajouter tout un tas de détails délirants.
Ainsi le vampire est doté de crocs luisants et de yeux rouges clignotants, et,sur une carte les épingles marquant ses attaques forment une chauve-souris. Le film n’hésite pas à le montrer tuer des femmes, pas plus que la mort de son bébé, frappé d’une balle en argent alors qu’il dors dans les bras de sa mère. Pendant ce temps Lilith permet un soupçon de nudité le temps d’une douche et balance un hilarant “ara ara” lorsque Dracula lui demande de l’aide. Quincy Harker se balade dans fauteuil roulant dont les roues ont des rayons en argent et son chien White God, un molosse noir (!), est né dans une église, possède un crucifix autour du cou et ne bois que de l’eau bénite. Lucifer est présenté comme le “Roi des Satans” et Janus affiche un look angélique à l’opposé total de son père avec cheveux blonds, habits de lumière façon super-héros et la capacité de se changer en oiseau de feu tel un phoenix. Et puis il y a cette fameuse scène où Dracula, mortel, affamé et épuisé, menace un quidam pour lui piquer son portefeuille puis s’enfile un hamburger au fast food du coin.
Aussi involontairement comique que ce soit cette scène – et de nombreuses autres, les japonais semblent avoir voulu respecter le personnage autant que possible, notamment à travers un flashback montrant son passé de façon plutôt fidèle puisque le présentant comme un monarche respecté et un guerrier qui défendit son peuple contre l’envahisseur turc. Les empalements ne sont pas décrit comme une méthode d’exécution barbare mais une mise en scène faite à partir de cadavres pour effrayer l’ennemi, et le narrateur rappelle que si pour beaucoup Dracula est synonyme de monstre, il est naturellement considéré comme un héros dans sa patrie d’origine. Bien sûr le scénario exagère parfois un peu, comme lorsqu’il prétend qu’Attila le Hun s’est battu contre lui malgré un écard d’environ 1000 ans entre leurs règnes respectifs, mais que voulez-vous. Dracula est bonkers. Cela n’empêche pas notre suceur de sang préféré d’avoir droit à sa rédemption lorsque, retournant chez lui dans l’espoir de damner son âme, il se retrouve à sauver des enfants d’une bande de morts-vivants.
Et puis il y a quelque chose de fondamentalement fascinant dans l’idée que sa simple existence offense autant Dieu que le Diable, faisant de Dracula une sorte de super représentant de la race humaine, capable aussi bien du pire que du meilleur selon les circonstances. Le Japon n’est d’ailleur pas étranger avec l’idée, notamment à travers la longue saga jeu vidéo des Castlevania, dont le premier opus débarqua quelques années plus tard. On sera quand même surpris d’apprendre que le scénariste, Tadaaki Yamazaki, n’était pas un débutant puisqu’il bossait dans l’industrie depuis déjà dix ans avec quelques épisodes de Devilman, Lupin III et des Moomins sous le bras, et même le film La Jeunesse de la Bête de Seijun Suzuki. Le réalisateur, Minoru Okazaki, était lui aussi un vétéran qui oeuvra notamment sur les différentes séries Dragon Ball, de l’original à GT, mais aussi sur diverses déclinaisons de Cyborg 009, Dr. Slump et Lady Oscar. De toute évidence leurs expériences assurent un minimum de tenue visuelle à ce Tomb of Dracula qui n’a rien d’une grosse production puisqu’il s’agit en fait d’un téléfilm, ou TV special.
Difficile d’accès pendant longtemps, la version originale de l’anime est désormais facilement trouvable sur Internet mais ce ne fut pas toujours le cas, et pendant un temps la chose ne fut disponible que dans une version sévèrement tronquée et titrée Dracula: Sovereign of the Damned. Une édition Harmony Gold, bien connu des weaboos pour avoir bidouillé Robotech, une série composite fabriquée à partir de trois shows japonais différents à grand renfort de montages hasardeux et de mauvais doublages. Ils persistent et signent avec leur version, ramenant justement quelques voix de Robotech pour l’occasion et nous gratifiant de répliques délirantes (le vampire est ainsi “unliving yet undead” nous balance le narrateur qui ne doit pas savoir ce qu’est un synonyme). Déjà que le film original frôlait plus d’une fois la caricature avec ses excès et sa musique qui sombre plus d’une fois dans un disco ringard…
Probablement commandité dans le même deal, les aventures du Monstre de Frankenstein vinrent l’année suivante avec 恐怖伝説 怪奇 ! フランケンシュタイン (ou Frankenstein: L’Horrible et Mystérieuse Légende), supposément une adaptation de la série BD The Monster of Frankenstein mais dont l’intrigue n’a cette fois absolument aucun rapport, trouvant plus son inspiration du côté du roman original mais avec d’énormes divergeance. Après cela les rapports entre Marvel et le Japon continua de fleurir au fil des ans, avec d’autres animes (Blade, Iron Man, Wolverine et X-Men en partenariat avec le studio Madhouse) et diverses collaborations en bandes-dessinées (Tsutomu Nihei sur Wolverine: Snikt !, Yoshitaka Amano sur Elektra & Wolverine). Près de quarante ans plus tard, le Comte Dracula emprunta quant à lui le chemin inverse puisque c’est la saga nippone Castlevania qui connu une adaptation animée aux États-Unis via Netflix, pour un résultat qui lui aussi ignore de nombreux éléments des jeux pour proposer ses propres idées, quitte à s’éloigner drastiquement du modèle de base.
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