Gore #54
Terminus Sanglant
(1987)
“Essai littéraire ou arnaque” demande Le Bel Effet Gore à propos de ce second ouvrage signé Michel Honaker. Ni l’un ni l’autre mon capitaine, plutôt un étrange hybride entre le splatterpunk obscène et le roman gothique atmosphérique, deux styles opposés qui se marient d’ailleurs assez mal mais qui ont le mérite d’oeuvrer de concert pour redorer le blason du vampire, créature trop souvent malmenée par le genre. Au lieu de déconstruire le mythe comme beaucoup d’auteurs prétentieux se plaisent à le faire, Honaker cherche plutôt à le remettre en forme, le ramener à ses racines terrifiantes. Pas de chochottes en robe Victorienne ici, mais des cadavres décomposés qui grouillent d’immondices, rampent au sol comme des bêtes et mettent leurs victimes en pièces pour s’amuser. S’inspirant pas mal de H.P. Lovecraft, l’histoire met en scène un musicien de Providence qui se retrouve coincé dans un vieux train par une nuit sombre.
Comme dans Le Cauchemar d’Innsmouth, ce moyen de transport quasiment désert l’éloigne de la civilisation et le dépose à Blackpit Junction, un trou perdu au milieu de nulle part où il n’y a pas âme qui vive. Il s’y retrouve coincé lorsque son convoi se volatilise sans explication et doit passer la nuit dans un village fantôme. Il réalise alors que la région est figée dans le temps, cette nuit éternelle ayant piégée la population et d’autres voyageurs bien avant lui, et que les Buveurs y règnent, attrapant quiconque s’aventure sur leur territoire pour s’en repêtre. Seuls quelques survivants demeurent, entassés dans les rares maisons où les monstres ne peuvent pas entrer puisqu’ils n’y ont pas été invité, et notre protagoniste se réfugie bientôt dans l’une d’elle… non sans avoir été mordu d’abord. La transformation est inévitable et son seul espoir réside dans la tâche impossible d’exterminer Mathon, maitre des vampires et gamin vieux d’un millénaire.
Daniel Riche, le directeur de la collection, semble ne pas avoir beaucoup d’estime pour ce livre, et le résultat n’est effectivement pas très représentatif de la collection. Si gore et grivoiserie il y a, cela n’est qu’un détail dans un ensemble plus centré sur l’ambiance, et certaines séquences dégoûtantes semblent avoir été rajoutées en aval pour satisfaire le cahier des charges. Bien que le récit fasse état de Nosferatus putrides et sadiques, on pourrait retirer les descriptions de leurs méfaits sans que cela ne change vraiment les choses. Cela dit l’écrivain a retenu sa leçon depuis Canyon Rouge et se lâche beaucoup plus: une hache plantée dans une gorge bute contre les vertèbres cervicales, un type est empalé sur un portail de fer de manière à le garder fermé, un autre est embarqué dans les airs et son corps déchiré fait pleuvoir du sang sur ses camarades, une fontaine est remplie d’hémoglobine et de viscères, avec des sexes coupés enfoncés dans la bouche des gargouilles qui la décorent… Une pioche est plantée dans un crâne, un pieu dans un anus (“faisant éclater les sphincters”) et des morts-vivants font la fête dans une taverne, versant un verre au héros affolé.
Celui-ci trouve même le moyen de se coincer accidentellement la verge dans le sexe gluant d’une Buveuse, victime d’une érection lors de l’attaque. Le livre aurait peut-être gagné à éviter ces scènes de sexe dépourvues d’érotisme, comme cette longue masturbation offerte par une héroïne décrite comme crasseuse, puante et pas très belle, et il faut bien dire que le protagoniste est trop passif, servant plus d’observateur que de réel participant, chose que la narration à la première personne souligne beaucoup trop. On lui aurait préféré ce chasseur de vampires dont l’apparence évoque le dieu Odin (ou Wotan comme indiqué ici) quand il se déguise pour visiter Midgar. Le parallèle aurait pu être poussé plus loin mais le personnage demeure intéressant ainsi, crachant sur la religion et les superstitions, et analysant les vampires sous un angle plus scientifique malgré le surnaturel. Intéressant antagoniste également, fils d’un démon celte et d’une druidesse qui fut lynchée pour son péché, instaurant en lui la haine de l’Homme.
Bref il y a plein de bonnes choses qui fonctionnent ici, mais pas vraiment dans l’idée que l’on se ferait d’un Gore classique. Le paysage brumeux et ruiné de Blackpit évoque le gothique d’un autre âge, les descriptions verbeuses de l’auteur s’opposent au style splatterpunk mais sont d’une qualité sincère, et les vampires sont de dégoutantes abominations. Ils peuvent se dématérialisé sauf lorsqu’ils sont gorgés de sang, possèdent des lèvres pulpeuses servant de ventouses, une langue réptilienne fouillant les plaies et sont allergiques aux éléments représentant la Vie comme l’eau, le feu ou… la pénétration, d’où l’idée des pieux ! Certes Terminus Sanglant ne convaincra pas ceux qui ne jurent que par Blood-Sex ou L’Écho des Suppliciés, mais Michel Honaker a le mérite de se démarquer du lot par son style distinct et ses bouquins demeurent sacrément bon.
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