Secret Slave, Chapitre V

Secret Slave

V. La Belle et la Bête

La fin d’après-midi arriva et avec elle un nombre toujours plus croissant de visiteurs. Nombreux sont ceux qui voulaient profiter des derniers jours de beau temps, et les enfants de la liberté avant le retour à l’école. Éliane dû justement abandonner son amie pour s’occuper de son petit frère, lui ayant promis de l’emmener faire quelques manèges. Le jeune garçon avait trainé avec quelques amis dans la journée, visitant surtout la salle d’arcade et les simulateurs 3D avant de retrouver les deux jeunes femmes. Il était surexcité, parlant à toute vitesse à propos d’un “monstre” qu’il avait rencontré dans la maison hantée suite à un pari stupide avec ses camarades. Natasha ne pu s’empêcher de rire. Elle ne pu s’empêcher non plus de remarquer comment il la fixait du regard, visiblement très impressionné par son apparence.
Ses petites hormones devaient commencer à travailler et malgré les mois passés à se connaitre – la jeune femme venant parfois faire du babysitting pour dépanner Éliane, c’était la première fois qu’il la voyait ainsi, si… féminine. Difficile de dire s’il fallait trouver cela flatteur ou simplement mignon.
A leur départ la danseuse voulu rentrer au Cabaret pour se changer complètement, déambuler à moitié nue et seule à travers une foule pleine n’étant pas une perspective qui l’enchantait particulièrement. Cependant deux choses la retinrent: premièrement la chaleur, rendue plus forte encore par la grande foule présente. Ensuite, Vincent. Sans savoir pourquoi, peut-être était-elle un peu folle, mais elle avait presque envie de voir sa réaction lorsqu’il la découvrirait ainsi. De près. Car après l’avoir observé de si loin depuis si longtemps, elle pouvait bien lui offrir un peu de proximité ! Et pourtant elle redoutait leur rencontre. Ce qu’il pourrait dire, sa réaction. C’était stupide, il n’y avait à craindre, mais elle avait un peu d’appréhension. Se couvrir complètement l’aurait sans doute aidé à être plus à l’aise pour affronter la situation mais elle tenait à se montrer à lui ainsi.

Elle se réfugia dans le chapiteau du Cabaret pour se mettre à l’abri des regards indiscrets, juste le temps de trouver en elle le courage nécessaire pour faire ce qu’elle avait à faire, et observa longuement le Horreur Show. L’attraction lui sembla plus ou moins déserte. Perché sur le toit, l’adolescent tentait d’attirer du monde en se mettant en scène, faisant sonner une cloche gothique avec une (fausse) tête coupée, lâchant des poignées de tarentules en plastiques sur les passants. L’artiste le regarda faire avec amusement, l’imaginant, si inoffensif, derrière son déguisement. Cette fois il était une goule en décomposition, le visage rongé par les vers.
Prenant une grande inspiration, elle se décida à franchir le pas et se réconcilier avec celui qui avait été un véritable ami depuis si longtemps – bien plus qu’il n’en avait conscience, en réalité. Elle trottina jusqu’aux caisses pour s’entretenir avec le gérant, expliquant travailler pour la foire et vouloir surtout s’entretenir avec le jeune employé plutôt que de visiter la maison hanté. Le responsable haussa les épaules, peu intéressé par ces histoires d’adolescent, et consentit à la faire entrer sans payer mais, devant malgré tout faire tourner sa boutique pour récupérer de potentiels clients, il insista pour qu’elle le rejoigne “comme tout le monde” plutôt que de la faire passer par la porte de service.
Reconnaissante, elle ne se plaignit absolument pas d’avoir à sauter dans la voiturette en forme de gros cerveau monstrueux, et après un bref moment d’attente elle pénétra dans la maison hanté via la porte principale: une lourde grille médiévale que des monstres colorés aux sourires grimaçant relevaient lentement. Natasha prit une profonde inspiration. Pour elle le plus terrifiant n’était pas du tout ces créatures imaginaires mais l’adorable jeune homme pour qui elle en pinçait. Ça et le fait qu’elle n’avait absolument aucune idée de comment entretenir une conversation naturelle avec lui !

Parmi les gobelins, les fantômes et les sorcières, Natasha se sentit totalement à sa place. L’endroit la relaxa très vite et lui rappela son enfance, avec toutes ces chimères, ces choses provenant des tréfonds de l’Imagination. Elle reconnu quelques visages familiers, d’autres lui évoquèrent des rêves et des cauchemars qu’elle avait explorée. Certains la firent simplement rire devant l’absurdité de leurs apparences. Son ricanement se répercuta à travers le long couloir sombre, accompagné par ceux, factices, projetés par les hauts parleurs d’ambiance. Et subitement elle se sentit mieux. Lorsque le voyage s’arrêta, une voix morbide l’engagea à continuer à pied pour accéder à “l’étage interdit”. D’un pied léger, la beauté se promena dans les couloirs, tournoyant sur elle-même, dansant presque entre les tombes en carton-pâte et les zombies de pacotille. Elle s’imagina séduire les monstres avec son charme, d’un geste de la main ou du regard, progressant toujours un peu plus vers son objectif.
Après une volée de marches, l’atmosphère s’épaissit. Elle eu a sensation d’être observée et le monde fantastique d’auparavant avait cédé la place à quelque chose de plus réaliste et de plus malsain. Une sorte de donjon à peine éclairé par des lampes sales et où l’on n’entendait que des bruits de respirations et des cliquetis de chaînes. Natasha sentit son cœur battre un peu plus fort, regardant tout autour d’elle pour trouver Vincent sans y parvenir. Elle n’osa pas l’appeler de peur de s’annoncer: elle comptait le surprendre, et elle ne savait même pas pourquoi. Lentement elle progressa dans la pénombre, croisant des scènes de tortures diverses mais pas âme qui vive. Puis un vrombissement infernal, à s’en faire éclater les tympans, la surprit. L’exploratrice sursauta, se bouchant les oreilles en identifiant le bruit d’une tronçonneuse. Soudainement une pièce attira son attention: une sorte de trou noir, même dans cet univers déjà sombre. Et, comme suspendu dans les airs, l’objet dangereux. Elle pouvait voir le guidon de la lame vibrer et même une fumée cracher du moteur. C’était trop de détails réalistes et, dans l’ombre, son cerveau identifia la chose comme véritable, parfaitement dangereuse et laissée sans surveillance…

Puis un poids lourd sur son épaule, une secousse la faisant se tourner en arrière et un visage d’une laideur sans nom. Elle hurla tout d’abord, très fort, puis son éducation prit le dessus par instinct: elle attrapa le bras décharné, le tordit en un sens contraire à celui de ses articulations et attira le corps repoussant contre elle malgré ce que son cœur lui disait. Elle n’eut qu’à le faire basculer en utilisant une variante de prise de Judo. Uchi-Mata. Le monstre s’empêtra dans les mouvements et tomba lourdement au sol avec la grâce d’un éléphant. La jeune femme se pencha vers son adversaire, poing en l’air et prête à frapper pour l’achever, comme par réflexe, lorsqu’elle entendit une voix plaintive et étouffée émaner de la… chose. La bête, sorte de chirurgien de l’enfer portant un masque fait de chair humaine, gesticula des bras comme pour lui faire signe, l’empêcher de le frapper. Sa voix plutôt douce et agréable pour un démon la supplia de ne pas le tuer.
Confuse, Natasha revint à la réalité en comprenant ce qu’elle venait de faire et se précipita pour l’aider à se relever. Elle se confondit en excuses tandis que sa victime retira le masque horrible pour révéler son beau visage, déformé par la douleur et la surprise. Comme un somnambule, il l’ignora pour se diriger vers la tronçonneuse afin de l’arrêter, sa cacophonie lui transperçant le crâne. Concernée, la jeune femme le suivit tout en réalisant que l’objet n’était qu’une réplique inoffensive, la lame n’étant qu’une morceau de métal plat et épais vibrant à l’aide d’un petit moteur. Un peu embêtée, elle attendit qu’il prenne la parole mais lorsqu’il le fit ce fut simplement pour lui reprocher de ne jamais lui avoir dit qu’elle pratiquait les arts martiaux.
Un brin vexée alors qu’elle se tenait là dans une tenue séduisante sans qu’il ne le remarque immédiatement, elle rétorqua qu’il n’aurait pas fallu la surprendre ainsi. Vincent répliqua qu’il ne pensait pas qu’elle viendrait le voir ici étant donné qu’ils ne s’étaient pas revu depuis si longtemps. La danseuse, incapable de savoir si cela était un remontrance ou non à son encontre, haussa le ton et déclara d’un air peu aimable qu’elle voulait lui faire la surprise.
– C’est réussi, bougonna le monstre en se massant la nuque.
Ils se turent et baissèrent réciproquement les yeux vers leurs pieds.

Que dire maintenant ?