Passenger 57
(1992)
La raison d’être de Passager 57 est à priori simple à expliquer: il s’agit d’un clone de Die Hard, s’inspirant aussi bien de l’original, qui renouvela le cinéma d’action au l’aube des années 90, que de sa suite, qui consolida la saga et transforma la formule en un nouveau sous-genre qui devint vite à la mode. Le Die Hard scenario est né, concept jouant du huis clos où le héros est seul face à une armée de vilains qu’il va devoir éliminer les uns après les autres à la manière d’un slasher. C’est totalement le cas ici et ce serait mentir que de prétendre autre chose, pourtant les origines du film sont un peu plus étranges que cela puisque l’on retrouve Stewart Raffill derrière l’idée de base. Le réalisateur des délirants Mac and Me et Tammy and the T-Rex eu un jour l’idée assez étrange d’écrire un script totalement sérieux et un rien politique à propos d’une prise d’otages: l’histoire d’un père en deuil partant enterrer son fils en Espagne et se retrouvant assis à côté d’un terroriste iranien dans l’avion, lequel va détourner le vol. S’échappant miraculeusement, le protagoniste va alors capturer quelques Mullahs extrêmistes pour les échanger contre les prisonniers américains…
Si l’auteur reste fidèle à lui-même sur un petit détail (il trouve l’inspiration du titre grâce à une bouteille de ketchup Heinz, où apparaît le nombre 57 sur l’étiquette, because why the fuck not ?), son sujet est un peu trop sensible pour la Warner Bros qui exigea quelques réécritures, faisant intervenir le scénariste Dan Gordon pour l’épauler. Un mec beaucoup plus sérieux et notamment responsable du Wyatt Earp ave Kevin Costner et plus récemment de Rambo: Last Blood. Mais lui aussi peu parfois dériver dans le bizarre, en témoigne la comédie Tank de 1984, mais surtout ce crime contre l’humanité qu’est Surf Ninja. Raffill quittant le projet, son bébé continua de se développer sous la plume de son partenaire et d’un autre complice (David Loughery de Dreamscape et Star Trek V) pour devenir quelque chose de plus accessible pour le public. Le produit final devint grossièrement “Die Hard dans un avion” et les producteurs en firent un blockbuster spécifiquement pour mettre en vedette Wesley Snipes, star mondante s’étant fait remarquée les années précédentes avec New Jack City et Les Blancs ne Savent Pas Sauter, et maintenant promise à une carrière dans l’actioner.
Pour l’accompagner ils engagèrent le premier réalisateur Black disponible et c’est l’inconnu Kevin Hooks qui obtint le poste, lequel n’a fait pratiquement que de la télévision avant cela et y retourna peu après pour le reste de sa filmographie (non sans tourner Black Dog avec Patrick Swayze quelques années plus tard). Maintenant il faut noter une chose intéressante concernant Passager 57, qui est sa très courte durée. 83 minutes tout compris, auquelles il faut retrancher deux génériques de trois minutes chacun. Au final l’oeuvre fait environ 1h15, soit pile la durée réglementaire d’exploitation en salle, en-dessous de laquelle une oeuvre n’est pas acceptée. Il y a une explication à cela et il s’agit d’un stratagème pour caser le plus de séances possible en une seule journée ! Une diffusion à la chaine conçue spécialement pour être rentable, concept très Hollywoodien qui prime sur la créativité. Une technique qui a déjà fait de nombreuses victimes, et on peut citer au hasard le Cobra de Sylvester Stallone qui se retrouva amputé de plusieurs scènes trouvables dans la bande-annonce pour être multiplié autant que possible sur la grille de programme.
Difficile de dire exactement ce qui fut sacrifié ici, encore qu’un flashback présenté succintement et en noir et blanc saturé devait sans doute être la véritable scène d’ouverture. Celle-ci établissait le héros, John Cutter et la mort tragique de sa femme durant un hold up. Rien d’esssentiel à la bonne compréhension de l’intrigue c’est sûr, mais très représentatif de la façon dont tout est expédié à l’importe-pièce ici, sans aucun développement de personnages ou de quoi que ce soit. Il n’y a pas non plus de scènes uniques, marquantes ou spectaculaires (et donc coûteuses), et tout se montre extrêmement générique, avec des fusillades et des empoignades certes bien troussées mais sans âme. Le personnage principal lui-même paraît bien fade et très éloigné d’un John McClane ou d’un Martin Riggs qui eux se montrent aussi intéressant que rentre-dedans. Quant à l’intrigue et tout ce qu’elle implique, c’est le strict minimum: Charles Rane, dangereux terroriste responsable de plusieurs bombardements ces dernières années, est enfin arrêté par le FBI et transféré par avion pour son procès à venir en Californie, où la peine de mort est une issue certaine.
Ayant prévenu ses hommes grâce à la complicité de son avocat, il est libéré et prend les passagers en otage avec son équipe, préparant son évasion et menaçant de tuer les prisonniers si les autorités tentent d’agir. Manque de bol pour lui, Cutter est sur ce vol par pur hasard et il se trouve justement être le meilleur dans le domaine du contre-terrorisme (ou quelque chose comme ça, son statut exacte est assez flou puisque le film ne prend pas la peine de le présenter), parvenant à lui échapper et à saboter l’arrivée de carburant du jet pour l’obliger à un atterissage forcé. Mais s’il s’évade de la carlingue afin de prévenir ses collègues, Rane met en place son plan B et va négocier la libération de quelques civiles pour fuir secrètement parmi eux… Bref, rien de bien innovant et malheureusement le reste est du même tonneau. Tout est prévisible, aucun retournement de situation ne vient changer la donne et certains quiproquos intéressants sont immédiatement résolus (Rane prévient la police qu’un de ses hommes l’a trahi, donnant la description de Cutter pour freiner sa progression, mais le FBI vient presque aussitôt remettre les pendules à l’heure).
Mais que le film soit routinier n’est pas le problème, après tout les évènements ne servent que de prétexte pour les séquences d’action, et c’est là où le bas blesse. S’il est techniquement compétent, Passager 57 ne propose rien de notable à ce niveau là et les moments de bravoures se comptent sur les doigts d’une main: le survol en rase-motte d’une fête foraine par le grand avion, un échange de coups de feu dans un carrousel en plein mouvement, une séquence où notre héros joue les acrobates en haut d’une grande roue d’où il défenestre un terroriste et le crash d’un camion d’escalier à l’aéroport qui se solde par une chouette explosion. A l’occasion on se retrouve avec un peu d’humour décalé comme dans Piège de Cristal, mais là encore les choses sont plutôt limitées. Un shérif redneck refile la glace qu’il dégustait à son adjoint en partant enquêter sur l’affaire et demande à Cutter de prendre soin de l’arme qu’il lui confit car elle appartient à sa femme, et le héros esquive la prise d’otages initiale car il était au chiotte. Les passagers confondent constamment Wesley Snipes avec le présentateur Arsenio Hall et la love interest hôtesse de l’air lui colle à une vieille dame bavarde comme voisine.
Passager 57 rate donc le coche plus souvent qu’il ne marque un but, mais heureusement il peut compter sur deux atouts de taille qui aide à faire passer plus facilement la pilule: son duo d’acteurs principaux. Car Wesley Snipes possède un charisme naturel indéniable et peu importe à quel point son rôle est sous-développé, il remporte facilement l’adhésion du spectateur. Surtout lorsqu’il brise le cou d’un terroriste avec un gros coffre à roulettes. Il est cool, il a du répondant et il est crédible dans les scènes de bagarre, sortant quelques mouvements de kickboxing et piquant à Steven Seagal son attitude pseudo bouddhiste (il médite et lit L’Art de la Guerre), préfigurant presque Blade par instants. Si le script ne lui fournit pas énormément de punchlines, l’une d’elle est tellement forcée qu’elle ne peut que faire sourire (“Always bet on black”) et il faut vraiment voir notre gars jouer la grosse chochotte lorsqu’il est surpris par un garde pour ne pas éveiller les soupçons. En face de lui, le british et très classe Bruce Payne, grand habitué des rôles de méchants qui trouve ici l’un de ses meilleurs personnages, en tout cas le plus emblématique de sa carrière.
Si Charles Rane semble n’être qu’une copie carbone de Hans Gruber, des mauvaises intentions au costume chic, il se révèle vite être plus proche de Hannibal Lecter puisque véritable psychopathe. Un tordu apparemment martyrisé par son père lorsqu’il était gamin, assassinant celui-ci avant de choisir la voie du grand banditisme plus être une excuse que par conviction. Il éclate la tête de son avocat qui ose évoquer son enfance, tue un prisonnier sous les yeux de Cutter juste pour lui prouver qu’il est sérieux et flingue ses propres hommes lorsqu’il les juge incompétents. Surnommé “The Rane of Terror” par les fédéraux (un jeu de mots sur reign, donc le Reigne de la Terreur en français), il va jusqu’à éprouver du désire pour l’héroïne dans la dernière partie, la caressant avec son pistolet qu’il va lui fourrer entre les jambes pour savoir si elle est aussi excitée que lui. Quand elle lui balance qu’il faudra la tuer d’abord, il répond du tac-au-tac qu’il le fera pendant ! Autant dire que le combat final mérite le coup d’oeil, surtout quand l’aristocrate fou étrangle son adversaire avec les masques à oxygène pendouillant de l’avion dépressurisé tandis que l’autre le frappe dans les couilles à répétition pour l’éjecter de l’appareil.
A leurs côtés on retrouve quelques pointures hélas complètement mises de côté par le montage final, à commencer par ce pauvre Tom Sizemore dans le rôle d’un faire-valoir. Meilleur ami de Cutter gérant les opérations se déroulants sur la terre ferme, il apparaît régulièrement mais ne sert jamais à rien, et on peut se demander pourquoi engager un acteur de sa trempe pour s’en servir ainsi. Même chose pour Bruce Greenwood en directeur de compagnie aérienne qui semble important mais disparaît de l’intrigue en cours de film. Du côté des antagonistes on croise la jolie Elizabeth Hurley en femme fatale qui en pince pour Rane sans que cela ne soit réciproque et surtout Michael Horse, inoubliable Hawk de Twin Peaks qui se prend ici pour un français. Enfin mentionnons Marc Macaulay, second couteau méconnu mais vu dans plein de trucs comme Hell Driver, Monsterwolf, Sexcrimes 1 et 2, la série télé Swamp Thing des années 90. On l’aura compris, c’est surtout le casting qui sauve le film, en particulier ses têtes d’affiches qui se montrent assez talentueuses et divertissantes pour justifier la vision d’un film qui n’a pas grand chose d’autre à proposer.
Reconnaissons-lui de rendre le concept de la prise d’otage dans un avion moins ennuyeuse que dans Delta Force avec Chuck Norris (qui lui ne valait que pour sa moto-gadget tout droit sortie d’un James Bond), mais Ultime Décision (1996, avec Kurt Russell et Steven Seagal) et Les Ailes de l’Enfer (1997, avec Nicolas Cage et John Malkovitch) firent du bien meilleur boulot quelques années plus tard, rendant Passager 57 obsolète. Pas de chance pour Bruce Payne, car si Wesley Snipes poursuivit avec brio sur sa lancée (Demolition Man, Drop Zone, Money Train, Soleil Levant), notre bad guy anglais se retrouva cantonné à la série B sans espoir de retour sous les feux de la rampe. Pas une perte pour nous en tout cas puisqu’il continua de nous y prouver tout son talent, avec ses performances sombrements suaves dans des titres comme Full Eclipse, Necronomicon et même – croyez-le ou non – Hurlements 6 et Warlock III.
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