Cet article n’intéressera que deux ou trois d’entre vous, mais tant pis puisque à vrai dire je l’écris un peu pour moi. C’est sans faire beaucoup de bruit – pas même sur sa page Facebook, seul lien véritable avec son public – que le magasin Obscura va mourir. Une boutique un peu magique de New York City qui, comme son nom complet l’indique, vend de l’antiquité et de la bizarrerie. Fondée dans les années 90 par trois partenaires passionnés par le business de l’étrange et du morbide, Adrian Gilboe, Evan Michelson et Mike Zohn, elle ouvre ses portes sous le nom de Wandering Dragon, Trading co. au 263 East 10th Street, dans un bâtiment comparable à un placard à balais. Malgré sa taille modeste, elle commença a abriter les trouvailles de ses propriétaires qui ont passé une grande partie de leur vie à écumer les marchés aux puces, les vides greniers et autres marchés pour récupérer des pièces intéressantes: œuvres de taxidermie, matériel médical antique, poupées ou pantins effrayants, planchettes Ouija, fossiles, spécimens de créatures difformes… Bref, si c’est dérangeant ou insolite, c’est pour eux.
Ceux qui trainent ici depuis longtemps savent que s’il y a bien une chose que j’aime au-delà de l’Horreur et du Fantastique, ce sont les objets curieux, anormaux, glauques et extravagants. Mes réseaux sociaux débordent d’images de ce type de babioles et il y a même une section plus ou moins cachée sur ce site dédiée à quelques bibelots farfelus (mais fictifs ceux-là, reliques de différents films de genre présentées dans le cadre d’un vieux jeu de rôle oublié). Du coup lorsque Michelson et Zohn signent un deal avec Discovery Channel en 2010 pour produire une émission télé basée sur leurs ventes et achats, je me jette aussitôt sur la télécommande. Oddities, chez nous Cabinet de Curiosités, a connu pas moins de cinq saison en plus de générer deux spin-off un poil moins bons (Oddities: San Francisco avec l’adorable Wednesday Mourning, et Odd Folks Home, qui s’intéresse aux personnalités collectionnant ces objets bigarrées). Un sacré coup de pub pour les tenanciers qui se bâtirent une réputation jusqu’à l’autre bout du monde.
A ce moment là, Wandering Dragon a déménagé au 280 East 10th Street et porte son nouveau nom. Si Adrian Gilboe disparait, ses compagnons sont toujours à la barre et vont passer les prochaines années à mêler leurs véritables affaires à celles certainement fausses mais non moins intéressante du show. En résulte un concept hybride entre le documentaire et Pawn Stars qui s’intéresse aussi bien à la marchandise elle-même que de la relation vendeur / client servant de fil rouge à chaque épisode. Un côté télé réalité pas vraiment nécessaire mais sans doute obligatoire pour faire valider le projet auprès de la chaine, et en vérité si l’on se laisse prendre au jeu, ce n’est pas si mauvais que ça. On s’amuse autant à découvrir les différentes pièces et leurs origines que de voir le dessous du commerce, avec expertises, mise en garde des avocats concernant la légalité ou non des produits, exploration des lieux de provenance, et évidemment échelle de valeur. Car oui, tout se vend, y compris des tranches de cerveaux humains atteint de tumeurs ou des pieds de momies égyptiennes.
Au cours des saisons, Discovery se permet évidemment de faire appel à quelques invités pour booster l’audience, et certains visiteurs sont assez surprenant: Jonathan Davis de Korn, qui y paraissait d’une timidité maladive, Oderus Urungus de GWAR, le chanteur gothique Voltaire, la Reine du Burlesque Dita Von Teese et jusqu’à Lloyd Kaufman lui-même, alors en pleine promotion de Return to Class of Nuke ‘Em High, Vol. 1 ! Celui-ci se branle totalement de ce qui se passe autour de lui mais tourne une scène de quelques secondes dans la boutique, laquelle est bien présente dans le montage final du film. Mais outre ces grosses pointures, de nombreux petits artistes interviennent régulièrement pour faire leur auto-publicité à travers des numéros limite forains et parfois impressionnants (mention spéciale pour se type qui s’enfonce des clous dans le nez). Cela donne à l’émission un petit côté freaksploitation très appréciable en plus de montrer qu’elle ne crache pas sur ceux qui ne sont pas encore des célébrités. En fait Oddities semble même aimer les marginaux, la plupart des clients étant d’adorables loufoques.
Avec le temps vient la dernière incarnation en date du magasin, bien plus spacieuse que ses prédécesseurs mais malgré tout minuscule si l’on en croit les retours des visiteurs. Cet ultime déménagement se fit en 2012 à quelques pâtés de maisons de là, au 207 Avenue A, entre 12th et 13th Street, dans un bâtiment qui abritait auparavant… une entreprise funéraire ! Hélas après plus de vingt ans de bons et loyaux services, Obscura va définitivement rendre l’âme d’ici la fin de l’année. Parmi les raisons évoquées, la hausse de taxe et de loyer devenue intenable. Autrefois à 250 dollars par mois, il permettait à Gilboe, Michelson et Zohn d’organiser régulièrement des fêtes en soirées et d’inviter artistes et musiciens à venir boire un verre sur place. Désormais le voisinage lui-même a complètement changé suite à l’inflation, plombant l’ambiance générale. Et puis il y a le revers de la médaille, Oddities ayant fait naitre une concurrence féroce avec le temps. Le commerce a commencé à fleurir (Woolly Mammoth à Chicago, Loved to Death à San Francisco) et ce qui était une chasse bien gardée est devenu un véritable pillage, la récupération d’objets bizarres devenant plus compliqué.
Dans tous les cas, Obscura vit ses derniers instants. Elle fermera ses portes fin 2019, avec le mois de Janvier en horaires flexibles afin de déstocker l’inventaire, pour une clôture définitive en Février. Elle continuera d’exister online grâce à Mike Zohn, qui ne compte pas non plus arrêter de produire ses oddities market, petits marchés spécialisés. Il caresse le doux espoir de créer de petites boutiques éphémère malgré tout. Quant à Evan Michelson, elle ne sait pas encore ce qu’elle va faire mais on ne se fait pas de soucie pour elle: elle demeure membre fondatrice du Morbid Anatomy Museum et y travaille comme chercheuse. On se demande quand même ce que deviendra cette tête de momie coupé et gardée sous cloche de verre, mascotte de la boutique, ou ce veau à deux têtes qui trôna un bon moment en plein milieu de l’établissement. Souhaitons aux deux compagnons de réussir à rebondir, comme l’a déjà fait leur ami Ryan Matthew, artiste taxidermiste talentueux qui faisait office de troisième larron dans la série. Il y remplaçait l’horrible Cerd, personnage ignorant inventé par les producteurs auquel le public était censé s’identifier, et dont le nom est un mix entre cool et nerd.
En voilà un que l’on ne regrettera pas…
Dommage 😔
Je regardais les émissions, il y avait toujours un peu d’histoires, tout un tas de collectionneurs de bizarreries en tout genre, c’était plutot attendrissant comme émission, dommage pour eux
Merci pour cet article, très bien écrit. Fan aussi de l’émission, je suis déçu d’apprendre la fermeture de cette boutique de l’étrange.
Merci à toi pour ce sympathique commentaire ! Et oui, pareillement, très déçu de la situation.