Nemesis
(1992)
Albert Pyun et les cyborgs, c’est une grande histoire d’amour dont Nemesis représente la plus belle déclaration. Le projet remonte au temps où le réalisateur était encore associé à la Cannon, développant quelques projets dont certains ne virent jamais le jour. L’un d’eux était un thriller futuriste nommé Alex Rain d’après son héroïne, une agent du FBI traquant un tueur en série Néo Nazi sur Terre ou sur Mars selon les traitements du script. C’est là qu’il développe un intérêt certain pour le cyberpunk et les technologies transhumanistes, même si les problèmes financiers de la compagnie le forcèrent à abandonner le concept pendant un temps, quelques idées étant alors recyclées dans Cyborg (qui malgré son titre demeure plutôt léger en robotique). C’est après un passage chez Charles Band qu’il retrouve l’inspiration, livrant avec Arcade un film traitant de réalité virtuelle et dont le protagoniste est justement une jeune fille nommée Alex. Sans dire que le cinéaste en tomba amoureux, l’expérience le marqua de toute évidence beaucoup.
Parmi les modifications apportées à son histoire, il remplace l’enquêtrice adulte par une adolescente de 13 ans ayant grandit dans les rues malfamées d’un Los Angeles dystopique et propose le rôle à Megan Ward, l’actrice d’Arcade, qui va accepter malgré des scènes de violences et de nudité bien plus prononcées qu’à la Full Moon. A la recherche de producteurs, Pyun rencontre les frères Shah de la Imperial Entertainment avec qui le courant va bien passer… jusqu’à ce qu’ils lui demandent de transformer Alex en une action star plus traditionnelle et donc masculine, lui imposant plus ou moins le kickboxeur français Olivier Gruner. On imagine la déception du cinéaste mais celui accepta ces termes, non sans obtenir la garantie d’une totale liberté créative en retour. Et si je n’en ai pas la preuve, il me semble évident que qu’il tenta malgré tout de trouver une place à son actrice via un autre personnage, Max Impact, une jeune révolutionnaire venant filer un coup de pouce au héros en cours de film.
Car la demoiselle y est présentée comme impulsive et immature, ce qui est plutôt en phase le comportement d’une jeune ado. C’est une autre comédienne qui l’interprète en revanche et je préfère ne pas faire de supposition sur ce qui s’est passé. Quoiqu’il en soit Nemesis va prendre forme et avec bien plus de moyens et d’idées que son prédécesseur Cyborg. Son prototype plutôt, bien que les deux œuvres partages le même cadre. Cela amène l’idée que tous les films d’androïdes de Pyun se déroulent peut-être secrètement dans le même univers. Si rien ne vient contredire cette théorie, il semble claire que tel George Miller avec ses Mad Max, le metteur en scène se contente de refaire le même film encore et encore, reprenant simplement les mêmes thèmes et la même trame de fond, qui est la guerre que se livrent cyborgs et humains dans un avenir décadent. Dans cette version de l’histoire nous sommes en 2027 dans un monde ravagé par la science cybernétique, où les êtres artificiels prennent progressivement le dessus sur l’Homme.
Alex Rain est un flic de Los Angeles chargé des pires missions dont le corps, maintes fois blessé, comporte déjà plusieurs éléments artificiels. Entre la prise de drogues pour calmer sa douleur et la perte progressive de ses émotions, il commence à s’inquiéter de son devenir et fini par démissionner. Après une année à vivre comme une épave, il est rappelé par son boss Farnsworth pour une ultime mission, avec la promesse d’être totalement libre et mieux équipé s’il obéit aux ordres. S’il refuse en revanche, une bombe placée sur son corps détonnera dans quelques jours. Devenu un tueur à gage pour le gouvernement, il doit désormais traquer Jared, une synthétique qui était autrefois sa collègue et petite amie, pour l’exterminer avant qu’elle ne refile des informations sensibles à une armée de terroristes anti-cyborgs. Les choses vont évidemment se compliquer car Jared a déjà été détruire, n’existant plus que sous la forme d’une carte mémoire, et qu’elle a informée les rebelles qu’Alex les aideraient dans leur quête.
Farnsworth, de son côté, est en fait un androïde méprisant l’humanité et souhaitant son extinction, préparant un coup d’état avec ses semblables. L’ex-policier va se retrouver au milieu de se beau merdier sans savoir quoi faire ni en qui faire confiance en plus de ne pas avoir beaucoup de temps pour prendre une décision. Un sacré cocktail de thriller d’espionnage, de neo noir science-fictionnel à la Blade Runner et de western spaghetti, le tout saupoudré de séquences d’action pétardantes à la hong-kongaise. Car c’est surtout sur ce point que le film marque, Pyun n’ayant jamais caché son admiration pour John Woo et ses confrères, et il peut ici se permettre de les imiter sans aucune restriction, leur piquant tous les trucs pour rendre les fusillades plus dynamiques et excitantes que dans l’actioner américain basique: les personnages ont tous d’énormes pétoires (fusil à pompes automatiques ou explosifs, pistolets à obus antichar et jusqu’à une reproduction du M56 Smart Gun d’Aliens), la caméra est constament en mouvement et les impacts de balles sont gigantesques.
Nemesis met l’ambiance dès les premières secondes, où le héros tir une balle dans la tête d’une jolie blonde qui se révèle être un robot, puis multiplie les morceaux de bravoures avec créativité. Pyun invente la caméra embarquée dans les munitions bien avant que Luis Llosa et son Sniper, utilise des câbles pour propulser les blessés dans les airs au moindre impact, et fait plein usage de ses décors: les protagonistes se rendent dans une usine désaffectée ? Le gunfight a lieu sur le toit délabré et en pente du bâtiment. Ils sont sur un chantier ? Ils s’empoignent en glissant tout le long d’un long toboggan industriel. Une ville fantôme dans le désert permet un duel à la Sergio Leone et la jungle de Java offre un peu de verdure et une cascade à la Predator d’où le héros fera le grand plongeon. Un peu d’humour aussi, comme lorsqu’une vieille mémé maltraitée par un vilain sort un flingue de son sac pour plomber le malotru, ou lorsqu’Alex traverse cinq étages d’un hôtel miteux en tirant continuellement sur le plancher, trouant chaque niveau jusqu’à ce qu’il se retrouve à la cave.
Tout cela est sincèrement impressionnant et rendu plus grandiose encore par le fait que les personnages peuvent encaisser d’énormes dégâts sans mourir, puisqu’il sont presque tous artificiels. Un cyborg coupé en deux continue de ramper, exhibant des tripes de plastique et d’acier, un autre se fait crever les yeux et converse comme si de rien n’était. Un type cache un canon dans son propre crâne et un robot mort est prit de glitches, sa langue continuant de remuer toute seule dans sa bouche. Alex lui-même prend cher lors du combat final qui repompe Terminator dans un avion, se faisant méchamment scalper sur de la ferraille et révélant le sommet de son crâne métallique. Bref, c’est une véritable orgie de prothèses futuristes qui donne plus dans le body horror cauchemardesque que dans le joli esthétisme fluo de Cyberpunk 2077, et le script souligne aussi la confusion que ces changements entrainent sur l’identité individuelle. Des hommes ont des noms de femmes, des femmes des noms d’hommes, et un accent peut ne pas correspondre à une ethnie.
L’exemple le plus flagrant est certainement le cyborg Farnsworth, qui n’est en fait pas du tout l’humain Farnsworth qu’Alex a connu mais un imposteur ayant simplement copié son apparence. Il s’agit en fait de Sam, une femme synthétique psychopathe vaguement croisée au début du film (celle qui tue le chien) qui a trouvé un moyen de dupliquer les corps humains pour les remplacer en douce sans que personne ne s’en rende compte. La fin originale allait encore plus loin dans le concept puisque montrant l’antagoniste « mâle » discuter avec une femme non visible à l’écran qui semble bien être… la Sam originale, toujours dans son corps féminin. Cette version désormais rare de Nemesis a depuis été remplacée par une autre, avec un dernier acte supplémentaire montrant un duel entre Alex et un Farnsworth dont il ne reste que l’endosquelette à la T-800 animé en stop motion. Sa destruction permet une conclusion plus heureuse qui coupe la conversation finale du montage, mais l’idée était sans doute surtout de rendre le film plus excitant pour le public.
La version actuelle disponible en Blu-ray ou sur Amazon Prime combine étrangement les deux, conservant ces reshoots mais ajoutant l’audio de la fin originale par-dessus. Difficile de dire s’il s’agit d’une décision de Albert Pyun lui-même, mais cela permet en tout cas de raccrocher un peu les wagons avec Nemesis 2: Nebula, une suite au rabais que le cinéaste tourna trois ans plus tard et dont le point de départ repose sur l’échec d’Alex et Max a stopper l’invasion cyborgs. Ce film voyage ensuite dans le passé en une énième décalque de James Cameron et ce sont en fait Knight et Omega Doom qui décrivent le futur apocalyptique résultant du conflit entre humains et machines. Nemesis 2 retourne aussi au source du projet, créant une nouvelle héroïne humaine appelée Alex, mais cela signifie pas que le réalisateur abandonna Rain pour autant. Aux alentours de 2012 il tenta de mettre sur pied un nouveau projet faisant suite tant à Cyborg que Nemesis, d’abord intitulé Cyborg: Rise of the Slingers puis Cyborg Nemesis: The Dark Rift.
La chose existe sous une forme incomplète, assemblage grossier de plusieurs scènes filmées à différentes époques, car hélas Albert Pyun souffre désormais de graves troubles mentaux et fut contraint d’abandonner le cinéma pour se soigner, mais avec peu d’espoir de pouvoir s’en remettre. Olivier Gruner devait revenir dans un rôle différent tandis qu’Alex Rain y aurait été interprété par… une femme ! C’est Kim Couture, fille de Randy (l’un des Expendables de Stallone) et féroce combattante comme son papa. Preuve ultime s’il en est que le cinéaste recycle les mêmes éléments comme George Miller, puisque Nemesis premier du nom contient déjà une impressionnante demoiselle musclée et que la Alex Sinclair de Nemesis 2 était jouée par la bodybuildeuse Sue Price. Vraiment dommage que cette ultime version demeure inachevée, mais que cela ne vous empêche pas de profiter de ce premier volet, véritable série B de luxe soignée aux petits oignons. Et si tout ça ne vous suffit pas, visez donc le casting.
Outre le sympathique Olivier Gruner, ancien béret vert et champion du monde de kickboxing, on y retrouve le toujours génial Tim Thomerson dans le rôle de Farnsworth / Sam, qui avec ses cheveux gris plaqué en arrière retrouve le look badass qu’il affichait dans Dollman (signé… Albert Pyun, bien sûr). Brion James vient prêter son incroyable tronche à la galerie de méchant dans le rôle d’un sbire très classe et poli, tandis que Shang Tsung lui-même (Cary-Hiroyuki Tagawa) débarque en chemise à fleur pour sermonner le héros. A ses côté, Yuji Okumoto, le Chozen de Karate Kid II. Un jeune Thomas Jane vient montrer son cul et se fait défoncer la gueule par une meuf à poil, Thom Matthews (Freddy dans Le Retour des Morts-Vivants, le Tommy Jarvis de Jason le Mort-Vivant) joue un assassin sadique et Vincent Klyn (l’impressionnant adversaire de JCVD dans Cyborg) fait une petite apparition. Enfin Merle Kennedy (petite sœur de la succube Angela dans Demon House 2) y passe son temps en short et haut de bikini. Franchement, que pouvez-vous bien demander de plus ?
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