Gore N°64
Neige d’Enfer
(1988)
Norbert Moutier est depuis bien longtemps une véritable légende du Bis francophone, et s’il n’y a pas besoin de citer ses nombreux exploits (la boutique BD-Ciné, le zine Monster Bis, sa contribution à Fantastyka), il serait bon de rappeler qu’il souffre malgré tout d’une double-réputation. Car pour tout ce qu’il a accompli et dont il est félicité, il fut aussi moqué et rabroué pour d’autres travaux: ses films, des petits Z sans-le-sou généralement bricolés dans sa cave et shootés en 8 ou 16mm avec quelques copains en guise d’équipe. Des œuvres dont il était fier et aurait sans doute aimé qu’elles soient reconnues par la communauté, ne cachant pas son mépris pour les critiques au point de se retirer définitivement du milieu au bout d’un moment, au grand regret de beaucoup. Il faut dire que les deux points de vue se comprennent: d’un côté Moutier faisait ce qu’il pouvait avec le peu de moyen à sa disposition pour faire vivre le genre qu’il aimait profondément, et trop rarement représenté dans notre pays. Mais aveuglé par cette passion, il ne réalisa jamais qu’il ne fut rien d’autre qu’un Don Dohler ou un Mark Polonia français.
Si Ogroff est depuis devenu culte, impossible de nier qu’il s’agit d’un bon gros nanar mal foutu à tous les niveaux, et pas que technique. Car l’écriture des scénarii semble avoir été un problème régulier dans la carrière de l’auteur, ses histoires prenant souvents des virages délirants voir non-sensique au détriment de l’intrigue. Citons ce vampire déconnecté du reste de l’histoire dans Ogroff, ou ce soldat zombie dans L’Équarrisseur de Soho, adaptation d’un Soho Maniac jamais tourné pour la collection Gore de Fleuve Noir. Il est donc d’autant plus étonnant que cela n’ait pas vraiment lieu dans ce Neige d’Enfer, autre novélisation d’un script abandonné du fait des complications logistiques engendrées par le cadre de l’histoire (une région complètement enneigée, cauchemar assuré pour les répétitions et le bon fonctionnement du matériel), qui emprunte beaucoup aux survivals américains à la Massacre à la Tronçonneuse. Il est ainsi question de malheureux voyageurs, deux couples d’amis (qui en réalité ne s’aiment pas vraiment) se retrouvant perdu au milieu de nulle part suite à un accident de voiture avant d’être attaqué par une bande de bouseux psychopathes.
Rien de bien original en gros, sauf que l’intrigue se déroule durant un hivers impitoyable et après une tombée de neige massive qui va totalement chambouler le paysage puisque cachant les routes et les chemins sous un épais manteau. Un paysage de désolation qui créé une sacrée atmosphère et donne une sensation d’isolement totale forcément en phase avec le sujet. Et d’ambiance il en est bien question ici puisque l’écrivain n’a jamais caché son dédain pour le gore à la française avec ses descriptions excessives et ses emprunts à la pornographie. Certes il nous gratifie d’une fellation assez graphique lorsqu’un des protagonistes est violé dans son sommeil par une nymphomane cougarde, mais rien de comparable avec les autres œuvres de la collection. Le sexe devient plutôt le moteur de la relation entre ces deux personnages, l’homme gardant la vie en devenant l’amant soumis de l’autre, ce qui permet quelques rebondissements lorsqu’une alliance se forge entre eux à l’insu de tous, tant des héros que des antagonistes. Moutier s’amuse même à détourner une scène de viol en rendant les agresseurs gays !
Ainsi lorsqu’une jolie demoiselle est attaquée par deux rustres et qu’elle joue de ses charmes pour qu’ils baissent leurs gardes, elle se retrouve surprise lorsqu’ils préfèrent la neutraliser et la mutiler directement, incapable de comprendre pourquoi ils refusent de profiter de son corps. Elle va ensuite réaliser que ses bourreaux sont en couple, à la surprise du lecteur qui anticipait ce qui allait suivre. Bien vu, et ce sont des idées de ce type qui gouvernent la narration ici, les meurtres semblant plutôt découler de la situation qu’être la vedette par principe. Citons notamment l’exploration de cette vieille mine d’or où, dans un gouffre, gisent les nombreuses victimes démembrées mais encore vivantes des miniers fous, qui patogent dans leur propre sang et entrailles, incapable d’escalader les parois pour se sortir de là. Une vision dantesque, éclairée à la lumière de torches, qui devient encore plus infernal lorsque l’on apprend que les tortionaires s’amusent à lâcher leurs chiens sur les malheureux dont ils se repaissent. Et au milieu des corps se dresse un grand gaillard indemme mais devenu cannibal, se battant chaque jour contre les bêtes avant de se nourrir des restes humains trainant à ses pieds…
Il y a aussi la Folle Sanglante, qui vole la vedette aux protagonistes dès qu’elle apparaît tant sa mésaventure est incroyable. Simple piétonne fauchée par la voiture des héros au début de l’histoire, elle survit à l’accident mais pête un câble en découvrant que les responsables tentent de s’enfuir. Enragée, elle attaque le véhicule et fini par tuer un passant dans sa fureur avant de disparaître. On la retrouve plus tard agonisante, la mâchoire inférieure arrachée, après qu’elle ait été attaquée par les mêmes tarés qui s’en prennent aux autres protagonistes. Laissée pour morte, elle va cependant se relever et s’en prendre à tout le monde, brisant des crânes à coup de pierres. Voilà sans doute le personnage le plus “Moutier” du lot, que l’auteur n’épargne cependant pas puisque malgré sa folie meurtrière, elle demeure vulnérable et se prend les pieds dans un piège à loup caché sous la neige… Et puis il y a cette pauvre femme dépeinte comme une simple d’esprit, tellement lente à la détente qu’elle se retrouve insensible à la peur malgré elle. Sacré surprise de voir cette épouse dénuée de personnalité se transformer subitement en Rambo de circonstance.
Parce que son père lui a appris à se débrouiller un minimum avec un fusil dans sa jeunesse, et parce qu’elle arrive à garder la tête froide en ne songeant jamais à l’ampleur de la menace qui pèse sur elle, elle prend les agresseurs au dépourvu, s’armant d’un fusil à balles explosives lui permettant de faire un carnage dans le camp ennemi. Elle en fait parfois un peu trop en regard de sa petite intelligence, comme lorsqu’elle pense à jongler entre différentes armes et positions pour faire croire a plusieurs tireurs, mais difficile de ne pas applaudir tant la pauvre fille est au début méprisée et sous-estimée de tous. Y compris de l’écrivain visiblement, tant ses qualificatifs la concernant paraissent cruels et mesquins. Comme ils sont généralement placés dans la bouche d’autres personnages il est parfois difficile de savoir si Moutier présente ses héros comme de parfaits salopards ou s’il glisse discrètement son point de vue assez piquant sur la gent féminine. Car les autres filles en prennent pour leur grade également, toutes considérées comme des catins séductrices vaniteuses et manipulatrices.
Cela dit les mâles ne sont pas épargnés puisqu’il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Ils sont peut-être pire même, les deux “meilleurs amis” étant chacun prêt à se trahir par jalousie ou par cupidité, et les autres étant présenté comme de véritables sadiques. Descendants de chercheurs d’or, ils habitent le campement de leurs ancêtres, rejetant la civilisation telle une secte sous le joug d’un leader tyrannique et ultra conservateur. Mais parce que leur mine s’est tarie depuis longtemps, ils récupère le précieux métal en dérobant les randonneurs de leurs bijoux à la place, allant jusqu’à passer des petites annonces pour attirer les touristes chez eux ! Une situation absurde à laquelle il vaut mieux ne pas trop penser sous peine de voir tous les problèmes qu’elle pose, mais qui a le mérite d’être vaguement expliquée par la présence d’un chef de police qui évite de fourrer son nez dans cette affaire du moment qu’on lui graisse la patte. Dommage que ces fanatiques fassent pâles figures en comparaison des autres protagonistes, se retrouvant peu développés et n’ayant pas beaucoup de personnalité.
Car il y avait du potentiel dans cette communauté gouvernée par un chef hypocrite, ancien addicte des jeux d’argents qui a autrefois perdu tout le butin du clan lors d’une soirée trop arrosée. Ayant sombré dans le meurtre et le vol par désespoir, il a fini par se vautrer dans la sauvagerie en entrainant les siens qu’il dirige d’une main de fer, n’hésitant pas à couper au sabre celles des voleurs qui convoitent le pot commun. Les pilleurs sont donc devenu une petite armée bien organisée et ils le prouvent lorsque surgit un nouveau flic soupçonneux qu’ils vont de tuer, avant de débiter sa voiture en morceaux qu’ils enterrent dans une fosse rapidement creusée puis rebouchée et couverte de neige, faisant disparaître toutes traces du crime en quelques minutes. Autant dire qu’il vaut mieux ne pas avoir de dents en or, au risque de se retrouvé avec un pieu coincé entre la langue et le palais tandis que le plombage est retiré à la tenaille rouillée et au cutter ! Mais cela n’est qu’une mise en bouche (littéralement) au regard du spectacle sanglant qui attend le lecteur: corps découpés à la scie, visage brûlée contre un vieux poêle chauffant, têtes écrasées sous les roues d’un camion…
Une vieille bique est égorgée lentement par un veuf revanchard, un blessé est amputé d’une jambe sans anesthésie et un fugitif rampant sous les cabanes est mordu sauvagement par un chien galeux qui s’était planqué là pour mourir. Des crânes sautent lors de fusillades spectaculaires, dont l’une où la tireuse est perchée sur le toit d’un véhicule en mouvement, et il y a toute une course poursuiteddans la mine où les héros se retrouvent avec une meute de cabots enragés aux fesses. Le final, joyeusement délirant, montre l’héroïne bécasse massacrer les survivants à l’aide d’un poids lourd blindé avec des lames de scie, déchiquetant et empalant les corps dont certains restent coincés sur la carrosserie, parfois même encore vivants ! Et tout ça bien sûr avec quelques tournures de phrases bien senties et des descriptions amusantes (“Essuyant les débris de sang et de cervelles qui maculaient son visage, Lorna sourit et sauta de joie comme une gamine”), même si certaines formulations sont parfois assez surprenantes et pas toujours très finaudes (“Elle baissa la tête, honteuse comme une gamine surprise entrain de se masturber”).
En tout cas le résutlat est diablement efficace et Neige d’Enfer est sans conteste l’une des meilleurs œuvre de Norbert Moutier, en tout cas la plus réussie en terme d’écriture et dépourvue des tares du cinéma à petit budget par sa nature de roman. Il n’y a qu’à voir Opération Las Vegas que le réalisateur nous balança la même année pour s’en assurer. Mais s’il avait de quoi être fier, jamais celui-ci ne s’étala sur sa carrière d’écrivain, se cachant même derrière le pseudonyme (transparent) de Nobert-George Mount pour l’occasion. Et hélas l’arrêt de la collection Gore quelques années plus tard empêcha la publication de plusieurs autres manuscrits que l’on ne lira probablement jamais. On se consolera avec l’illustration de couverture signé Dugévoy qui représente la Folle Sanglante dans toute sa splendeur, colorant son manteau de fourrure blanc comme neige pour contraster avec le rouge du sang et la rendre plus impressionnante encore. Non, décidemment Neige d’Enfer est un bon Gore, et s’il vous fallait un titre pour vous lancer dans la série – un qui ne soit ni trop extrême, ni trop sage, celui-ci conviendra parfaitement.
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