Mad Movies N°1 (1972) | Histories of Mad Movies

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N’en déplaise à son créateur, Jean-Pierre Putters, Mad Movies est pratiquement une institution pour ceux qui s’intéressent au fantastique, à la science-fiction ou au cinéma Bis, et ce n’est sans doute pas s’avancer que de dire que tout ce petit monde fut à un moment ou à un autre un lecteur régulier de la revue. En cinquante ans d’existence celle-ci est passée par différentes formules et a connue plusieurs équipes de rédaction différentes, au point que l’on pourra juger de l’âge ou des goûts d’un fan selon la période à laquelle il se réfère. Personnellement cela fait plus de quinze ans que je n’ai pas ouvert les pages du magazine, la faute à d’embarassantes raisons budgétaires et de vie de couple. Il y a dix ans exactement ma situation évolua et j’espérais renouer, mais de nombreux camarades vinrent freiner mes ardeurs en m’avertissant de l’horreur qu’était la dernière mouture en date, citant tant l’attitude snob des journalistes que la maquette aseptisée au possible et loin des débordements colorés d’autrefois. Curieux, je me suis aussitôt emparé du dernier exemplaire en vente pour constater qu’effectivement, l’intérieur de Mad Movies ressemblait plus aux Cahiers du Cinéma qu’autre chose avec ces pages affreusement blanches, son iconographie économe et une volonté apparante d’intellectualiser le genre.

 

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Ironiquement c’était tout ce que JPP détestait dans les zines de cinéma de son temps, qui méprisaient la série B, l’horreur et le divertissement pur. Une idée très française en fait, et ayant autre chose à faire que de m’enfermer dans une nouvelle relation toxique, j’ai alors décidé de ne pas perdre mon temps et de clôre le chapitre une bonne fois pour toute depuis 1996, avec la découverte du numéro double 102 durant mes grandes vacances. Pour autant je n’ai jamais vraiment lâché Mad, ni ses nombreux spin-off comme Impact, Mad Asia ou Ze Craignos Monsters, achetant d’anciens numéros au kilo pour me replonger dans l’actualité d’une autre époque, la mentalité d’un autre temps et les photos criardes de monstres puants, d’aliens gluants, de robots géants et de kickboxers sanglants comme je les affectionne. Cela étant dit ce canard n’est pas un cas unique: il a connu de nombreux prédecesseurs (Midi-Minuit Fantastique et L’Écran Fantastique pour ne parler que des plus gros) et compagnons de rayonnage, et il serait facile de simplement le remplacer par un autre. Pourtant il existe bien une sorte d’identité Mad difficile à expliquer, ses lecteurs entretenant pour la plupart un lien personnel et sincère avec le titre, au point de continuer à l’acheter par habitude même sans vraiment le lire. J’en fut moi-même coupable dans mes derniers mois avec lui.

 

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Cela on le doit principalement à la personnalité marquante de son fondateur, un type à la fois réfléchis et aux pensées humanistes, mais aussi très braqué et direct dans ses opinions, tirant à boulets rouges sur l’armée, l’église et la politique, tout en étant adepte de la blagounette et des jeux de mots navrant. Son histoire, et indissociablement celle de Mad, est explorée dans l’ouvrage Mad Movies, Mad… Ma Vie, que je vous encourage à lire. Pour faire court, JPP y explique avoir toujours aimé la presse et le fanzinat, fréquentant les librairies underground qui lui firent découvrir la contre-culture et fondant la sienne avec la légendaire boutique Movies 2000. Il raconte avoir débuté l’écriture dans Metaluna, le zine d’un copain qu’il éditait, avant de se laisser tenter à créer le sien par amour du genre et par besoin de nouveauté. Ainsi né Mad Movies, dont le titre est une référence directe à ses influences – des publications américaines nommées Mad Monsters ou Movie Monsters. Il débarqua dans le courant d’une nouvelle vague (comme Le Masque de la Méduse de Alain Petit) et c’est en juin 1972 que paraît le tout premier numéro: Mad Movies, “Le Fanzine du Fantastique”, qui affiche la belle Barbara Shelley de Dracula, Prince des Ténèbres en couverture. “Voici “Mad Movies”, pas de grandes phrases pour le présenter, puisque demain il sera peut-être déjà mort” disait le rédacteur dans son édito, qui pensait sincèrement que le projet ne passerait pas l’hivers.

 

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Et effectivement, à le regarder il ne ressemble pas à grand chose ce fanzine, simple collection de feuillets tapés à la machine avec un alignement tremblotant et imprimé à la ronéo (affectueusement surnommée Juliette), où s’accumulent coquilles barrées au stylo, majuscules sortant de nulle part et une “ponctuation flottante” où des virgules servent de points et inversement, faisant pour une lecture parfois chaotique. C’est le charme de l’amateurisme ma bonne dame, et à seulement 7,50 Francs ce serait con de faire la fine bouche d’autant que le contenu est plutôt intéressant – surtout pour les fans qui auront une idée toute faite d’un sommaire classique. D’après Mad… Ma Vie, l’idée était de couvrir l’actualité tout en évoquant certains films marquants des décennies précédentes. Mais avec les tatonnements du début et le besoin de remplir ses pages, JPP proposa d’autres choses que l’on ne retrouve plus de nos jours, comme une courte nouvelle et un article sur “le fantastique dans le réalisme” (les statues de l’île de Pâcques) dans le but de toucher un plus large public. Son éditorial demeure cependant reconnaissable et il y évoque l’importance du fanzinat, à la survivance difficile, qui parle des œuvres que le journalisme académique à tendance à bouder, et montre sa passion pour le cinéma fantastique, un domaine où “tout est possible, surtout l’impossible,tout est merveilleux, sauf ce qu’il l’est”, expliquant combien il est utile pour s’échapper de la triste réalité quotidienne.

 

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Au total ce sont huit chroniques cinéma et un court dossier qui composent ce premier numéro. Des textes très courts et tous rédigés par un Jean-Pierre qui n’hésitait pas à faire savoir qu’il était à la recherche de collaborateurs à travers plusieurs annonces. C’est L’Île de la Terreur (1966) qui ouvre le bal avec un avis mitigé, l’auteur reconnaissant que la chose se laisse suivre grâce à son ambiance étrange et mystérieuse, mais accuse de quelques défauts techniques, notamment les Silicates. En revanche il défonce la mise en scène et conclu même par un “Adieu Monsieur Fisher” peut-être un peu exagéré ! Il apprécie le message pacifiste mais utopique du Maître du Monde (1961), où Robur veut désarmer le monde et doit provoquer la destruction pour ce faire, critique les effets spéciaux, le doublage français de Vincent Price et le manque d’implication de Charles Bronson. “La paix par la force n’est pas une solution très empreinte de liberté” déclare-t-il joliment. Il reconnaît le génie de Ray Harryhausen sur Jason et les Argonautes (1963), œuvre apparemment mal aimée en son temps, et défend notamment l’armée de squelettes qui de nos jours est plutôt vu comme le clou du spectacle. C’est l’hydre qui lui semble déficiente et il souligne les libertés prises avec la mythologie grecque, mais craque totalement sur la belle Honor Blackman (Goldfinger) qui interprète Héra.

 

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Avec Quatermass and the Pit (1967) il encourage les lecteurs à lui écrire pour dire quel épisode de la trilogie préfèrent-ils. JPP recommande chaudement ce troisième volet, sans doute sensible à cette intrigue où les fondements de la religion chrétienne sont ébranlés par quelques martiens malintentionnés, qui manipulent les crédules par le biais de leurs croyances. La présence de la belle Barbara Shelley n’est pas non plus sans le laisser de marbre et il enchaine justement sur une petite rétrospective de sa carrière, via une filmographie sélective dévouée au fantastique et à la SF. Une fiche technique et quelques lignes présentent chaque titre, à l’exception de Blood of the Vampire qui l’inspira suffisament pour écrire une critique bonus. Jean-Pierre salut Le Village des Damnées et Shadow of the Cat, considère The Gorgone comme un chef d’oeuvre de Terence Fisher tout en déplorant le maquillage décevant de la créature, et Raspoutine, le Moine Fou en prend pour son grade. Revenons aux chroniques avec le rare L’Homme au Cerveau Greffé (1972) de Mathieu Carrière (Malpertuis) que l’écrivain disait adorer dans Mad Ma Vie. Il compare étrangement l’intrigue à L’Étrangleur de Paul Vecchiali mais se montre très positif, affirmant que “la France peut avoir son mot à dire”, ce qui est vrai mais trop rare.

 

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S’ensuit la nouvelle Schwarz, de Nick D’Auria, qui ne fait guère plus d’une page et semble avoir été rédigée d’après un sketch qui n’a pas été reproduit dans le zine. L’histoire est celle de deux naufragés qui s’échappent en barque et trouvent refuge sur une île déserte. Le narrateur, blessé et ayant perdu beaucoup de sang, commence à délirer et devient de moins en moins fiable à mesure que les choses avances. Le nom de son compagnon, Schwarz, n’a de cesse de s’allonger à mesure qu’il pense à lui, et lorsque le duo découvre un château fort abandonné, il reste à voir s’il a encore toute sa tête lorsqu’ils rencontrent des fantômes une fois à l’intérieur. La conclusion est un peu abrupt mais on appréciera l’apparition de ces templiers squelettiques à la Amando de Ossorio, dont La Révolte des Morts-Vivants venait tout juste de sortir. Coïncidence ou fanfiction avant l’heure ? Concluons enfin avec les trois dernières critiques, celle de Mad Doctor of Blood Island étant plus plus négative du numéro, JPP apparaissant consterné par son intrigue prétexte, son mutant mi-zombie mi-plante, ses effets gores et sa nudité gratuite. Homme cultivé avant tout, il possède visiblement certaines limites concernant la série B d’exploitation pure et dure et préfère se réfugier dans les calembours à deux balles pour sauver son texte (“Mes deux seins déments”), souhaitant bon courage à ceux qui voudraient s’envoyer les suites du film.

 

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Avec Le Spectre Maudit (1964) il s’attaque même à la concurrence, critiquant Midi-Minuit qui massacra l’oeuvre en seulement deux lignes et l’accusant de ne pas aimer l’actrice Heather Sears. Il reconnaît néanmoins que le résultat n’est pas terrible même s’il reste regardable, et le lecteur moderne s’amusera de cet avis médiocre en sachant que le DVD fut distribué en bonus dans Mad Movies N°174 en 2005. Enfin La Chose d’un Autre Monde est intéressant en cela qu’il s’agit d’une chronique écrite dix ans avant que John Carpenter ne livre son célèbre remake. Il est maintenant rare de parler de l’original sans que son petit frère ne soit évoqué en coup de vent, et Jean-Pierre ne se limite donc pas à dire que cette version est ringarde en comparison. Il cite le spectacle des bébés plantes mutantes qui respirent à l’unisson et considère le résultat “d’un vif intérêt”, bien qu’un peu bavard et allourdi par son américanisme. Le numéro se conclu sur cet article concernant l’île de Pâcques, intéressant car composé à une époque où l’on ne savait rien de ces étranges statues ou de sa culture préhistorique. L’auteur évoque les hypothèses farfelues concernant leurs origines, parle du Mana à une époque où le terme n’était pas vraiment connu et du triste sort réservé aux indigènes, réduit en esclavage par les colons avant d’être ramené chez eux dans des conditions misérables.

 

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La dernière page fait la promotion des collègues fanzineux (Jonathan, entièrement consacré au fantastique au cinéma, et Peeping Tom, la gazette du cinéma Bis) et aux petites annonces, sans doute toutes par JPP qui accueillait à bras ouvert articles, critiques, idées, nouvelles et suggestions. Au final ce que l’on retient de tout ça, outre l’importance historique, ce sont des débuts humbles qui n’ont aucune prétention autre que de soutenir le genre et ceux qui l’apprécient, sans glorifier à l’extrême, ni mépriser. Les lecteurs modernes constateront que le style JPP n’évoluera jamais après ça (si ce n’est en ambition et en syntaxe), le bonhomme écrivant ici comme il continuera à le faire des décennies plus tard. En cela la fameuse identité Mad que j’évoquais plus haut existe ainsi dès ce premier numéro, faisant preuve d’un esprit libertaire qui ne se prend jamais au sérieux, mais sais quand même l’être pour rester crédible. La suite on la connait déjà: les ventes furent suffisantes pour permettre un Mad Movies N°2, puis un autre et ainsi de suite jusqu’à maintenant. Amusant quand on considère le fait que Alain Schlokoff, grand patron de L’Écran Fantastique qui avait un peu le monopole du sujet en ces temps, déclara plus tard avec dédain qu’il ne pouvait pas y avoir deux revues professionnelles sur le genre. Il s’en mordit certainement les doigts et l’air de rien voilà qui montre toute la différence entre Mad et sa concurrence, l’attitude de l’un attirant franchement plus que celle de l’autre.

 

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2 comments to Mad Movies N°1 (1972) | Histories of Mad Movies

  • Blue Espectro Blue Espectro  says:

    Mon premier Mad Movies : le numéro 150 avec X-Men 2 en couverture. J’ai définitivement lâché l’affaire vers 2018. “La magie” n’y était plus. Je garde précieusement les anciens numéros que je relis de temps en temps. Idem pour les nombreux hors-séries. Je n’ai jamais accroché à L’Écran Fantastique. Trop pompeux à mon goût (comme le Mad d’aujourd’hui).

    • Adrien Vaillant Adrien Vaillant  says:

      Ah toi aussi ! Nous sommes donc bien d’accord sur le sujet !

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