Kuutamosonaatti
(1988)
Kuutamosonaatti (gesundheit) ça veut dire La Sonate au Clair de Lune, et c’est comme ça qu’est appelé la célèbre musique de Beethoven en Finlande. C’est aussi le titre d’un film d’horreur de là-bas – une chose extrêmement rare ! – sorti dans les années 80 et que l’on doit au cinéaste méconnu Olli Soinio, dont seulement une réalisation a atterri dans nos contrées: la comédie dramatique Valse Triste, ou Après Eux le Déluge. Apparemment très motivé pour livrer sa propre version de Massacre à la Tronçonneuse (il débuta le script en 1985, alors qu’il montait le Soldat Inconnu de Rauni Mollberg), il tourna hélas ce petit morceau de hicksploitation hivernal dans l’indifférence la plus totale. Désormais elle fait relativement figure d’oeuvre culte auprès des initiés, non pas en raison de sa qualité mais de sa simple existence, puisqu’avant cela il fallait remonter aux années 50 pour trouver la moindre bande Fantastique dans le paysage cinématographique du pays. Le résultat est donc une curiosité indéniable, même s’il tient plus du thriller qui déraille un peu que de l’habituel film de bouseux homicides dont nous abreuve les États-Unis depuis les 70s.
Sorti pratiquement nulle part ailleurs officiellement, en-dehors de l’Union Soviétique et de la RFA (qui le transforma en Muttertag II, fausse suite du Mother’s Day de la Troma), Kuutamosonaatti est désormais victime de quelques désinformations involontaires à son propos, qui sont rapportées d’un website à un autre sans vérifications. D’une part son supposé titre international de Moonlight Sonata n’existe pas réellement puisqu’il s’agit d’une simple traduction faite par les internautes. Ensuite le film dure moins que les 86 minutes répertoriées un peu partout, dépassant en fait à peine les 1h20 de rigueur tout en se trainant difficilement par instants. Enfin il est souvent dit que l’intrigue se déroule dans la région de la Laponie, vaste territoire sauvage et enneigé où est censé habiter Santa Claus selon le folklore, ce qui n’est jamais indiqué concrètement par la narration – le tournage a d’ailleurs eu lieu dans l’Uusimaa, qui se trouve à l’autre bout du pays. L’histoire ne flirte donc pas avec l’esprit de Noël contrairement à ce que le spectateur mal informé pourrait croire, et il n’est pas du tout question d’un “Rare Exports chez les cannibales”.
Dommage car l’idée était prometteuse, et en comparaison les évènements contés ici sont si classiques qu’ils pourront décevoir: la belle Anni, mannequin, est catapultée dans la campagne finlandaise suite à un scandale lors de son dernier contrat, son agent désirant la cacher des paparazzis le temps que les choses se calment. Il l’abandonne dans un cottage isolé au milieu de nulle part avec pour seul compagnon un gentil Corgi qui n’a rien d’un chien de garde. Pas de chance pour elle, car elle va vite découvrir que son voisin le plus proche, Arvo, est un un obsédé sexuel dégénéré qui va la poursuivre sans relâche, forcément désireux de lui proposer un rencard à sa manière. Il faut dire que le bougre a une vie bien compliquée entre sa mère ultra croyante qui le bat à la moindre faute et son frère géant, attardé mental à la force surhumaine que la famille garde enfermé dans le cellier pour éviter les problèmes. Inévitablement les choses vont escalader jusqu’à la confrontation entre la jeune femme et son admirateur, tandis que le frérot handicapé va finir par s’évader et sympathiser avec le clébard une fois dehors…
La grosse surprise dans tout ça vient du traitement plutôt léger de la situation, qui par moment évoque un peu Tucker & Dale vs. Evil tant il est surtout question de quiproquos et de choc des cultures. Si Anni devient à raison paranoïaque et craint pour sa vie suite aux nombreuses agressions verbales et physiques du paysan, elle se met parfois dans les emmerdes toute seule et semble ne jamais comprendre qu’elle a affaire non pas à un criminel sanguinaire mais à un simple idiot, certes très con et dangereux, mais fondamentalement inoffensif. Une fois passé les insultes (sa seule façon de communiquer visiblement) celui-ci tentera même de s’excuser et de proposer une trêve à sa manière, échouant par un manque (total) de compréhension de sa propre attitude. Et s’il ne fait aucun doute qu’il est bien l’antagoniste du film, attaquant l’héroïne avec des outils agricoles ou son tracteur, cela n’en fait pas un monstre maléfique pour autant. Même chose pour son frangin, a priori Leatherface de service qui est en réalité plus proche du Sinok des Goonies qu’autre chose, sa seule victime (la seule de tout le film !) étant plus ou moins justifiée du fait qu’elle a maltraité son ami canin.
Cette subversion du genre ne serait pas un problème si le sujet avait été maitrisé correctement, malheureusement le réalisateur semble n’avoir aucun sens du rythme et se perd dans de longues séquences de remplissage qui s’étirent à n’en plus finir. Non seulement ça, mais pour d’étranges raisons le script semble ne jamais vouloir donner la parole à son héroïne, apparemment plus intéressé par le langage ordurier de son adversaire. Celle-ci reste mystérieusement muette même lorsque son jeune frère débarque afin de lui tenir compagnie, les deux s’échangeant à peine quelques mots et Anni ne lui expliquant jamais ses peines et ses doutes malgré la tension. Le public étranger pourra apprécier puisque les copies disponibles du film ne possèdent ni sous-titres ni doublages anglais permettant de comprendre ce qui se passe, mais à l’époque d’Internet et des traductions officieuses tout cela saute d’autant plus aux yeux. Et si d’aucun pourra dire que cela confert à l’oeuvre une ambiance légèrement surréaliste, voir onirique, la vérité est que cela donne surtout l’impression de voir une workprint incomplète et grossièrement montée…
Entre ça et la déception possible du fait que Kuutamosonaatti n’est pas vraiment le film d’horreur qu’il paraît être, autant dire que beaucoup n’y trouveront pas leur compte. Il faut même attendre une bonne cinquantaine de minutes afin que les choses ne deviennent sérieuses, ce qui n’aide pas vraiment. L’intérêt se trouvera alors dans les petites choses comme les fulgurances visuelles, les idées bizarres et une poignée de scènes intéressantes. Comme le caméo télévisé d’Alfred Hitchcock qui a l’air de dégouter l’héroïne, ou le meurtre à la serpe d’un inspecteur de la redevance télé venu traquer les resquilleurs jusque dans le trou du cul du monde. Il y a aussi cette superbe intro qui montre le colosse errer de nuit dans une plaine brumeuse et couverte de neige, éclairé par une simple lanterne, s’en allant à la rencontre des loups qu’il aimerait bien rejoindre. Le titre du film lui fait d’ailleurs référence puisque la fameuse “sonate” désigne ses propres hurlements à la face de la lune. Enfin un certain humour noir surnage, avec par exemple ce moment où l’agent d’Anni passe son contrat au broyeur au moment même où celle-ci lui téléphone pour qu’il vienne la sauver…
Mais les vrais atouts du film sont ses acteurs principaux: Tiina Björkman se montre plutôt réaliste dans le rôle de ce top modèle propulsé hors de son élément, devant couper son propre bois sans savoir manier une hache et ouvrir des conserves sans ouvre-boite. Si certaines scènes demeurent parfois étranges (elle brûle les oiseaux empaillés du chalet dans un accès de rage et renifle sa petite culotte à la fin de la journée), la voir fracasser tour à tour une pelle à neige, une bouteille, une cagette en bois et un tissonnier sur le crâne du géant indestructible avant de le menacer avec une perceuse demeure l’un des meilleurs moments de ce survival autrement mou du genou. Beau piège final également, qui implique un câble électrique relié au treuil d’un tracteur pour un résultat explosif. La demoiselle n’hésite pas non plus à se mettre totalement nue, ce qui est forcément appréciable. Mais encore plus divertissant est son partenaire Kari Sorvali, totalement possédé par son personnage et valant bien Bill Moseley dans Massacre à la Tronçonneuse 2. Car Arvo pilote son tractopelle comme dans Fast & Furious, poursuit sa proie en pleine supérette avec une fourche et vole même la lingerie fine d’Anni lorqu’elle a le dos tourné.
Quand celle-ci trouve refuge dans une voiture, le bouseux saute à pieds joints sur le capot et baisse son pantalon devant elle avant de s’exclamer (et en français !) “s’il vous plait” en une invitation sordide. Survolté et difficilement excusable, le personnage se montre aussi étonnament vulnérable lorsqu’il tente sincèrement d’établir un contact avec la jeune femme, reconnaissant que certaines de ses actions ont dépassés les bornes. Mais de par sa faible intelligence il lui sera impossible de trouver les bons mots, et ces instants seront encore perçu comme une agression par l’héroïne qui va aussitôt répliquer avec la violence – sans doute la vraie raison pour laquelle il part en guerre contre elle. Beaucoup de potentiel inexploité là-dedans et c’est sans doute le plus gros défaut de ce Kuutamosonaatti qui du coup ne s’élève jamais à la hauteur de sa (minuscule) réputation. Il ne trouva d’ailleurs pas spécialement son public même en Finlande, les critiques n’y voyant qu’une petite série B malgré une cinématographie ultra léchée. Malgré tout, le succès fut suffisament au rendez-vous pour permettre une suite quelques années plus tard.
Fort de deux Jussi Awards (l’un décerné comme de juste à Kari Sorvali pour meilleur premier rôle masculin, l’autre récompensant le travail du son) et d’une nomination du meilleur film à l’International Fantasy Film Award, Olli Soinio mis rapidement en chantier un Kuutamosonaatti 2, aussi nommé Kadunlakaisijat (nettoyeurs de rue). Une séquelle cette fois ouvertement parodique et très inspirée de Massacre à la Tronçonneuse 2, qui délaisse cependant le cadre enneigé atmosphérique pour un environnement plus urbain. Preuve peut-être de la diminution d’impact que cela entraine, la chose n’est jamais sorti nulle part et ne dispose à l’heure actuelle d’aucune version traduite ou sous-titrée. Sauf en Allemagne, où elle porte le titre de Army of Zombies (et non pas de Muttertag III comme certains veulent bien le faire croire, lequel cache en fait l’anglais Mother’s Day Evil, alias Curio, datant de 2010). Dans tous les cas cela n’empêcha pas les distributeurs du premier opus de magouiller un peu pour mieux vendre leur tambouille: la jaquette VHS reprend ainsi l’affiche cinéma mais rajoute dessus une vignette montrant Tiina Björkman toute nue, histoire d’attirer l’attention. Pari réussi. S’il vous plait.
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