Intruder
(1989)
“I’m just crazy about this store.”
Scott Spiegel fait partie de l’écurie Raimi, et ce depuis le début. Présent au côté du réalisateur d’Evil Dead depuis le prototype Within the Woods, il a grandit avec les frangins Sam et Ted ainsi que Bruce Campbell, apportant son aide de toutes les manières possible sur la plupart de leurs premiers projets. Il fut entres autres co-scénariste pour Evil Dead 2, participa à divers courts-métrages comme The Blind Waiter où figurent ses célèbres amis et fit quelques apparitions dans Mort ou Vif et Spider-Man 2.
Un de ses vieux travaux, pas toujours référencé d’ailleurs puisque n’étant jamais sorti, est un petit film tourné en Super-8 nommé Night Crew. Un slasher inspiré par Halloween et racontant comment un tueur s’en prend à l’équipe de nuit d’un petit supermarché. Le court-métrage fut inspiré par des expériences vécues par le réalisateur lorsqu’il avait un petit job dans un magasin de son Michigan natal. Des années plus tard, et après le succès resplendissant des deux premiers Evil Dead, Spiegel décide de booster sa carrière de metteur en scène et choisi de refaire Night Crew comme premier long-métrage. Il s’associe avec un certain Lawrence Bender, futur producteur de Quentin Tarantino, pour réécrire le scénario et le duo accouche d’un remake finalement très différent de l’original puisqu’il privilégie la violence au suspense. Fini l’ambiance angoissante et les meurtres en retenu: si Spiegel veut conquérir les foules, il doit miser sur l’exploitation de divers éléments.
Il faut dire qu’en 1989, le genre entre dans sa dernière phase. Halloween 5 et le huitième Vendredi 13 sortent en salles pour ce qui est le dernier volet de leurs franchises respectives pour un bon moment, les sagas des croquemitaines s’essoufflant alors. Week-end de Terreur et son épilogue prenant tout à la rigolade est passé par là lui-aussi, donnant un coup dur à l’atmosphère générale qui va avoir du mal à retrouver son sérieux. Sans surprise, des titres comme Sleepaway Camp 2 et 3 font dans l’humour pachydermique, démontrant que le film du maniaque masqué touche doucement mais sûrement à sa fin.
Le second degré, Spiegel l’utilise également, beaucoup même, ayant conscience que son histoire de tueur de supermarché ne trouvera pas facilement grâce aux yeux du public. Son script est blindé de gags, de moments décalés, mais il faut préciser que le réalisateur maitrise cela à la perfection: lui comme Sam Raimi ont toujours œuvré dans la comédie, et Evil Dead est revendiqué comme une étant une version sanglante des films qui les faisaient rire dans leur jeunesse (même si cela se ressentira surtout avec le second volet). Moins centré sur le slapstick que son ami, plus intéressé par une démarche visuelle, le responsable d’Intruder livre donc une série de situations amusantes très inspirées, du genre qui font réellement sourire.
Toutefois son film ne se veut pas une parodie du genre et Spiegel a la bonne idée de génie de confier les effets spéciaux à la boite KNB, que l’on ne présente plus, leur commandant les séquences les plus sanglantes qu’ils peuvent lui offrir. Des bons copains avec qui il a déjà bossé auparavant, ce qui renforce l’impression que ce slasher est un film de famille, surtout avec la participation des frères Raimi et de Bruce Campbell dans de petits rôles pour faire comme à leurs débuts.
Mélangeant gore excessif et comédie décalée, Intruder est l’un de ces films parvenant à marier les styles avec efficacité, alternant les séquences particulièrement brutales (certaines victimes voient leur mort venir de loin) avec les gags imagés (un type découpé en morceaux et présenté comme produit discount), jonglant constamment entre les deux avant de tout mélanger dans une dernière partie qui donne dans l’hécatombe: personne n’est protégé, pas même les protagonistes ordinairement intouchables. Une manière de jouer avec les codes, surprendre les spectateurs et permettre un peu d’imprévisibilité dans une histoire a priori convenue. Les rôles du bad boy en blouson de cuir et du beau gosse irréprochable vont ainsi s’intervertir pour la plus grande surprise, à la manière du remake du Blob de Chuck Russell, sorti un an plus tôt.
Et naturellement le scénario ne présente pas son tueur avant la fin, s’inscrivant dans le style whodunit malgré la présence d’un suspect idéal en début de film.
Ainsi l’intrigue se déroule de nuit, à la fermeture d’un Walnut Lake Market. L’équipe de nuit ferme les caisses et commence sa routine tandis que leurs responsables font les comptes. Là, deux évènements vont venir perturber tout ce petit monde: le premier c’est l’annonce malheureuse de la fin de l’entreprise. Le supermarché ne gagne plus assez pour continuer et va fermer ses portes prochainement, le directeur ayant choisi de revendre. Cela ne plaît pas aux employés, une bande de jeunes comptant particulièrement sur leur emploi, ni au partenaire, détenteur de 49% des parts et n’ayant pas son mot à dire sur cette décision même s’il s’y oppose. Le second c’est l’intrusion d’un individu particulièrement agressif au sein du bâtiment, provoquant la bagarre générale lorsqu’il s’en prend à une caissière. Ex-petit ami possessif, stalker et ancien taulard ayant été déjà été condamné pour meurtre par le passé, celui-ci n’hésite pas à frapper quiconque s’interpose entre lui et celle qu’il “aime”, se montrant particulièrement violent et acharné.
Lorsqu’il prend la fuite dans le magasin, l’équipe le traque et parvient à le mettre dehors mais il rôde encore. Et alors que tout le monde tente de se remettre au travail en essayant d’oublier cette succession de mauvais moments, un tueur mystérieux commence à assassiner chacun d’entre eux, de la façon la plus sadique possible…
Le mystère n’est évidemment révélé que dans la dernier acte et fonctionne plutôt bien, même si malheureusement celui-ci fut éventé dès les premières VHS du film sur le marché. Pourquoi ? Parce que l’affiche réalisée pour l’occasion et les extraits sélectionnés au dos du boitier révèlent d’emblée l’identité de l’assassin ! Pas de quoi gâcher le film, mais quand même rageant pour quiconque voulait jouer le jeu à la première vision. La catastrophe s’est même poursuivie sur une ou deux autres éditions, à tel point que les sorties récentes sont toujours amusantes à regarder: il semble y avoir une hésitation entre poursuivre la tradition (le secret ayant été éventé depuis presque 30 ans maintenant) et au contraire faire barrage sur la révélation en offrant au film une couverture hideuse et anonyme.
Pour ne rien arranger les choses, les distributeurs tentent souvent de booster les ventes en présentant les noms de Sam Raimi et Bruce Campbell en tête d’affiche. Un mensonge éhonté, tant l’un n’a qu’un rôle secondaire et l’autre une simple apparition ! Le plus filou c’est évidemment Charles Band, jamais le dernier pour arnaquer son public: via son label Wizard Entertainment, il produisit une jaquette où le visage de Campbell est photoshopé sur une photo sans aucun rapport ! Gonflé, mais le bonhomme désirait certainement voir retour sur investissement – il fut en effet producteur sur le film, non crédité au générique mais distribuant quand même la majeur partie du budget.
Autre petite déconvenue pour Spiegel, son titre original de Night Crew n’a pas été conservé au final, les producteurs ayant décrétés qu’il ne faisait pas assez “slasher” à leur gout et lui préférant celui – on ne peux plus banal – de Intruder. Qui est tellement générique et peu accrocheur qu’il n’a pas du beaucoup aider à vendre le film, surtout en vidéoclub où il devait être perdu au milieu de choses bien plus séduisantes comme I, Madman, ou Slashdance, ou encore Phantom of the Mall: Eric’s Revenge. Autant dire que le film aura morflé d’entrée de jeu. Pas une bonne chose lorsque l’on tente de vendre un slasher à la veille des années 90. Pas terrible non plus pour un jeune réalisateur comptant sur son premier long métrage pour influencer sa carrière. D’ailleurs on le sait, Scott Spiegel n’a jamais tourné de grandes choses après ça. Il n’a même jamais tourné de bonnes choses après ça, se fourvoyant bien souvent dans des produits de seconde zone et peinant à se faire remarquer. Dommage.
Mais qu’en est-il de ce Intruder, alors ? Et bien il est très bon. Comme expliqué, le mélange d’humour noir, de visuels travaillés et d’ultra-violence fait bon ménage et le résultat est généralement perçu de nos jours comme le dernier coup d’éclat du genre. Un film à voir tant pour ses qualités que pour la postérité en somme. Et nombreux sont les moments d’anthologie.
Évoquons la mise en scène plutôt unique de Spiegel, et quiconque a déjà vu une de ses œuvres saura de quoi je veux parler: le bonhomme raffole des jeux de caméras, encore plus que Sam Raimi, et ne peut s’empêcher de filmer littéralement partout. Et nombreux sont les objets les plus anodins qui se retrouvent avec une vue subjective, nous permettant de voir des séquences du point de vue d’un cadran de téléphone, d’un caddie de supermarché ou encore du sol lui-même, couvert de popcorn… Un meurtre est même filmé depuis un flacon de gnôle !
On note pas mal d’effets de reflets, qu’il s’agisse de liquides ou de portes vitrées, comme lorsque le visage du tueur apparait monstrueux car capté derrière une bouteille d’eau. L’influence Evil Dead se fait fortement ressentir, notamment lorsque du sang coule sur l’ampoule d’une lampe renversée, baignant la pièce d’une lueur rouge macabre. On croise des silhouettes immobiles terrifiantes comme si Michael Myers venait faire de la figuration (sans doute les restes du Night Crew original) et en résumé, le réalisateur parvient à garder un semblant d’atmosphère inquiétante malgré les éclats de violence qui tirent la couverture sur eux.
Là-dessus ont est même plutôt servi, avec un tueur qui éparpille des morceaux de ses victimes partout dans le supermarché. On retrouve une main emballé comme un steak, un œil dans un bocal d’olive, un morceau humain est plongé dans l’aquarium à homards et les cadavres perdent souvent des bouts.
Brutal, l’assassin ne recule devant rien, crevant des yeux avec un pique-note ou transperçant des têtes avec des crocs de boucher. Une lame traverse une victime pour perforer la cannette de bière se trouvant derrière elle, faisant tout gicler. Un crâne fendu en deux perd son Walkman. Mention spéciale pour le crâne broyé par une presse à cartons et celui découpé d’une traite à la scie à os, moments extrêmement gores et impressionnants – le deuxième notamment, rivalisant carrément avec le meurtre à la perceuse du Frayeurs de Lucio Fulci.
Mais tout n’est pas qu’horreur et nombreuses sont les petites trouvailles venant divertir entre deux meurtres. Comme lorsque le tueur, pourtant en pleine poursuite avec l’ultime victime, ne peut s’empêcher de ranger le PQ tombé du rayonnage. Le même qui utilise une tête coupée comme marionnette, imitant le cri du blessé pour attirer ses proies. Le cadavre en pièces qui se retrouve soldé et l »héroïne qui utilise le corps de Sam Raimi pour barricader une porte. Et naturellement l’épilogue, inoubliable: dans son dernier souffle, l’antagoniste fait croire à la police que les survivants sont les véritables meurtriers ! Un an après Maniac Cop, Bruce Campbell y apparait en uniforme et l’air pas commode dans un rôle qui pourrait carrément être celui de l’officier Jack Forrest…
Et puis bien sûr, il y a les détails rétroactif. Un film de la famille Raimi qui se déroule dans un petit supermarché ringard ? Comment ne pas penser au Prixbas (“Shop smart, shop S-mart !”) de L’Armée des Ténèbres ? La voiture de Sam Raimi elle-même possède un caméo, visible sur le parking, et si le script était sensiblement différent, on aurait presque pu y voir un Evil Dead alternatif où Ash et compagnie ne se seraient jamais aventurés dans le chalet Knowby… pour mieux se faire décimer par un tueur psychopathe. Eh, qui nous dit que le personnage de Ted Raimi n’est pas le même que dans Evil Dead III ?! Du pur délire de ma part, bien sûr, mais il n’empêche que cela se ressent fortement de temps à autre.
Surtout lorsque le rôle principal est interprété par le génial Dan Hicks, qui était l’hilarant Jake de Evil Dead 2. Clairement le meilleur acteur du film, il se donne à 100% dans un double-rôle mémorable qui élève encore plus haut ce Intruder déjà très bon. A ses côtés, deux belles plantes: Renée Estevez, sœur de Emilio et de Charlie Sheen et Final Girl dans Sleepaway Camp II, et Elizabeth Cox, qui tenait un petit rôle dans le chef d’œuvre Night of the Creeps.
Autant de petits bonus pour un film dont le bilan est ouvertement positif. Court, Intruder va à l’essentiel et enchaine bien vite les séquences de tensions, d’humour et de violence, et on ne s’ennuie pas une seule seconde. Probablement l’un des slashers les plus efficace qui soit, tout simplement.
Seul regret ? Que l’image finale n’ait pas pu être tournée. Alors que le film se termine sur le cri de l’héroïne avec un simple fondu au noir, Spiegel voulait que la caméra s’enfonce dans sa gorge, voyageant à l’intérieur jusqu’à arriver au cœur qui s’arrêterait alors de battre. Un dernière folie qui aurait conclu le film sur une très bonne note en plus d’affirmer le metteur en scène comme un artiste visuel démentiel.
C’est malheureux, mais pas autant que la suite de son parcours. Quelques temps après Intruder, c’est lui qui fera rencontrer à son acolyte Lawrence Bender un inconnu du nom de Quentin Tarantino, permettant ce faisant à Reservoir Dogs de voir le jour. Responsable malgré lui de la carrière du jeune réalisateur, Spiegel continuera de le côtoyer et se fera des amis communs avec Robert Rodriguez et Eli Roth. De là naitront Une Nuit en Enfer 2, pire film de sa franchise, et Hostel: Part III, là aussi le pire de la trilogie. Des DTV pas nécessairement honteux, mais pitoyables au regard de leurs aînés et surtout de Intruder, qui témoignait de tout un talent qu’on ne retrouvera jamais…
“Here comes fucking Parker, walking down nine miles,
swinging the God damn head by the hair in one hand
and his sandwich in the other !”
Un peu long à démarrer mais se rattrape ensuite avec quelques passages bien sanglants notamment.