Hotel Inferno (2013)

 

Hotel Inferno

(2013)

 

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Les italiens de Necrostorm ne font décidément rien comme les autres. Plutôt que de rentrer dans le moule et surfer sur la mode sans risque du neo giallo afin de brosser le bisseux dans le sens du poil, ils préfèrent faire ce qu’ils veulent sans se soucier du qu’en-dira-t-on, mélangeant le gore brutal et sérieux d’un Lucio Fulci ou d’un Joe D’Amato à des éléments résolument plus modernes empruntant aux mangas et aux jeux vidéos. Ainsi, si Adam Chaplin était globalement une adaptation live de Ken le Survivant, Hotel Inferno est celle de Doom. Écrit et réalisé par Giulio De Santi, le patron de la compagnie et réalisateur de Taeter City, le film fait tout ce que le blockbuster de 2005 n’osait pas faire: une intrigue simple et des affrontements bourrins entièrement tournés à la première personne, à la manière d’un FPS, et cela bien avant que Hardcore Henry ne l’imite avec un meilleur budget. Plutôt court avec ses 77 minutes (techniquement 73 sans le générique de fin), il va droit au but et le carnage commence dès le premier quart d’heure, si tôt les enjeux présentés.

 

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Frank Zimosa, ancien soldat et tueur à gage efficace, est engagé par le puissant Jorge Mistrandia, président de la mystérieuse Lumen Company, qui le paye une fortune pour supprimer deux cibles: des employés à lui, personnellement responsables de la mort de plus de 150 personnes qu’ils ont exécuté dans ce qui ressemble à des rites sataniques. Envoyé dans l’hôtel de luxe où ils se cachent et équipé d’une master key lui permettant de se faufiler partout dans le bâtiment, le professionnel se met au travail malgré d’étranges conditions: il doit impérativement filmer ses meurtres grâce à des lunettes high tech servants de caméra, et utiliser antique dague sacrificielle avec laquelle il doit mutiler ses victimes. Cependant il va découvrir que les assassins sont déjà mourants, atteints d’une horrible maladie les réduisant à l’état de bouillie humaine, et qu’ils possèdent les mêmes lunettes que lui ! Ils était en fait d’autres exécutants à la solde de Mistrandia, désormais ineffectifs et donc inutiles.

 

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Choqué par la situation, et apprenant de ces confrères qu’il finira comme eux s’il poursuit ses activités avec la compagnie, Frank décide de fuir sans compléter le rituel, refusant d’écouter les supplications de son patron qui prétend pouvoir tout expliquer. Mal lui en prend car l’hôtel cache dans ses souterrains en véritable démon, invoqué dans notre monde en l’an 400 après J-C et gardé ici comme trophée par la famille Mistrandia qui se livre à des pratiques occultes depuis la nuit des temps. Se nourrissant littéralement de douleur, la bête est gardée repue et endormie grâce aux employés de la Lumen qui massacrent quotidiennement des gens au sein de l’établissement, dans le plus grand secret. En lui refusant un sacrifice, le tueur à gage vient de la réveiller et Mistrandia n’a pas d’autre choix que d’envoyer ses hommes le capturer afin de le torturer et d’éviter le pire. Mais la résilience de Frank ne fait que rendre la créature plus furieuse encore et bientôt celle-ci menace de s’échapper de sa prison pour faire un carnage…

 

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Ce qui s’ensuit est une heure d’action non-stop montrée exclusivement du point de vue du protagoniste et qui ne cache jamais son inspiration envers l’univers des jeux vidéos. Un petit jingle retenti lorsque le héros trouve une cache d’armes, la découverte de passages secrets est applaudie par l’antagoniste moqueur, le héros récupère une carte de l’hôtel sur la cadavre (ce qui n’a absolument aucun sens dans le contexte du film mais évoque les Resident Evil et autres survival horror)… Le briefing de mission fait office de cinématique d’introduction tandis que la confrontation finale avec la créature infernale évoque un boss de fin, et il y a même une section stealth dans les bois où le tueur à gage doit se glisser derrière ses ennemis pour les tuer discrètement. Mais bien sûr ce sont les affrontements qui sont au cœur du film, et là dessus les attentes seront comblées: Frank brise des os à mains nues, éclate des têtes à coups de pieds, utilise pistolet, fusil à pompe et grenades, se bat à la barre de fer, à la tronçonneuse et même à la lunette de toilette !

 

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Il va sans dire que les effets sont dévastateurs pour le staff de l’hôtel: les corps sont démembrés, pulvérisés, déchiquetés et explosent dans d’immenses gerbes de sang au moindre coup, comme s’ils n’avaient plus vraiment de consistance. Cela est en partie dû au style gore du film, qui exagère tout pour le spectacle, mais aussi à l’influence maléfique du démon résidant dans l’hôtel, celui-ci infectant quiconque verse le sang en son nom. Si ces fanatiques paraissent encore humain au début, ils deviennent de plus en plus moche au fil de l’histoire, cachant d’abord leur piteux état derrière des masques et des bandages avant d’exhiber pleinement leurs mutations. Pratiquement des morts-vivants en fait, qui continuent à se battre malgré des blessures mortelles, comme ce type attaché par une chaîne autour du cou n’hésitant pas à s’arracher la tête à force de tirer pour poursuivre le protagoniste. Où ce mutilé qui tente désespérément du tirer avec le fusil qu’il tient avec un bras à moitié arraché. Là-dessus, Hotel Inferno mérite parfaitement son titre.

 

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Frank Zimosa lui-même n’a rien de l’action star impeccable. Il panique, fait des erreurs et se retrouve salement blesser au cours de l’aventure. Il est battu, coupé, drogué, poignardé, tombe sur son propre piège à grenades en cherchant à fuir un poursuivant, et commet l’erreur de contacter sa femme peu avant sa mission, ce qui permettra à Mistrandia d’avoir une emprise sur lui. La relation haineuse entre les deux hommes est d’ailleurs le seul élément narratif véritable du film, mais le scénario propose des idées intéressantes qui prouvent que l’univers a été pensé au-delà des simples scènes violentes. Il y a ce concept génial qui veut que toute la souffrance dans notre monde est en fait la seule chose qui permet aux créatures de rester dans leur dimension. Si jamais la douleur et la peur disparaissaient de nos vies, alors elles seraient forcés venir sur Terre pour générer ses émotions directement. La Lumen Company collectionne ses êtres depuis le Moyen Âge et dispose d’autres hôtels de part le monde qui servent de cages dorées pour ces créatures.

 

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Car pour garder ces entités dans notre plan de la réalité, il convient de les nourrir deux fois plus, et chacun de ces établissements se dédie à cette tâche. Le monstre retenu ici nécessita plusieurs fois la propagation de la peste noire sur le vieux continent pour l’alimenter convenablement, et il en fait désormais sa spécialité: quiconque s’occupe de lui engendre des symptômes similaires à cette maladie, et Frank lui-même est affecté après un seul meurtre. Les pauvres contamiés se décomposent alors lentement et se retrouvent forcés de vivre caché dans les souterrains de l’établissement comme de vulgaires squatteurs. Quant aux lunettes à caméra dont ils disposent, elles permettent d’enregistrer la douleur sur film pour la transmettre à la bête qui s’en gave comme de la junk food. Bref, beaucoup de worldbuilding et encore maintenant huit ans plus tard, il reste difficile de dire si les créateurs s’engagent sur un espèce d’univers cinématographique à la Marvel avec leurs films. Une sorte de carte à connexions existe le site officiel de Necrostorm, mais les détails restent encore flous et incomplets.

 

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Mais qu’Adam Chaplin et Frank Zimosa se retrouvent tous les deux en Enfer importe peu. Le fait est qu’Hotel Inferno redore superbement le blason du splatterpunk, ou hardgore, qui fit les beaux jours des années 80-90 et que l’on ne retrouve plus vraiment que dans le milieu underground ultra obscure de nos jours. Et à ce titre c’est un peu une erreur de comparer les productions de la compagnie avec du Fulci ou du D’Amato, ce que l’on a tendance à faire du fait de leurs origines italiennes. C’est plutôt du côté des allemands Andreas Schnaas et Olaf Ittenbach qu’il faudrait faire la comparaison, au point que l’on y retrouve tant les mêmes qualités que les mêmes défauts. En fait seule l’image digitale moderne vient donner l’impression que le film est mieux foutus que les bons vieux shot on video d’autrefois, puisqu’on ne peut nier l’amateurisme de plusieurs séquences et les nombreuses limitations techniques. Le maquillage use des masques et prothèses très apparentes, les rares CGI utilisés sont grossiers et voyants et les décors n’ont rien d’extraordinaire.

 

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Les jumpcuts raccordant certaines séquences sont parfois trop évidents, les mêmes figurants reviennent en boucle avec des perruques et vêtements différents pour faire cache-misère et la chorégraphie des combats est assez pataude du fait de la caméra FPS et du manque d’expérience des acteurs. Il n’aide pas que l’interprète principal n’a qu’une main libre pour réaliser toutes ses actions, le scénario justifiant cela par une blessure. Un tir de barrage sur une porte ne laisse aucun impact de balles et la tentative de piéger une poignée à l’électricité fera plutôt rire puisqu’elle est en plastique. Enfin les voix des personnages sont trop “plaquées” sur les images, comme dans un commentaire audio, au lieu que de se fondre dans l’ensemble. Pour résumer on pourra simplement dire que le résultat est loin d’être parfait et qu’il faudra être indulgent. Cela dit quiconque est habitué à l’univers de la série B ne devrait pas être trop embêté par ces défauts et il y a finalement très peu de choses méritant de vrais reproches.

 

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On pourra regretter que la femme de Frank, dont il est follement amoureux et qui ignore tout de ses véritables activités, semble être une véritable connasse au téléphone, du genre à râler pour un rien, alors que son compagnon est au petit soin avec elle. Difficile de croire qu’il puisse tenir à elle à ce point et alors la dernière scène, supposément dramatique, ne fonctionne pas. Décevant aussi est le démon qui ressemble juste à une sorcière un peu moche avec des étincelles lui sortant de la gueule. Une créature moins humaine aurait été préférable puisque en l’état, on la différencie à peine des autres mutants. La mise en scène rattrape heureusement tout ça, avec son premier degré volontaire et une atmosphère lourde. Malgré l’action fréquente, la peur est bien au rendez-vous avec quelques jumpscares et l’exploration de pièces plongées dans la pénombre. A ce titre la dernière partie, où Frank erre dans un hôtel désormais désert alors que la bête rôde tout proche dans les couloirs, est franchement réussie.

 

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Il y a bien quelque chose d’apocalyptique dans cette conclusion, avec ce monstre indestructible dévastant tout à l’aide de flammes surnaturelles et revenant à la vie même lorsque le protagoniste lui arrache la cervelle pour l’écraser avec ses mains. Rien de bien spectaculaire vu le maigre budget du film, mais c’est effectif et cela montre les ambitions de Necrostorm qui poussa ensuite l’idée encore plus loin à travers Hotel Inferno II: The Cathedral of Pain et Hotel Inferno III: The Castle of Screams. Une œuvre que la compagnie s’amuse à décrire comme du “colossal splatter”, comme si l’on pouvait vraiment mélanger l’œuvre épique à la Ben Hur avec le Grand Guignol d’un Premutos. En tout cas ce travail sur l’ambiance est l’un des gros atouts du film, et il convient de mentionner le soin apporté à la bande-son. Les voix de Frank et Mistrandia, les seules à vraiment se faire entendre sur toute l’histoire, parviennent à donner corps aux personnages grâce à leurs tons et manièrse de s’exprimer.

 

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L’antagoniste apparaît cultivé et plein d’assurance, médiateur jusqu’à ce que les choses échappent à son contrôle. Le doubleur (Michael Howe, “1st Intern” dans Les Prédateurs) présente un accent anglais qui lui donne des faux airs d’Albert Wesker des Resident Evil, ce qui est absolument parfait pour le rôle. A l’inverse le tueur à gage n’a rien du monstre dépourvu d’émotion façon Agent 47 des Hitman, et son acteur (Rayner Bourton, “Male prostitute” dans Outland) lui confère une apparente vulnérabilité avec sa voix presque trop normale et son vocabulaire limité. Au moins aussi important qu’eux, la musique, qui donne dans le synthwave ultra rythmé parfaitement en phase avec le sujet. En dehors d’un titre de Protector 101 (L.A. Cop Duo), c’est l’artiste Razzaw qui compose avec brio l’intégralité de la bande originale, comme il l’avait déjà fait pour Taeter City. Hotel Inferno ne serait pas du tout le même sans sa contribution, et sans surprise on le retrouve au même poste pour les suites.

 

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Unique en son genre à l’époque, le film est une expérience punk intéressante et dotée d’une véritable personnalité. Ça ne sera pas du goût de tout le monde cependant et beaucoup lui préféreront le mieux foutu mais beaucoup plus fade Hardcore Henry, faux provocateur bien moins mémorable. Peu importe puisque Necrostorm continue de tracer sa route et des Hotel Inferno 4, 5 et 6 sont en projet. Peut-être même déjà en cours de tournage selon les rumeurs, ce qui encore une preuve de la rebel attitude de ses créateurs considérant l’état actuel du monde. Souhaitons-leur de mener à bien cette odyssée sanglante et de continuer à se démarquer de la concurrence !

 

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