Henry Silva (1926-2022)

 

Il s’appelait Henry Silva, et il était pratiquement l’image que ce faisait Ian Fleming de son James Bond. Un type grand, brun, froid, au visage marqué et au regard terrifiant. Un homme qui, s’il n’avait pas été acteur, aurait pu être un tueur professionnel tant il avait le physique de l’emploi. Il décida plutôt de devenir comédien, ce qui était sans doute le meilleur choix, mais cela ne l’empêcha pas de jouer plus d’une fois les assassins, les criminels et les militaires fous, massacrant ses collègues par dizaines, par centaines mêmes, des années 50 jusqu’au tout début des années 2000 et à travers aussi bien la série B américaine que le Bis italien et même le cinéma tout à fait normal. Un parcours assez fou lorsqu’on le résume, plus imposé que choisi en raison de sa dégaine effrayante, laquelle lui valu plus d’une fois de se retrouver dans la peau de personnages aux ethnies aussi diverses que variées: hindou (Night Gallery), japonais (The Return of Mr. Moto), natif américain (Les Trois Sergents), vénézuelien (Vertes Demeures)…

 

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De nos jours on s’insurgerait de telles “appropriations culturelles”, mais à l’époque la pratique était courante et un bon moyen pour les acteurs moins belles gueules que les autres de pouvoir travailler. Dans le cas de Henry Silva, il bénéficia d’ascendances espagnoles et sicilienne, et hélas d’une enfance malheureuse qui forgea sans doute son apparence de gros dur. Élevé dans les quartiers pauvres de Brooklyn puis de Harlem, il fut abandonné par son père lorsqu’il était très jeune puis quitta l’école alors qu’il n’avait que 13 ans, plaquant tout pour apprendre l’art théâtral et vivant de petits salaires qu’il gagna en tant que serveur ou en faisant la plonge dans le restaurant d’un hôtel. Mais cela ne fut pas un frein à sa carrière, bien au contraire, puisqu’en grimpant aux échellons d’Hollywood il croisa nombre de célébrités: Antony Perkins (Vertes Demeures), Burt Reynolds (Sharky’s Machine), Charles Bronson (Love and Bullets), Frank Sinatra (Ocean’s 11, l’original), Gregory Peck (Bravados), Telly Savalas (La Revanche du Sicilien) et même Jean-Paul Belmondo (Le Marginal).

 

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S’il traina ses guêtres à la télévision pour des rôles parfois mémorables dans plusieurs grandes séries télés (Boris Karloff’s Thriller, Les Incorruptibles, Mission: Impossible, The Outer Limits, et le célèbre épisode de la poupée démoniaque de Night Gallery), c’est surtout au cinéma qu’il fit son pain, gagnant son premier grand rôle au début des années 60 dans le film de mafieux Johnny Cool qui lui permis de se faire remarquer – en particulier par l’Italie, qui le courtisa en lui promettant de jouer les héros histoire de changer. Séduit par cette offre et le succès de The Hills Run Red (le western, pas le slasher), il déménagea sur place et passa les dix prochaines années à enchainer les productions, dont pas mal de poliziotteschi sacrément violents et donc parfaits pour lui. Citons quelques Umberto Lenzi où trainait souvent Tomas Milian (Le Cave Sort de sa Planque, Un Flic Hors-la-Loi, La Rançon de la Peur), plusieurs Fernando Di Leo (Le Boss, Passeport pour Deux Tueurs), MKS… 118 avec Antonio Sabato (Sr.), et bien sûr le nihiliste Napoli Spara !

 

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Avec le temps et l’âge, inévitablement, il sombra dans le Bis crapoteux, continuant sur cette lancée en revenant aux États-Unis, pour une longue liste de films dingues, parfois ratés, parfois réussis, et parfois carrément Z, surtout sur la fin. C’est le monster movie Alligator avec Robert Forster, le WIP Chained Heat avec Linda Blair et Sybil Danning, le post-apocalyptique Les Guerriers du Bronx 2 avec Mark “Trash” Gregory, le nanar Megaforce avec un scooter volant… Dans le thriller The Harvest il croise Miguel Ferrer, Tim Thomerson et un George Clooney débutant qui joue un travesti. Il rencontre Ernest Borgnine sur Tir à Vue, s’oppose à Gary Busey (pré-accident) dans Bulletproof, partage la scène avec Fred Williamson et Sonny Landham dans Three Days to Kill et se bastonne par deux fois avec Frank Zagarino dans Cy Warrior et Trained to Kill. Dans cette aventure il tourna plusieurs fois pour cet opportuniste de Fabrizio Del Angelis (Le Dernier Match, Uppercut Man) et offrit ses talents à Fred Olen Ray dans le délirant Possessed by the Night, un thriller érotique avec Shannon Tweed et un fœtus mutant dans un bocal.

 

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On le retrouve également au générique d’un Roger Corman (L’Invasion Secrète, avec Mickey Rooney), de Buck Rogers in the 25th Century, du pseudo slasher / Délivrance mal branlé Trapped – Le Village de la Mort, et parmis la troupe sympathique établit par Brian Trenchard-Smith dans Le Jour des Assassins, avec Chuck Connors, Richard Rountry, Jorge Rivero et Glenn Ford. Et puis bien sûr il combattit à la fois Chuck Norris (Sale Temps pour un Flic, avec un robot à la Rocky IV) et Steven Seagal (Nico, avec Pam Grier) à une époque où le cinéma d’action était encore une valeur sûre. La perle de cette odyssée reste néanmoins Allan Quatermain et la Cité de l’Or Perdu, suite au rabais d’un rip off d’Indiana Jones où il devient le leader déjanté de l’Eldorado, paradant avec une affreuse perruque en riant aux éclats à chaque fois qu’il balance ses citoyens dans une marre d’or fondu en ébullition pour les transformer en statues ! Avec un pitch pareil c’est forcément produit par la Cannon, et en plus il y a James Earl Jones, Sharon Stone et même Elvira dedans.

 

 

Le tour de cette filmographie ne serait toutefois pas complet sans les bizarres, les étranges, ces titres où la présence de Henry Silva semble être une anomalie. Comme l’anthologie Cheeseburger Film Sandwich de Joe Dante à l’humour absurde, le western Lust in the Dust de Paul Bartel avec Divine et Cesar Romero, ou encore Le Silence des Jambons, parodie complètement folle du Silence des Agneaux avec Dom DeLuise, Billy Zane, Mel Brooks et John Carpenter ! Il s’affiche aux côtés de Jackie Chan et Richard Kiel dans Cannonball Run II, fait partie de la galerie de freaks criminels de Dick Tracy, et goûte à la ozploitation en compagnie de David Hemmings avec Soif de Sang. Au Japon Kinji Fukasaku l’engage sur son Virus en plus de George Kennedy, et il participe à une adaptation live action américaine du manga L’École Emportée de Kazuo Umezu où figure aussi Billy Drago. En Chine il devient (enfin !) un agent secret à la James Bond dans Opération Foxbat, et affronte un sumo tandis qu’un de ses yeux est doté d’un appareil photo miniature.

 

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Encore de l’espionnage dans Meurtres en Direct, mais assez satirique, où il complète un casting de malades incluant Sean Connery, Leslie Nielsen, John Saxon, Dean Stockwell et Robert Conrad. Influencé par la nouvelle vague 90s post-Tarantino, Mad Dog Time (ou Mad Dogs chez nous) revisite le film de mafia à la sauce comédie noire avec une belle brochette de talents: Jeff Goldblum, Gabriel Byrne, Richard Dreyfuss, Kyle MacLachlan, Michael J. Pollard, Billy Drago, Billy Idol, Angie Everhart… Plus surprenant encore ? Henry Silva fut la voix de Bane – oui, oui, l’ennemi de Batman, dans l’excellente série animée de Bruce Timm ! Son tout dernier rôle, et pas des moindres, fut celui de l’adversaire de Forest Whitaker dans Ghost Dog: La Voie du Samouraï. Sa dernière apparition fut un petit caméo dans le remake d’Ocean’s 11 avec George Clooney. Difficile de savoir si ces deux là eurent une discussion à propos du bon vieux temps, de The Harvest et de Clooney en drag queen, mais on pourra toujours rêver.

 

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C’est de causes naturelles, au grand âge de 95 ans, que l’acteur nous a quitté ce 14 Septembre, neuf jours avant son anniversaire. A l’annonce de son décès, et contre toute attente pour nous autres habitués du cinéma alternatif boudé par la majorité, les hommages se sont mis à pleuvoir sur Internet, de la part des fans comme de ceux qui travaillèrent avec lui. De Fred Olen Ray à Deanna Martin (fille de Dean), en passant par des tas de bloggeurs et de fanzineux qui suivirent ses méfaits fictifs avec avidités. Une réactivité d’autant plus surprenante que l’information resta dans l’ombre d’autres disparitions bien plus médiatisées, entre celles de Jean-Luc Godard et de la Reine d’Angleterre C’est peut-être le signe que Henry Silva était vraiment quelqu’un de spécial en plus d’être un grand acteur, et on ne s’en plaindra donc pas.

 

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