Friday the 13th
(1980)
C’est en voulant surfer sur le succès de Halloween, sorti deux ans auparavant, que Sean S. Cunningham réalise Vendredi 13, son premier film, et provoque l’émergence du slasher movie. Celui-ci ne comptait jusqu’alors que deux véritables représentants, Black Christmas et Halloween, avec pour ancêtres le Psychose d’Alfred Hitchcock et le giallo (thrillers italiens très noirs) avec notamment La Baie Sanglante de Mario Bava. Le genre ne possède pas encore ses règles ni son identité: Black Christmas se réclame du film policier tandis que Halloween est une réinterprétation de Psychose, donnant avant tout dans le suspense. Vendredi 13, lui, descend surtout du shock movie, une catégorie du film d’exploitation visant à choquer, comme son nom l’indique, avec un climat malsain et des séquences très graphiques.
La raison en est l’expérience de Cunningham sur La Dernière Maison sur la Gauche, un des grands représentants en la matière (réalisé par Wes Craven, futur créateur du personnage de Freddy Krueger) dont il était producteur. Homme de terrain, il a participé directement à la conception du film et met à profit son apprentissage pour sa première réalisation, se lançant dans l’aventure avec son ami Steve Miner, lui aussi au générique de La Dernière Maison sur la Gauche et qui officie ici en tant que producteur associé. Steve Miner qui, par la suite, réalisa les deux premières suites à Vendredi 13, mettant en scène le personnage de Jason Voorhees…
Œuvre purement mercantile, Vendredi 13 part sur un sujet des plus simples: un tueur assassine un par un les membres d’un groupe de jeunes durant la nuit d’un vendredi 13. Mais Cunningham ne possède aucun script pour vendre son film car son histoire n’est pas plus développée que cela ! C’est donc sans aucun scénario qu’il part à la recherche d’un financement et qu’il réussit à vendre son projet. Le plus incroyable étant qu’il ne s’agisse pas d’un studio indépendant mais bel et bien d’une major company, la Paramount Pictures (la maison de production responsable de films comme Le Parrain, Marathon Man et de la série Star Trek), qui s’occupa de la distribution du film. Cela constitue une première pour l’époque et la Paramount ne trouva jamais aucune fierté dans la possession de cette franchise, trop embarrassante pour elle malgré son caractère lucratif, finissant par en revendre les droits à la New Line Cinema (une société qui s’est majoritairement créée grâce au premier film de Freddy Krueger, de Wes Craven !).
Avec toutes les clés en main pour réaliser son petit film, Cunningham se trouve un scénariste en la présence de Victor Miller, lequel visionne Halloween pour s’inspirer une intrigue. Le script est alors baptisé Long Night at Camp Blood et c’est Cunningham qui va se battre pour garder le titre de Vendredi 13 afin de marquer le spectateur, cette date de superstition étant très propice aux films d’horreur. La trame reprend le concept du modèle de Carpenter, ni plus ni moins, suivant son bonhomme de chemin sans la moindre once d’originalité, jusqu’à son épilogue toutefois, lequel existe en l’état un peu par chance finalement.
Le film narre l’arrivée d’une petite troupe de jeunes dans le camp de vacances de Crystal Lake, une bourgade de campagne, dans le but de le réparer et le remettre en service pour l’été. Des années plus tôt, en 1958, deux moniteurs y avaient été assassinés après avoir été surpris entrain de s’envoyer en l’air. Depuis lors une sorte de malédiction semble s’être abattue autour du camp, une catastrophe arrivant à chaque fois que l’on tente de le rouvrir. Cette fois-ci un tueur mystérieux décime tous les membres de l’équipe en charge des réparations…
Finalement assez éloigné de Halloween qui imposait un personnage iconique en guise de tueur, Vendredi 13 part dans l’intrigue policière de type whodunit (de l’anglais “who did it ?”, ce terme représente les histoires criminelles où l’identité du coupable n’est révélée au spectateur qu’en toute dernière partie), s’ancrant alors dans un réalisme très éloigné de ce que deviendra la série à l’avenir. Pas de tueur immortel au masque de hockey puisque le personnage de Jason (Jacky dans la version française !) n’existe pour ainsi dire presque pas. Cela peut surprendre ceux qui ne connaissent la franchise que de réputation, mais Vendredi 13 fonctionne avant tout comme un film indépendant et n’était pas du tout conçu pour engendrer tout une série de métrages qui vont s’orienter tour à tour sur le Fantastique (Jason le Mort-Vivant), l’Horreur (Jason va en Enfer), la Science-Fiction (Jason X) et le blockbuster (Freddy vs. Jason). Sans dévoiler le coupable, celui-ci possède néanmoins un lien très particulier avec Jason, qui explique totalement ses motivations. Il est à noter que l’introduction de Scream dévoile sans aucune honte cette révélation finale, tandis que sa suite va carrément jusqu’à la reprendre pour sa propre intrigue !
Si ce dernier acte tranche avec le reste du film, c’est parce que jusqu’ici Vendredi 13 se bornait à décrire l’arrivée au camp de quelques adolescent et de les suivre tout une journée durant, avant l’arrivée d’une tempête pendant laquelle le tueur passe à l’action. Rien de palpitant en somme, hormis un prologue mettant en scène la mort des deux premières victimes dans les années 50, puis d’un troisième meurtre en cours de métrage. L’ennui guette et il apparaît bien évident qu’en dehors du sujet initial, Vendredi 13 n’a rien à proposer. Puis arrive cette dernière partie et l’apparition d’un tueur jusqu’ici impossible à identifier. Là le film s’écarte du chemin balisé qu’il suivait jusqu’alors et offre enfin un minimum d’intrigue. Celle-ci, qui ne sera pas ici dévoilée pour préserver ceux qui ne la connaisse pas, aura par la suite permis aux scénaristes de développer la série telle qu’on la connaît maintenant. Évidemment à la vision de ce premier opus, cela peut paraître extrêmement tiré par les cheveux, mais la faute en incombe en fait au célèbre maquilleur Tom Savini (passé à la postérité l’année précédente grâce au Zombie de George A. Romero).
Car il faut savoir que, même avec son épilogue, Vendredi 13 reste extrêmement pauvre d’un point de vue narratif et tout le monde s’accorde à dire que le film n’aurait jamais été remarqué s’il était resté tel que le scénario le prévoyait. Mais durant le tournage, Savini visionne le Carrie de Brian De Palma et, comme beaucoup de spectateur, est terrifié par le plan final. Il demande alors à Cunningham de reprendre cette idée pour clore leur film, afin que les spectateurs soient totalement prit au dépourvu. Une idée surréaliste qui tranche totalement mais qui permet de donner vie à l’un des protagonistes les plus célèbres du cinéma d’horreur… Ce procédé fut par la suite nommé le jump scare, qui comme son nom l’indique consiste à faire sursauter l’audience (généralement une apparition surprise dans le champ de vision, avec une musique poussée à fond).
De l’aveu de tous, cela reste la seule bonne idée du film, laquelle fit la renommée de Vendredi 13. Victor Miller, lui, partage moins cet enthousiasme et va grandement déplorer l’idée de faire de Jason le personnage principal de la saga à venir. Partisan du réalisme, il n’a jamais accepté l’orientation vers le Fantastique de la série et persiste à souligner que Jason n’était, à l’origine, qu’un simple prétexte scénaristique et non un élément véritable de l’histoire. Il faut dire que la Paramount devait bien dû trouver quelque chose pour lutter contre la profusion d’ersatz qui voyait le jour à cette époque, ceux-ci étant plus gore (Carnage) ou plus malsain (Massacre au Camp d’Été). Un filon très profitable qui va engendrer pour les années à venir un nombre incalculable de films qui reprennent à la lettre le concept de Vendredi 13.
Car si Halloween mettait en scène le premier tueur masqué du cinéma (ce que Black Christmas et Vendredi 13 ne font pas), le film instaure pratiquement toutes les autres règles qui vont devenir les bases les plus élémentaires à l’avenir: le cadre du camp de vacances, le passé trouble des lieux, généralement théâtre d’un crime passé, la diversité des meurtres (couteau, machette, hache, flèches…) et évidemment l’héroïne qui, dans un dernier sursaut, parvient à terrasser le tueur. Autant d’éléments qui deviendront des clichés éculés et usés jusqu’à la corde des décades plus tard. Pour ainsi dire, dans toute sa simplicité, Vendredi 13 représente l’archétype parfait du slasher.
Il serait cependant trop facile de dire que Vendredi 13 n’est qu’un petit film sans personnalité. La mise en scène de Cunningham, bien que très académique, offre toutefois une ambiance onirique qui traverse tout le film, jusqu’à sa célèbre dernière scène, jouant énormément sur le décors (la beauté sauvage du lac et ses environs, avec cette impression de menace constante) et usant parfois d’effets de montage clinquants (les fondus au blanc après certains meurtres, le titre en 3D qui vient faire exploser l’écran de télé), conférant alors au film une atmosphère parfois très proche du Fantastique. La sublime musique de Harry Manfredini, notamment via ces étranges murmures: “ki ki ki, ma ma ma” (issus d’une phrase révélatrice et modifiée avec échos), accentue cette impression et offre à Vendredi 13 une identité musicale reconnaissable entre milles.
Il faut bien entendu saluer également la présence de Tom Savini, en plein succès, qui réalise les scènes gore du film mais aussi le design du célèbre Jason, bien qu’à peine entrevu, faisant de lui le véritable géniteur du personnage. Le personnage, à l’origine un simple handicapé mental, a vu son physique se transformer afin de rendre sa silhouette plus inquiétante et dérangeante, devenant un impressionnant hydrocéphale. Des effets convaincants et en grande partie responsable de la réussite du film mais restant finalement assez sage au regard de ce que réalisa plus tard Savini dans le genre (notamment Carnage et Vendredi 13: Chapitre Final).
Enfin le casting du film n’est pas à oublier malgré son apparente banalité. Si Halloween introduisait une toute jeune Jamie Lee Curtis et si Les Griffes de la Nuit fit de même avec Johnny Depp, Vendredi 13 marque l’un des tout premiers rôles de Kevin Bacon (Hollow Man, Mystic River, Death Sentence) dans la peau d’un des jeunes adolescents en proie au tueur. Le film fit également beaucoup parler de lui pour la (très bonne) participation de Betsy Palmer (vue dans Ce n’est qu’un Au Revoir de John Ford et dans Du Sang dans le Désert aux côtés de Henry Fonda et Anthony Perkins), dans un rôle court mais très important. Seule véritable actrice professionnelle du film, elle n’avait acceptée de jouer que parce qu’elle devait désespérément se payer une nouvelle voiture, décrivant elle-même le scénario de “piece of shit”. Elle s’est toutefois attirée les foudres de nombre de ses fans dont un critique de cinéma qui n’hésita pas à publier publiquement son adresse personnelle dans son magasine afin que les spectateurs puissent eux-même l’insulter ! (mais heureusement il se trompa d’adresse). Plus anecdotique, le jeu de Walt Gorney dans le rôle de Crazy Ralph, l’inévitable fou du village qui en sait long mais que personne ne prend au sérieux. Son visage très typé et sa démarche clownesque le rendent si convaincant que son personnage réapparaît même dans la première suite de la série, Le Tueur du Vendredi.
Avec plus de 39 millions de dollars de recette pour un budget de seulement 550 000 dollars, Vendredi 13 reste à ce jour l’un des films d’horreur les plus rentables de l’histoire du cinéma. La franchise qui en découla l’est également et s’inscrit comme un phénomène de la pop-culture américaine. S’il demeure un petit film opportuniste et racoleur, Vendredi 13 aura su se faire sa place, devenant un classique du cinéma d’Horreur et il demeure encore aujourd’hui agréable à regarder, contrairement à certaines de ses copies.
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