Creature From the Depths (2007) – 1ère PARTIE

ROAD TO HALLOWEEN IV

 

 

Creature From the Depths

(2007)

 

– 1ère PARTIE –

 

 

Au premier regard, Creature From the Depths semble être un banal comic-book horrifique racontant une quelconque histoire d’homme-poisson sanguinaire. Une one-shot passant relativement inaperçu dans la masse et qui n’a pour lui que ses séquences gore et ses quelques références à H.P. Lovecraft pour amuser la galerie. C’est sans doute pour cette raison que personne ne parle jamais de ce titre, trop inintéressant par rapport à ce qui existe sur le marché. Et pourtant l’œil attentif saura relever plusieurs bizarreries surprenantes qui peuvent intéresser l’amateur de curiosité éditoriale.
En effet, si l’œuvre est publiée par la compagnie Image Comics, pas la dernière pour taper dans l’Horreur (rappelons que son fer de lance, à ses débuts, était Spawn) il faut regarder bien plus loin pour en découvrir les origines. C’est la mention, en tout petit, de Cryptic Magazine qui met la puce à l’oreille, un associé dont le nom n’est pas du tout mis en valeur dans les pages de la BD.
Pas de logo, pas de copyright, pas d’édito ni d’annotations, malgré cette unique inscription qui présente Creature From the Depths comme une coproduction entre les deux. Même les annonces de parution d’époque ignorent totalement ce fait. Étrange ? Pas vraiment après enquête, même s’il aurait été plus honnête, ou plus sympa, de la part d’Image d’expliquer la situation plutôt que de s’approprier l’œuvre à la manière d’un Marvel ou d’un DC. Surtout quand ce genre de pratique est la raison exacte qui a poussé plusieurs auteur à démissionner des deux géants de l’industrie pour fonder leur propre maison d’édition !

 

 

 

L’explication on la trouve effectivement en fouillant dans les pages de Cryptic Magazine, ou en s’intéressant tout simplement à l’éditeur de cette revue: Dead Dog Publishing. Ce label est globalement un équivalent d’une petite association ; des passionnés de cinéma d’Horreur, de Metal et de comics qui se sont regroupés pour essayer de vivre de leur passion en produisant histoires et articles sous la forme d’une publication dont l’idée avouée était de reprendre le concept de Eerie et Creepy, mélangeant BD et articles. En fait de journal, le résultat s’apparente surtout à un fanzine glorifié qui aurait trouvé sa place dans les rayons Presses des libraires sans être professionnel pour autant.
Pour avoir lu les trois premiers numéros, je peux témoigner de l’amateurisme du résultat qui accumule les fautes d’orthographes, des sommaires chaotiques, une maquette généralement très moche et une qualité d’écriture qui donne effectivement dans le “par des fans pour les fans” plutôt adolescent. Le cœur y est mais il n’y a pas quoi concurrencer Fangoria. Après cinq ans de bons et loyaux service, Dead Dog ferme ses portes et son magazine sombre dans l’oublie. Peu d’information à son sujet d’ailleurs, au même titre que Creature From the Depths, et il faut vraiment creuser pour exhumer la bête, preuve qu’elle n’a jamais fait de grands remous. Ce n’est, en vérité, pas très étonnant si l’on retrace le pourquoi de la naissance de Dead Dog.

 

 

 

Comme je l’explique souvent lorsque je parle de comics des années 90, cette période fut l’une des plus sombre de l’industrie. Le Dark Age, comme elle est surnommée en clin d’œil aux plus nobles Golden et Silver Age qui ont façonnés le paysage de la bande-dessinées américaine moderne. Entre 1993 et 1997 a eu lieu un grand Crash qui a manqué de peu de la mener à sa perte. D’un côté les grandes firmes jouaient à fond la carte du “collector” pour engranger le plus d’argent possible, noyant les boutiques sous un déluge de variantes de couverture, de Trading Cards exclusives et autres multi-crossovers à suivre à travers plus de cinq titres pour obliger le lecteur à acheter encore et encore. De là est également né la notion de “valeur” de marchandise, les anciens comics se revendant à prix d’or s’ils étaient en bon état et selon leur âge, encourageant grand nombre d’éditeurs à lancer tout un tas de série en pagaille juste pour vendre un “N°1 Collector” en masse, comptant sur la naïveté des acheteurs qui s’imaginent déjà revendre la revue des centaines de dollars quelques temps plus tard…
Enfin, la naissance d’Image Comics (des artistes venus de Marvel et DC qui, mécontent de leur surcharge de travail au regard du paiement et de l’absence de droits sur leurs propres créations, ont quitté le navire pour fonder leur compagnie, avec leurs propres règles) et l’état du réseau de distribution d’époque qui permettait aux boutiques de gérer leurs stocks a leur convenance (y compris des comics n’étant pas approuvé par le célèbre Comics Code Authority) ont ouvert la voie à de nombreux indépendants en quête de gloire.

 

 

Ainsi les boutiques et les librairies furent envahie de centaines et de centaines de BD issues de boites différentes, toutes rêvant de devenir le nouveau DC, Image ou Marvel. Le problème étant naturellement qu’un marché ouvert à tous fait entrer la médiocrité: des “illustrateurs” sans techniques ni talents, des “scénaristes” n’ayant jamais écrit quoique ce soit et des séries copiant le dernier succès du moment en pensant faire illusion. Et si certains artistes avaient du mérite, si certains titres sont devenus culte même dans le milieu Underground ou ont été rachetés par les “grands”, le marché fut saturé de livres de mauvaises qualités et fini par s’écrouler.
Fondé en 1999 et prenant racine dans le même milieu, Dead Dog fait tout simplement parti des derniers représentant de cette époque. Pas étonnant du coup que leur Cryptic Magazine ne ressemble à rien et que leur compagnie se soit fermée rapidement. Les responsables n’étaient qu’une bande de gars sympa mais sans réel avenir, qui ont profité du système pour se faire entendre avant de s’effondrer lorsque l’industrie se restructura pour renaitre de ses cendres. D’ailleurs dans le même genre et au même moment, un tout jeune IDW lança son Doomed de bien meilleur qualité.
La perte de Dead Dog marqua également l’arrêt de Dead Dog Comics, son propre label où parurent surtout des titres obscures qu’il ne sert à rien d’évoquer. Mentionnant quand même Night of the Living Dead: Barbara’s Zombie Chronicles, mini-série très chouette faisant survivre l’héroïne du film de Romero pour la transformer en une sorte de Ripley anti-zombies.

 

 

Hélas jamais la suite, qui devait la confronté à Charles Manson, ayant profité de la situation pour faire grandir son culte à l’échelle nationale, ne verra jamais le jour. De la même manière demeurent inachevés Books of the Dead – Devilhead de Tom Sullivan (l’illustrateur du Necronomicon de Evil Dead 1 et 2) ainsi que Day of the Dead: The Rising of Bub, suite directe du Jour des Morts-Vivants racontant ce qu’il advenait du zombie intelligent et de son armée de cadavres ambulants après les évènements du film. Dommage.
Par miracle certains projets survécurent et trouvèrent refuge chez Image Comics, dont au moins deux conçu par le même auteur, Mark Kidwell. Difficile de dire comment le deal a eu lieu. Peut-être que la compagnie, en discussion avec l’artiste pour l’engager, a reconnu le potentiel dans ces livres condamnés. Ou peut-être que Image, elle-même d’origine indépendante, comprit ce que vivait Dead Dog et fut prise de compassion. Que ce soit par business ou par camaraderie, Image fini par sauver Creature From the Depths ainsi que ʽ68, qui deviendra d’ailleurs une série régulière par la suite. Également sorti des limbes, un Frankenstein qui semblait être le premier venu d’une série nommée Monster Mayhem. Après une première parution, ces one-shots furent finalement réuni dans un volume unique intitulé Horror Book, avec une quatrième histoire nommée Full Moon et dont j’ignore malheureusement si elle avait le moindre rapport avec Dead Dog à l’origine.

 

 

Quant à Mark Kidwell, au-delà d’une collaboration fructueuse avec Image, il eu également l’occasion de collaborer avec Fangoria avec qui il créa son propre croquemitaine / slasher: Bump. Il réalisa la mini-série dans l’idée de l’adapter au cinéma: un projet qui échoua évidemment, mais son monstre sera ressuscité après-coup dans les pages de Hack/Slash pour un crossover qu’il mettra lui-même en image. Entre une apparition dans la meilleure BD Horreur de notre époque et un film DTV à bas budget, on peut clairement dire que Kidwell n’a pas perdu au change !
L’histoire de Creature From the Depths ne s’arrête cependant pas là, même s’il devient difficile de vérifier la véracité des informations à partir de là (du moins sans mettre la main au porte-monnaie, ce que je ne suis pas en capacité de faire pour l’instant). Car en fouillant un peu sur les sites de ventes types Amazon, il est possible de trouver un The Creature From the Depths, toujours signé Mark Kidwell. Un livre qui utilise la couverture originale, lorsque le one-shot devait être publié par Dead Dog Comics, mais qui est publié sous le label Graphic Planet chez Abdo Publishing Company. Une marque de publications spécialisées dans… les œuvres familiales à caractère éducatif ! J’ai d’abord cru a une blague, mais non ! Ce comic mélangeant des moments gore et sexy est véritablement vendu comme petite bande-dessinée au rayon Jeunesse.
Et pourtant le site de l’éditeur précise la chose suivante: “Young horror fans will enjoy these graphic (not gory) renditions”. J’insiste sur le “not gory” qui signifie de deux choses l’une, ou bien Abdo n’a aucune idée de ce qu’elle vend, ou bien il s’agit d’une version spécifiquement censurée pour l’occasion. Ce qui, après lecture de l’œuvre originale, paraît impossible.

 

   

 

Le plus dingue c’est qu’il semble exister plusieurs variations autour de cette édition (on peut trouver une version accompagnée d’un CD Audiobook si l’on en croit Amazon !) qui fait partie de toute une collection aux titres évocateurs: Frankenstein, Werewolf, Mummy, Dr. Jekyll and Mr. Hyde et Legend of Sleepy Hollow. Le site nomme cette collection Graphic Horror, mais il est possible de la retrouver partout sur Internet sous celui de Monster Mayhem. Exactement comme la série que voulait créer Dead Dog avec leur Frankenstein ! Oh ! Ai-je mentionner le fait que Creature From the Depths fait justement partie de cette série sous le titre de Creature tout court ? Soyez sûr que, à ce stade, ma confusion est totale.
Qui plus est, et parce que l’intrigue s’inspire fortement de H.P. Lovecraft, celui-ci est de temps en temps crédité comme co-auteur ! Bien sûr, cela quand les sites ne massacre pas son nom en Lovelace ou en Loveland… ou quand on ne l’assimile pas au réalisateur de Creature From the Black Lagoon. Il y en a qui aurait grand besoin de lire Cryptic Magazine pour revoir leur culture… Et parce que tout cela devient très compliqué à suivre, j’arrête ici cet article. Et oui, pas de chronique ! Elle sera dans la deuxième partie, parce que sinon ça serait trop long et cela ferait peur aux potentiels lecteurs. Cela permettra également à tout ceux qui se moquent totalement des longues intros ou de l’historique de l’œuvre de passer directement au contenu de ce one-shot pour savoir si, oui ou non, elle vaut le coup cette foutue BD. Spoiler: oui, elle est plutôt sympa.

Merci d’avoir lu le compte-rendu de mon improbable enquête sur un comic-book que vous n’irez probablement jamais feuilleter de votre vie.

 

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