Steamcraft #1 (2012)

Cet article a été écrit pour le forum Steampunk.fr

 

 

Steamcraft #1

(2012)

 

Je vous en avais déjà parlé et j’avais promis de vous tenir au courant. Voilà donc que sort enfin Steamcraft, la rencontre pratiquement obligatoire entre l’univers de Howard P. Lovecraft et du mouvement Steampunk. Publié par Antartic Press Entertainment, ce premier numéro succède à une série de sketches parue précédemment dans l’ouvrage Steampunk: Sketchbook et marque enfin le commencement d’une véritable série du genre pour l’éditeur, après quelques revues pin-up et recueils d’histoires courtes.

 

 

On doit le projet à l’artiste David Hutchison, un scénariste et dessinateur de BD qui a œuvré sur a peu près toutes les productions d’AP Entertainment. On lui doit notamment Final Girl, une mini-série où les lecteurs pouvaient voter pour les personnages qu’ils souhaitaient voir vivre ou mourir en cours d’histoire, et il a travaillé sur la série phare de la compagnie, Gold Digger, qui demeure l’une des plus longues séries comics jamais créée. Ici il opère seul aux postes de scénariste et d’illustrateur. Puisque son nouveau bébé commence tout juste, je lui souhaite bon courage.

 

 

Les quelques notes d’intention dévoilées la dernière fois n’en disait pas beaucoup concernant le sujet de Steamcraft. Après tout, un tel concept est tellement vague qu’il peut partir dans plusieurs directions différentes. Ce premier numéro, à défaut de donner toutes les clefs, sert à poser les bases de l’univers. Un prélude des choses à venir, prenant son temps pour livrer les révélations tant attendues et laissant encore beaucoup de choses en suspens… Ce n’est peut-être pas une mauvaise chose puisqu’il y a là de quoi titiller le lecteur et lui donner envie de revenir.
Oh bien sûr, ce n’est peut-être que moi, mais je me suis complètement laissé prendre par le retournement de situation en seconde partie de récit et je serais bien incapable de prédire la suite des évènements. Steamcraft #2 pourrait tout aussi bien reprendre là où celui-ci s’est arrêté, ou faire un bond en avant dans le temps pour s’intéresser à d’autres personnages. Dans l’état tout est possible et c’est, je trouve, ce qui fonctionne le mieux pour ce premier opus.

 

 

Mais je vais y revenir. De quoi parle cette BD finalement ? Et bien elle fonctionne comme une quasi reprise de la célèbre nouvelle de Lovecraft L’Appel de Cthulhu, à la différence que le monde où l’histoire se déroule est totalement différent. Nous sommes dans un XIXème Siècle transfiguré par ce qui est appelé la Révolution Steampunk, un événement marquant une avancée subite de la technologie. Celle-ci n’est pas encore expliqué, mais gageons que le scénario reviendra sur le pourquoi et le comment dans quelques temps. Bateaux, voitures, avions, sous-marins, c’est tout un tas de véhicules et autres inventions qui ont fini par émerger et changer le cours de l’Histoire.

 

 

Le récit s’ouvre lorsque le narrateur, anonyme, conduit une interview avec une richissime personnalité, Sir Leonard Breachfort. Une ténor de l’industrie dont la vie privée demeure un mystère. Celui-ci va alors lui raconter la très étrange histoire qu’il lui ait arrivé il y a vingt ans, et qui lui a permis de faire fortune. Comment lui et son équipage ont découvert un navire inconnu, abandonné en pleine mer et possédant à son bord de nombreux artefacts d’origine inconnue. Dans sa cale, un monolithe géant gravé à l’image du terrifiant Cthulhu, et dans une cage des femmes, inhumaines, monstrueuses. Des femmes-poissons. Plus tard le bateau coule et un monstrueux kraken émerge des profondeurs…

 

 

Autant d’éléments empruntés au récit de Lovecraft que cela soulève quelques questions. Pourquoi donc gâcher ce qui pouvait être utilisé sur un long récit en seulement la moitié de ce numéro ? Hutchison compte t-il s’en tenir là et inventer le reste de l’intrigue, ou bien utilisera t-il chaque nouvelle de Lovecraft (en tout cas touchant au Mythe de Cthuhlhu) aux prochaines publications ? Et dans ce cas n’y a t-il pas un risque que le lecteur fan de l’écrivain puisse avoir une petite longueur d’avance sur la trame scénaristique ?

 

 

Nous verrons bien et je fais amplement confiance à Hutchison pour nous surprendre, surtout si – oui enfin j’y viens – il utilise les attentes du lecteur pour mieux les retourner ! A la lecture de ce numéro 1, lorsque se conclut l’interview entre Sir Breachfort et le narrateur, il est impossible de prévoir la suite du récit. Je m’en voudrais de vous gâcher la surprise, mais il ne s’agit que du tout premier épisode après tout. De plus, beaucoup sont ceux qui ne liront jamais Steamcraft et qui pourraient se retrouver frustrer de ne pas savoir ce qui en découle. Ceux qui veulent se préserver la surprise feraient mieux de sauter quelques paragraphes…

 

 

Le coup de théâtre, c’est la choix du scénariste de faire du narrateur un personnage très différent de celui qu’on attendait. Alors qu’il met le doigt dans l’engrenage (son entrevue avec Sir Breachford lui révèle clairement l’existence d’un monde surnaturel) et qu’il visite un vieil ami enfermé à l’asile après avoir perdu la raison, alors que tout semble indiquer qu’il va devenir le héros de notre histoire, voilà qu’il se révèle être nul autre que l’antagoniste ! Membre de l’Ordre de Cthulhu, il avait en fait été envoyé recueillir des informations afin de savoir si Sir Breachfort pouvait présenter une menace. Quelque chose que l’Ordre ne peut se permettre maintenant que les étoiles vont bientôt s’aligner.

 

 

Un beau rebondissement que je n’avais pas vu venir et qui permet à la BD de sortir un peu du carcan dans lequel il s’était enfermé plus tôt, via les similitudes avec L’Appel de Cthulhu. Ce qui me rend très curieux de savoir comment le récit va se poursuivre. Va t-on y suivre finalement les “méchants” et leur plan pour s’assurer que la résurrection de Cthulhu ait lieu ? Est-ce que le témoin gênant auquel le narrateur envoi un Profond va survivre à la confrontation et publier ses articles pour révéler la vérité au monde ? Ou est-ce que Steamcraft #2 va raconter une histoire totalement différente, avec de nouveaux personnages ? L’occasion peut-être d’y voir enfin celle qui nous était présenté comme l’héroïne de la série, une certaine Victoria Steamcraft, ingénieuse et “aethernaute”….
Autant de question auxquelles il me tarde de trouver réponse dans le prochain numéro. Évidemment en y repensant bien, il n’y a pas là de quoi crier au génie. Il n’y a même rien de particulièrement original tant le Mythe de Cthulhu a été vu et revu par différents auteurs au fil du temps. Mais pour une première intrusion dans cet univers, ça fonctionne plutôt bien. Rapide à lire et gardant une part de mystère qui attise la curiosité, Steamcraft #1 rempli parfaitement sa fonction: intéresser le lecteur.

 

 

Seul le graphisme semble trahir l’aspect “indépendant” du projet. Je pourrais même le qualifier de cheap si je voulais être méchant, trop semblable à celui de quelques fanzines auto-publiés avec ces traits parfois détaillés mais pas tellement travaillés, ces arrières-plans très épurés voir inexistant et un encrage incertain. A vrai dire j’ai tout d’abord était frappé par l’absence de finitions sur les dessins par rapport à ceux du Sketchbook. Pas de retouches, pas d’améliorations. Ce sont exactement les mêmes ! Il y a de quoi être un peu déçu car Steamcraft aurait pu être très beau avec un graphisme un peu plus soigné, mais n’oublions pas que AP Entertainment n’a pas le budget de la Marvel ou de DC ! En fait toutes ses publications sont dans le même cas.

 

 

Au final c’est un bilan plutôt positif pour cette nouvelle série. Hormis quelques choix qui peuvent déstabiliser (le graphisme et la première partie reprenant de trop près la nouvelle de Lovecraft) et beaucoup d’éléments qui ne sont pas encore présenté (la Révolution Steampunk), Steamcraft montre son intérêt grâce à un univers visuellement riche et a une bonne écriture qui sait comment accrocher le lecteur. C’est un petit coup de cœur pour ma part, et il ne reste plus qu’a espérer que la suite soit du même niveau.

 

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