Carnage: Mind Bomb (1996)

 

Carnage: Mind Bomb

(1996)

 

 

Les années 90 furent une période sombre pour l’industrie des comics, une époque où la notion d’héroïsme et d’aventure céda la place à l’ultra-violence, la sexualisation à outrance et à la provocation gratuite. Tout était “extrême” et la frontière entre héros et vilains devenait assez mince, l’émergence de nouvelles figures anti-héroïques devenant à la mode. Le personnage de Carnage pourrait être vu comme l’incarnation de ces temps immatures puisque victime des symptômes les plus flagrants…

 

 

Clone de Venom (lui-même version négative de Spider-Man) en plus dangereux, doté de pouvoirs jamais clairement définis (on l’a vu devenir géant, se déplacer par ordinateur interposé, générer tout un arsenal selon ses besoins en plus d’être pratiquement invulnérable et impossible à repérer), c’est un meurtrier psychopathe irrécupérable sans aucune psychologie (il aime tuer, point), sans aucun historique (il tue depuis l’enfance, point) et sans aucun objectif particulier.

 

 

Unidimensionnel et inintéressant, Carnage va finalement disparaître a la fin des année 90 malgré quelques apparitions ici et là, sa popularité n’atteignant jamais celle des adversaires classiques de Spider-Man. Toutefois lorsque l’auteur Warren Ellis s’intéresse à lui, cela donne Mind Bomb, un one-shot qui est probablement ce qui a été écrit de meilleur sur le personnage ! Transcendant le matériel d’origine (ce qui n’est pas bien difficile) pour en offrir une version sensiblement différente, plus subtile, Ellis parvient à lui donner suffisamment de consistance pour éveiller la curiosité du lecteur.

 

 

L’histoire se déroule après les évènements de Maximum Carnage, alors que Cletus Kasady est enfermé à l’asile de Ravencroft sous la garde du Dr. Kafka. Ne parvenant à aucun résultat avec la thérapie, cette dernière convoque alors un autre “monstre” pour s’occuper du cas Carnage: le Dr. Matthew Kurtz du Pentagone, un personnage antipathique et probablement dément qui semble même avoué avoir déjà pratiqué une lobotomie sans anesthésie ! Fasciné par son sujet, Kurtz exige de se rendre seul dans la cellule de Kasady pour avoir un entretien avec lui.

 

 

L’histoire aurait pu se poursuivre de façon classique: Carnage tue ou prend Kurtz en otage et tente de s’évader de Ravencroft en faisant de nombreuse victime. Mais le scénario d’Ellis est plus malin et cherche avant tout à explorer un peu plus la psyché détraqué du personnage-titre. Notre psychiatre va donc utiliser un pistolet sonique (ou sonopistol) pour neutraliser le symbiote et injecter divers produits chimiques afin de rompre le lien cérébral entre celui-ci et son hôte. Parvenant ainsi à faire tomber toutes les défenses de Kasady, Kurtz s’emploie à le questionner pour mieux le cerner… Et découvre alors qu’il n’y a rien à analyser chez lui.

 

 

Le récit ne cherche nullement à étudier le profile de son tueur sanguinaire. Loin d’un Silence des Agneaux qui laisse entrevoir une personnalité complexe derrière le meurtrier, Mind Bomb dresse un constat pour le moins troublant: il n’y a aucune réponse psychologique derrière les actes de Carnage. Comme nous le savions déjà, il aime tuer. Point. En fait cela est une véritable obsession pour lui puisqu’il avoue ne penser qu’à ça du matin au soir. Sa folie voit dans le meurtre une beauté purement artistique qu’il se plaît à reproduire.

 

 

Kurtz, probablement tout aussi taré que son patient, n’est guère surpris de cette découverte et va vouloir pousser son exploration encore plus loin. Si le meurtre et la folie sont des critères esthétiques, quel est le regard de Carnage sur le monde ? Ce dernier va se faire un plaisir de lui répondre, et tel Freddy Krueger dans l’épisode pilote de sa série (Les Cauchemars de Freddy), il va nous révéler sa perception distordue de la réalité. Un voyage dont Kurtz ne sortira pas indemne…

 

 

Au final Mind Bomb se présente comme une œuvre un peu étrange, d’un côté inutile puisque soulignant l’impossibilité d’exploration du personnage de Carnage (tout au plus suppose t-on que sa psychologie est comparable a celle d’un animal, ou bien qu’il est peut-être né mauvais), trop simpliste, mais de l’autre très intéressante puisque le montrant sous un jour nouveau et complètement rongé par une folie contagieuse, à la manière des antagonistes de Batman (rappelons que Cletus Kasady a été conçu d’après le Joker lui-même). En évitant la facilité et en empêchant Carnage de sauter à la gorge du premier venu, Warren Ellis l’a rendu infiniment plus vicieux et dangereux que sa version classique.

 

 

Mais si l’histoire fonctionne, c’est avant tout en raison de son ambiance particulièrement poisseuse mise en scène par l’auteur. L’institut Ravencroft n’a rien à envier à l’asile d’Arkham et une sensation de malaise se présente dès que l’on pénètre entre ses murs. Cletus et les autres pensionnaires semblent avoir corrompu les lieux jusqu’à un niveau physique: l’endroit est sombre et silencieux comme dans une tombe, les gardes se montrent particulièrement violent, frustrés d’avoir à obéir à un règlement protégeant leurs prisonniers, et Kurtz évoque pour la première fois l’odeur de Carnage qui empeste la viande pourrie. Rien ne semble pouvoir réellement protéger les internes des dangers qu’ils contiennent.

 

 

Cette atmosphère est parfaitement retranscrite l’artiste, Kyle Hotz, dont le graphisme aux formes organiques évoque le peintre H.R. Giger. Les tuyaux ressemblent à des tentacules, l’architecture a des formes gothiques et la colorisation semble malsaine. Le bâtiment évoque une énorme ruche Alien et la réalité fini par prendre un aspect absurde, évoquant la forme tentaculaires et cauchemardesque de Carnage lui-même… Autant dire que les visites dans la tête de ce dernier ne détonnent même pas avec le reste !

 

 

Cet univers malade et dépressif va trouver un prolongement quelques mois après cette publication. Car si nous retrouvons Cletus Kasady dans les pages de Spider-Man dans la story arc Web of Carnage, quelques mois plus tard, il réapparaît à nouveau au cœur de Ravencroft dans le one-shot Carnage: It’s a Wonderful Life. Toujours dessiné par Hotz, le récit est cette fois signé David Quinn, auteur de la très trash série Faust: Love of the Damned.

 

 

• La version française est disponible dans Le Magazine Marvel #7 (août 1997), sous le titre de Carnage: Bombe Mentale.

 

   

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