Canyon Rouge (1987) | Gore N°40

Canyonrougegore40

 

Gore #40

Canyon Rouge

(1987)

 

Pour son premier Gore, Michel Honaker (la série du Commandeur, maintes fois réécrites, renumérotées et censurée selon ses éditeurs) s’inspire du splatterpunk anglophone et reprend à son compte la formule de Graham Masterton avec ses détournements de mythdes indiens à la sauce horreur. Ici ce sont les Kachinas qui sont exploités, personnifications de concepts (objets, lieux, éléments) qui représentent l’idée que la Vie se trouve dans chaque chose et qu’il est nécessaire de respecter tout ce qui existe. L’écrivain simplifie les choses et en fait des esprits des eaux, le folklore Zuni voulant que les Kachnias résident dans le Lac des Mort situé sous Spring Lake, à la jonction de Zuni River et Little Colorado. Ces endroits ne sont jamais référencés mais l’intrigue met clairement en scène ce lieu mystique, ici placé dans le passage fermé d’un canyon en pleine réserve indienne. Si les anciens leur rendent encore hommage à l’occasion d’un festival annuel, les traditions se perdent et les jeunes se moquent de ces croyances obsolètes, plus préoccupés par le problème de racisme auquel ils sont confrontés en ville. Mais lorsqu’un flic malintentioné empiète sur leur territoire et saccage leurs offrandes, les forces surnaturelles se réveillent plus tôt que prévu et sèment une zizanie sanglante dans les environs pour montrer leur mécontentement. Immatériels et infiniment nombreux, ils ne craignent absolument rien et même un puissant shaman devrait user de toutes ses ressources pour les dompter. Mais plus personne ne connait les anciennes cérémonies et le peuple Zuni doit aussi affronter l’opinion public qui a vite fait de les considérer responsable…

C’est finalement sur ces problématiques que se concentre l’écrivain, les scènes sanglantes passant en arrière-plan, et bien lui en prend car on se soucis alors plus de ce qui se passe et des conséquences de ces meurtres brutaux qui pourraient bien anéantir la réserve toute entière. La situation est généralement vécue du point de vue de Stone Face, un vieil indien fatigué s’étant battu pendant des années pour les siens qui observe impassiblement la haine et l’incompréhension entourant sa culture. Das ce contexte l’assaut des esprits semble irrépressible puisque le vieil homme a fini par abandonner ses racines mystiques pour comprendre la bureaucratie moderne, et leur puissance apparait sans limites: ils décapitent le policier responsable de leur colère et lui fourrent son pénis dans la bouche, animent la tête coupée d’une grand-mère qui pourchasse le héros pour le mordre, infestent un cadavre pour le ramener à la vie puis s’en échappent en déchirant ses chairs, et massacrent tout un groupe de personnes âgés. Les monstres eux-mêmes sont différents des gros lézards de la couverture, décrit comme étant à la fois des enfants et des démons, et ressemblant à des embryons gluants et sanguinolant à têtes d’adultes. Le gros moment du livre demeure ce viol furtif en pleine excursion touritique, à quelques mètres des visiteurs.

L’agresseur est tué en plein acte par les Kachinas qui le coupent pratiquement en deux, mais son sexe en érection demeure planté dans sa victime et son corps continue de bouger par la grâce des mauvais dieux, déchargeant son sperme froid en elle tout en perdant ses viscères. Néanmoins Canyon Rouge n’est pas si extrême que ça, la narration éludant la plupart des attaques pour s’intéresser au résultat. Et à vrai dire il y a des séquences plus intéressantes à suivre comme l’exploration du Lac des Morts, qui possède en son centre un syphon entouré de stalagmites formant une sorte de mâchoire, une visite dans le monde des Rêves où Stone Face affronte son doppelgänger décrêpit, et la conclusion sacrément sombre pour la réserve et le vieux medecine man. A cela s’ajoute des références appuyées à la culture indienne (la Ghost Dance de 1890), des dialogues sympathiques (“Les Blancs ne croient même pas en leur Dieu. Pourquoi croiraient-ils davantage en les nôtres ?”), et une ambiance graveleuse (“C’était tout de même mieux qu’une poupée gonflable” considère un type à propos de sa maitresse) contrebalancée par la tendresse de Stone Face dont l’amour pour sa compagne n’a jamais été érodé par les années et les épreuves. Canyon Rouge n’est peut-être pas un gros Gore, mais c’est un bon Gore et un sacré bouquin.

Leave a reply

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>