By The Sword
Chronique de l’Heroic Fantasy au Cinéma
(2019)
Auteur du site de critiques cinéma La Séance à Roggy et chroniqueur chez Black Lagoon Fanzine, Thierry Auge livre ici son premier bouquin qui prend la forme d’un fanbook, c’est-à-dire une sorte de fanzine à taille de bottin dédié à un sujet particulier. Avec By The Sword, l’auteur s’intéresse principalement aux multiples apparence que prend le genre de l’Heroic Fantasy au cinéma, dont il dresse un panorama impressionnant puisque s’étendant des débuts du cinéma à notre époque à travers le monde entier. Le projet lui tient à cœur depuis longtemps, né du double-choc cinéphile du Conan le Barbare de John Milius et d’Excalibur de John Boorman, et la rédaction des centaines de textes constituant ce livre s’est étendu sur deux bonnes années. Au final ce sont 182 pages tout en couleur qui nous attendent, pour plus d’une centaine de films passés en revu ou chroniqués. Le terme de “guide” est donc tout indiqué même s’il convient du coup de modérer sa lecture sous peine de se retrouver enseveli sous un trop-plein de contenu.
Soucieux de retracer précisément la naissance de la Fantasy en mode héroïque, l’écrivain retourne loin en arrière pour retrouver les premières apparitions du Merveilleux dans le cinéma de Méliès, puis l’utilisation des récits légendaires et mythologiques à des fins de divertissements ou de propagandes. Car qu’il s’agisse de périodes de guerres froides ou mondiales, des pays comme l’Allemagne et la Russie se sont intéressés à la figure du surhomme triomphant pour en faire un modèle nationale à suivre en ces temps de révolution. A contrario, les américains et leurs copieurs utilisent ce même archétype comme un redresseur de tort s’opposant au gouvernement tyrannique qui opprime les pauvres. Et ainsi les mêmes histoires banales de guerriers musclés peuvent présenter des valeurs bien différentes, de l’Aryen conquérant venant au secours de la Mère patrie à l’individualiste venu pulvériser des civilisations arrogantes. Pas un hasard du coup si Thierry évoque souvent le contexte socio-historique des œuvres qu’il présente.
Cette manipulation des mythes ouvre le bal avec notamment un retour sur le Siegfried du Nibelungen de Fritz Lang et ses nombreuses adaptations. Les œuvres fantastiques de Ray Harryhausen ainsi que le Péplum, un genre hybride entre la fresque historique et le mythique, servent également de proto-Heroic Fantasy avec des thèmes et des scènes qui s’inscrivent parfaitement dans cette catégorie qui n’était pas encore parfaitement définie alors. S’y retrouvent L’Épée Enchantée de Bert I. Gordon, Le Cercle de Fer, projet philosophique de Bruce Lee réalisée maladroitement après sa mort, ainsi que de plus modernes avatars ayant profité du succès de Conan (les Hercules et Sinbad avec Lou Ferrigno). On peut aussi y voir à quel point une légende peut être malléable, en témoigne l’épique Beowulf adapté de manière très différente avec Les 13 Guerriers de John McTiernan, le techno-féodale Beowulf avec Christopher Lambert, et le CGIsé La Légende de Beowulf chroniqué plus loin dans une autre rubrique.
Parfait représentant du sujet plus que tout autre, Conan le Barbare vient ensuite dans un court dossier qui nous rappel a quel point c’est un bon film. Le cheminement du héros Cimmérien est monté en parallèle avec celui de son interprète, Arnold Schwarzenegger, culturiste aux allures d’Hercule qui est parti de rien avant de devenir une riche célébrité ayant dompté Hollywood. By The Sword souligne également l’importance de la musique de Basil Poulderis, qui livre sans doute l’une des plus belles bandes originales jamais composées, et passe rapidement sur les décevants successeurs: la suite, le remake, la série télé, le dessin animé… Mais tout ceci n’est qu’un préambule aux invasions barbares qui suivent, et c’est à travers le cinéma d’exploitation et le Bis que l’écrivain va poursuivre son exploration. Ce sont les Ator, les Beastmaster et les Deathstalker, pour ne citer que les plus connus. L’Epée Sauvage de Albert Pyun, le « starwarsien » L’Archer et la Sorcière et Kaine le Mercenaire où David Carradine refait Yojimbo avec une prêtresse aux seins nus et un petit Gremlin…
Il y en a tellement que l’auteur doit diviser tout cela dans diverses classification et faire appel à quelques copains pour cataloguer tout cela. Les filles sont à l’honneur dans un article traitant de la diablesse rouge Red Sonja, avec Kalidor, et de ses nombreuses sœurs d’armes (Amazons, Hundra, Sorceress, le post-apocalyptique She), les Italiens ont leur Heroic Spaghetti supervisé par les fondateurs de Black Lagoon, j’ai nommé Jérôme Ballay (Les Barbarians et Ironmaster avec sa guerre du fer) et Augustin Meunier (le brumeux Conquest de Lucio Fulci et la rétrospective Ator, une trilogie de… quatre films). La section L’Heroic Fantasy du Pauvre est une belle manière de citer les rejetons les plus craignos (Wizards of the Lost Kingdom et Wizards of the Demon Sword, sans relation), les plus amateurs (la saga Mythica et tout un tas de fanfilms) avec quelques DTV modernes pour faire bonne mesure (Vikingdom avec la bonnasse Natassia Malthe, Knight of the Dead avec ses zombies et son titre à moitié réussi seulement).
La fantaisie merveilleuse expose les classiques de notre enfance avec L’Histoire Sans Fin, Labyrinth, Ladyhawke (Thierry trouve que Matthew Broderick y est un vrai petit con – Dieu merci je croyais être le seul à penser ça !), Legend, Princess Bride ou encore Willow. Le majestueux Dark Crystal y aurait eu tout à fait sa place, mais on le trouvera finalement dans la partie animation, ce qui semble finalement plutôt logique. Il y est accompagné de La Dernière Licorne, des sexy Tygra, la Glace et le Feu et Métal Hurlant (pour le segment avec la belle Taarna) et de ces curiosités que sont Le Seigneur des Anneaux version 1978 et du Retour du Roi de 1980. Et bien sûr il est impossible de faire l’impasse sur le Japon avec un rapide coup d’œil aux Chroniques de la Guerre de Lodoss, Berserk et Princesse Mononoké. Quel dommage que l’auteur n’y évoque pas Le Tourbillon Noir ! Pas un mot non plus sur Musclor et ses clones (Skeleton Warriors). Des séries mixant pourtant la SF avec une Fantasy imaginative.
Un mélange loin d’être rare puisque nombreux sont les producteurs qui se décidèrent à marier les genres et les barbares voyagent souvent dans le futur, que celui-ci soit contemporain ou high-tech: Les Maitres de l’Univers, les ignobles suites du déjà pas fameux King Rising de Uwe Boll, le Troma-tique A Nymphoid Barbarian in Dinosaur Hell, ou encore les deux Gor, d’après les livres de ce sexiste fini de John Norman. C’est là que l’on retrouve Yor, le Chasseur du Futur, le mal aimé Krull ou encore Beastmaster 2, dont le concept très “Terminator inversé” a été utilisé dans d’innombrables films depuis. Belle surprise que d’y trouver le recommandable Outlander, mais là encore le vétéran peut regretter de ne pas voir quelques titres comme notre quasi slasher Brocéliande ou encore High Crusade où les Chevalier de la Table Ronde s’envolent dans les étoiles. Le Roi Arthur est malgré tout bien présent dans la partie s’intéressant au grandiose Excalibur, meilleur adaptation du mythe encore à ce jour.
Par ce détour vers la Chevalerie, le livre s’intéresse à ces histoires mystiques prenant racines dans les écrits de Chrétien de Troyes, évoquant quelques perles comme Hawk the Slayer avec un Jack Palance qui cabotine à mort, l’amusant Prince Vaillant de Anthony Hickox où même les crocodiles portent des armures et la belle trouvaille qu’est ce méconnu Choix des Seigneurs (1983). Et qui dit preux chevaliers dit dragons, les bestioles ayant leur propre tanière en ces pages où le magnifique Dragon du Lac de Feu croise aussi bien Jabberwocky de Terry Gilliam, Cœur de Dragon, Reign of Fire et, bien sûr, les impossibles Donjons & Dragons. L’occasion de quelques bizarreries comme ce Dragon Inside Me, sorte de Twilight russe à la sauce Fantasy, et ce Age of Dragons, relecture atypique de Moby Dick que j’ai moi-même chroniqué, ayant été invité à participer à l’ouvrage. Et pour ceux qui vénère le digital Smaug, pas de soucis: Rigs Mordo se livre à une surprenante rétrospective de Seigneur des Anneaux !
Difficile d’imaginer le bonhomme parler de ces films-là, bien éloignés de sa Toxic Crypt, mais il se montre très généreux avec la saga de Peter Jackson tout en disposant d’assez de recule sur la chose pour la juger comme il se doi,t et ne pas faire l’impasse sur certains problèmes. Naturellement c’est ensuite la “nouvelle vague” du genre qui y passe, bien inspirée par les adaptations de Tolkien et le succès des Harry Potter produits à la même période: Eragon, Narnia, Percy Jackson et compagnie sont évoqués, tout comme le bien plus sombre 300. Pêle-mêle citons le remake du Choc des Titans et sa suite, La Grande Muraille, le Hercule avec The Rock, l’extravagant Les Immortels, l’horrible Roi Arthur de Guy Ritchie, le premier Roi Scorpion (qui vaut mieux que sa sinistre réputation), l’anecdotique Septième Fils ou encore World of Warcraft et 47 Ronins. Pas de Gods of Egypt ni de Prince of Persia, et ça vaut peut-être mieux comme ça !
Concluons par le rapide tour d’horizon du Mondial de l’Heroic Fantasy, qui ne fait que brosser la différence culturelle entre chaque pays producteur mais s’intéresse à quelques œuvres intéressantes. C’est la french touch avec le fanfilm Les Seigneurs d’Outre Monde et l’interview de son réalisateur, Augustin Meunier parle du fameux Justicier Contre la Reine des Crocodiles tandis que la Russie peut se targuer d’un sympathique The Scythian bien viril. L’allemand Krabat aurait mérité un peu plus d’attention tout comme la Turquie et ses Lion Man avec Cüneyt Arkın. Quant à mes chroniques de Zu, les Guerriers de la Montagne Magique et de Legend of Zu, elles ont été transformées pour parler de l’Asie en général avec un texte titré La Fantasy se Lève à l’Est. Seul ombre au tableau: rien sur l’espagnol Le Cœur du Guerrier, qui joue avec le genre pour devenir meta, ni de Warriors of Virtue avec ses kangourous pour les États-Unis ! Rien de grave puisqu’il s’agit là d’un fanbook et non d’une encyclopédie produite par un géant de l’édition.
En fait il vaut mieux garder cela à l’esprit car malgré l’impressionnant travail abattu et les nombreux titres visionnés, il y a ici et là quelques petites fautes d’orthographes, erreurs et inexactitudes qui pourront être relevées par les vétérans. Thulsa Doom perd parfois son H selon les textes, Bruce Payne devient Bruce Pain, La Planète des Vampires est attribuée à Fulci au lieu de Mario Bava tandis que Hickox est présenté comme le réalisateur de Warlock alors qu’il en a fait la suite. Plusieurs répétitions également au fil des chroniques, la faute sans doute à une majorité de films ringards et mal foutus où il n’y a pas grand chose à dire. Pour palier à ce problème, l’écrivain opte pour des écrits au ton léger et avec un humour qui pourra vous rappeler les bon vieux Mad Movies d’autrefois et vous faire sourire comme un con. Et puis rien que pour la maquette incroyable de Rigs Mordo, à l’iconographie ravageuse qui vous bombardera les yeux d’épées géantes, de monstres et de donzelles aux bikinis en peaux de bêtes, cela vous le coup !
Considérant le nombre de pages et de films à illustrer, on se doute bien que ce ne fut pas une tâche de tout repos et il mérite franchement une médaille pour avoir offert une gueule pareille à l’ouvrage. C’est justement pour ça que je vais critiquer son travail en évoquant cette chronique de Barbarian Queen II se retrouvant avec une photo issue du remake de Conan le Barbare. A vrai dire considérant la façon dont l’héroïne y est ligotée et ce qui se déroule dans l’autre film, cela est presque raccord ! Mais je plaisante bien sûr, et personnellement je n’ai pu que prendre du plaisir dans la conclusion au joli titre de Et Pour Quelques Epées de Plus où l’auteur fait un rapide tour d’horizon de son projet, telle une campagne de jeu de rôles où chaque film était une aventure, une embûche ou une beuverie à la taverne. Espérons que ce fanbook rencontre une succès suffisant pour l’instaurer comme le guide français définitif sur l’Heroic Fantasy.
Et dans quelques années, pourquoi pas une seconde édition encore plus massive comblant les lacunes (le norvégien Headhunter et l’anime populaire Goblin Slayer seraient à rajouter par exemple) et en couverture cartonnée ? Parce que celle de ce volume, étant souple, a les coins qui ont vite fait de se corner, et étant maniaque cela me hante ! Crom ! Sûrement l’œuvre d’un maudit sorcier, ça !
Merci Adrien pour ce retour exhaustif et très honnête. Tu pointes avec précision les quelques oublis de films passés sous mes radars et ses satanés fautes involontaires malgré les multiples relectures (comment ai-je pu me vautrer sur « La planète des vampires »…). C’est trop tard mais comme tu l’écris, c’est un fanbook assez épais et sans prétention. Je me doutais bien avoir commis quelques erreurs, l’important reste que l’ensemble fonctionne à peu près. Et je retiens les points à changer, les films à ajouter (j’enrage sur ce titre espagnol que j’ai loupé…) pour une hypothétique version collector avec une couverture cartonnée, enrichie de nouveaux films. Pourquoi pas après un prochain Conan et le retour de Schwarzy ? Mais ceci est une autre histoire…
Merci, merci à toi d’avoir prit la peine de lire et encaisser mes mots 🙂
Ne t’inquiète pas, l’ensemble fonctionne absolument et personne ne sera aussi fouille merde que moi à propos du contenu 😉