Pieuvre Viking (Tarkan Versus the Vikings, 1971)

Lost (and found) in the 5th Dimension

Épisode 35

 

PIEUVRE VIKING

Tarkan Versus the Vikings (1971)

 

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Tarkan le Hun, c’est un héros méconnu dans nos contrées puisqu’il est originaire de Turquie, vedette d’une bande-dessinée que l’on doit à Sezgin Burak. Si certains le considère comme un Conan le Barbare eurasiatique, il est en fait plus proche de Prince Vaillant ou de Robin des Bois puisque ses aventures se déroulent dans un cadre réaliste, le guerrier étant au service du conquérant Attila pour défendre son royaume contre les traitres et les envahisseurs. Une véritable star en son temps, dont la carrière s’étala sur plus de dix ans jusqu’à la mort de son créateur en 1978, et qui s’aventura même sur le grand écran à travers une série de films aux allures de péplums italiens. Pas une mauvaise comparaison puisque Burak inventa justement le personnage du temps où il résidait à Milan. Du coup il n’est guère surprenant d’apprendre que, tel Masciste, Tarkan se retrouve au générique de productions tant officielles qu’officieuses réalisées par différentes compagnies. Tarkan Contre les Vikings représente le troisième volet de la “vraie” saga, et à ce jour il s’agit du seul opus à avoir reçu une sortie internationale.

 

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Un opus chargé où l’on retrouve aussi bien un roi viking sadique, une vilaine chinoise se la jouant Fu Manchu, des orgies sanglantes et une vengeance animale impliquant un loup (joué par un chien) à la recherche du meurtrier de son géniteur. Mais l’élément le plus mémorable est cette incroyable pieuvre géante gonflable qui fait office de dragon à pourfendre. Une bête dont l’existence n’est jamais expliquée mais qui vit aux alentours d’une forteresse construite quelque part en mer. Le clan viking qui l’occupe l’utilise d’ailleur comme emblème, l’affichant fièrement sur les grandes voiles de leurs drakars. La créature apparaissant pour un total de quatre scènes, il semble clair que l’idée était d’en faire l’une des attractions principales du film et son introduction mérite franchement le coup d’oeil: l’antagoniste, le nordique Toro, trahi son chef afin de prendre sa place et livrer la guerre aux Huns. Il exécute le monarche déchu en l’attachant au pied de la citadelle, face à l’océan, l’abandonnant au bon soin du céphalopode.

 

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Disons-le franchement: le cinéma turc, et plus particulièrement le cinéma d’exploitation turc, à cette saveure particulière qui repose principalement sur son aspect rudimentaire. Pour diverses raisons culturelles, politiques et religieuses, les œuvres paraissent souvent à côté de la plaque techniquement parlant, comme bricolées avec trois bouts de ficelles faute de temps, de moyens ou de créativité. Tarkan Contre les Vikings ne fait pas exception et le poulpe fait donc extrêmement faux, parfait craignos monster digne des livres de Jean-Pierre Putters. Car c’est un ballon gonflable est qui est utilisé ici, submergée puis déployé progressivement pour venir flotter à la surface. La forme est évidemment très fantaisiste et évoque plus les chimères des magazines pulp d’autrefois que les invertébrés des grands fonds, mais on ne s’en plaindra pas puisque l’effet fonctionne à merveille pour ce type de production, et les petites imperfections sont comme la cerise sur le gâteau: qu’il s’agisse des tentacules animés par de fils invisibles à la caméra ou les grands yeux peint à la main sur le caoutchouc, cela est juste adorable.

 

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Le plus remarquable reste la grosse tête du monstre, trop lourde pour se remplir convenablement d’air à immersion et dont on n’a un aperçu que lorsque la chose est au fond de son bassin. Et lorsque l’animal est au “repos” avant que la pompe ne l’active, il apparaît désespérément plat comme une crêpe, voguant comme un sac en plastique géant au gré des courants. Difficile de ne pas tomber amoureux. L’attaque mollassone qui s’ensuit est tout aussi plaisante, des techniciens manipulant les appendices comme des marionnettes pour les enrouler autour du corps du souverain prisonnier qui gémit de terreur. Quelques plans plus tard, et sans l’aide d’un bruitage ou d’un gros plan se montrer explicite, le monstre repart dans les eaux en emportant le corps mutilé de sa proie avec lui, tandis que de la peinture rouge bien opaque (et probablement pas biodégradable) simule le sang. Sur le chevalet de torture, les pieds, les mains et la tête de la victime sont encore là, enchainés au cadre de bois même si à peine visibles, ce qui est un peu dommage mais préférable à rien du tout.

 

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C’est ensuite à la fille du roi que va s’en prendre la bestiole, femme guerrière venu rendre visite à son père avant d’être capturée par Toro qui voudra la faire sienne. Se refusant à lui, elle est condamnée à mort de la même façon mais va être sauvée par un géant muet qui est tombé amoureux d’elle. Il va jetter un gros rocher dans l’eau pour repousser la bête, l’acteur faisant attention de ne pas toucher sa cible pour éviter de l’abimer. Plus tard la demoiselle est de nouveau offerte en pâture à l’animal, littéralement jetée à l’eau depuis une tour ! A la manière de Bride of the Monster ou d’Ed Wood, elle fait son possible pour s’emmêler elle-même dans les tentacules l’air de rien, barbottant ainsi jusqu’à ce que son compagnon de la délivre une seconde fois, s’attaquant directement à la créature. Quelques plans sous-marins de la lutte viennent égayer la scène qui n’a rien d’une lutte sauvage entre l’homme et l’animal, et bientôt le courageux protecteur est dévoré ou noyé par son adversaire, l’absence de gore se faisant cruellement ressentir.

 

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Enfin c’est au tour de Tarkan d’affronter le poulpe, aidé par ses différents alliés dont son loup de compagnie qui va sauter du haut d’un parapet pour atterrir en plein sur la tête gonflée (qui amortit heureusement sa chute) ! Difficile de parler de maltraitance animal tant le toutou ne semble jamais en panique, et c’est tant mieux. Discutable quand même de le voir être doucement tiré en arrière alors qu’il nage, sans doute par le plongeur dirigeant le poulpe, pour simuler une étreinte dangereuse, mais encore une fois il ne semble pas en danger. Une fois libre le Hun s’en ira affronter la bête pour une nouvelle bagarre aquatique peu dynamique, le bonhomme la poignardant à répétition avant de regagner la rive. Pas de sang, pas de tentacules coupés, pas de cri d’agonie et pas non plus le temps de s’appesantir dessus puisqu’il doit encore tuer Toro. Pour se consoler on pourra s’amuser du fait que chacune de ses scènes sont accompagnées de musiques volées à d’autres films comme 2001, l’Odyssée de l’Espace, Le Lion de l’Hivers et Il Etait une Fois dans l’Ouest, qui étaient tous récents à cette époque.

 

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S’il vous fallait une excuse pour vous mettre au cinéma turc, ne cherchez plus. Tarkan Contre les Vikings ressemble pratiquement à ce que s’imagine un petit garçon lorsqu’il joue avec ses jouets, et l’allure très approximative de l’ensemble renforce d’autant plus cette impression. Peu importe à quel point vous essaierez de vous convaincre que le monstre en plastique utilisé n’est qu’un accessoire de cinéma mal branlé, c’est en réalité un gigantesque joujou utilisé par des adultes revenu en enfance le temps du tournage, dont l’entrain et l’énergie débordante sont hautement communicatives. Oh ce n’était sans doute pas ce que Sezgin Burak avait en tête lorsqu’il a créé son héros dont les aventures sont plutôt sanglantes et sexuelles, sans aucune considération pour le jeune lectorat, mais peu importe. Le divertissement offert ici est tel que personne ne viendra s’en plaindre.

 

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