Blood Feast
(1991)
Comme nous l’avons vu lors de la chronique de 2000 Maniacs, chez le “label” Aircel de Malibu Comics, Eternity était sa propre compagnie avant d’être intégrée à une plus grosse structure. Le nom est resté mais l’équipe a totalement changée lors du rachat, et creuser un peu plus reviendrait simplement à dédier un article entier à l’état de l’industrie du comic-book à l’époque du Boom (et du crash) des années 90, avec l’émergence de nombreux éditeurs indépendants faisant la guerre aux géants Marvel et DC.
Aircel Comics, Eternity Comics, Adventure Comics, peu importe finalement. Ce sont tous des moyens de distributions pour Malibu et cela se repère très vite: chacune des publications possède le même aspect, le même format, à savoir des histoires imprimées sur du papier de mauvaise qualité, principalement en noir et blanc, écrites et dessinées dans des délais très court. Tout ceci évidemment pour des raisons économiques. Imaginez votre librairie envahie de centaines de bandes-dessinées de ce style et vous comprendrez aisément pourquoi le marché a vite été saturé à l’époque, au point de s’effondrer complètement.
L’adaptation de 2000 Maniacs ! en était un bon représentant, du moins dans la forme, avec ces dessins vides et son script balisé. Le hasard a simplement voulu que cette absence de moyens joue en sa faveur et corresponde en essence à l’œuvre de H.G. Lewis. La version papier de Blood Feast en revanche, c’est un peu l’effet inverse: le résultat est presque trop bon pour être publié dans un torchon de Malibu !
Publiée en seulement deux numéros, en Février-Mars 1991 (bien avant 2000 Maniacs paru à la fin de cette année, j’aurai donc dû en parler avant mais je désirais mettre fin à la rétrospective des Sudistes sanguinaires avant, la faute aussi à une réception tardive de la BD), ce Blood Feast est encore une fois écrit par Jack Herman, qui reste là aussi très fidèle au Parrain du Gore. Il convient peut-être de préciser que le scénariste s’inspire bien du film, plutôt que de la novélisation totalement absurde et non-sensique pour écrite par Lewis lui-même. S’il était clairement le point fort de 2000 Maniacs, s’amusant à explorer les évènements pour apporter quelques modifications minimales mais plaisantes ici et là, sa contribution est cette fois difficile à discerner à moins d’avoir revu la version cinéma peu avant.
Ce coup-ci ce sont les illustrateurs qui font forte impression, transformant ce qui aurait pu (du !) être une petite adaptation vite torchée en une BD visuellement splendide et à des années lumières de la réalisation plate et fauchée de son modèle ! Ils sont deux: Stan Timmons et Mike Matthew. Le premier bossait à la même époque sur l’adaptation de la série télé Alien Nation, pour la même boite, mais a fait quelques travaux sans importance pour DC avant cela. Le second n’est pas plus connu et tout juste relève t-on une participation récente au Savage Dragon d’Image Comics. Difficile de savoir comment le duo a opéré pour livrer les illustrations, et je ne connais pas leur style pour reconnaitre l’un ou l’autre, toujours est-il que le résultat est impeccable. Jamais les planches ne donnent l’impression de mélanger deux genres différents (au point qu’on peut supposer qu’un des artistes n’a fait que quelques finitions) et les compositions de plusieurs images sont tout à fait remarquables.
Outre le fait que leur boulot est foutrement plus détaillé, consistant et ombré que celui de 2000 Maniacs, il y a ici un véritable effort de mise en scène et de créativité pour attirer le regard. Suite meurtre d’ouverture, celui dans la baignoire, on trouve une transition entre un gros plan sur l’œil de la victime (crevé lors de l’attaque) et celui du célèbre Sphinx égyptien, lequel apparait ensuite dans une copie parfaite de l’écran titre du film, jusqu’à la police sanglante affichant les mots “Blood Feast”. Les cases sont remplies de décors et d’objets, contrairement au vide stellaire de l’autre adaptation, mais surtout les personnages gagnent en expression et en réalisme. Tant est si bien que les deux flics se retrouvent presque plus crédibles que les acteurs qui les incarnaient autrefois ! Seuls les dialogues, inchangés, trahissent la stupidité général de leur caractère, mais il est heureux que les artistes aient préférés faire exister leurs protagonistes dans cet univers plutôt que de simplement jouer la carte de la parodie, avec des caricatures censées représenter le mauvais jeu de scène des comédiens.
C’est Fuad Ramses qui y perd un peu, puisqu’il y parait moins halluciné, moins délirant. Il se retrouve avec une stature de vilain plus classique même si l’on peut apprécier de le voir paraître un peu plus intelligent et fanatique. On le voit prier sa déesse Ishtar de nombreuses fois, dans les meurtres comme durant sa traque par la police, et pour lui donner une stature menaçante les graphistes ont eu une trouvaille intéressante pour sa première véritable apparition (hors introduction): lui donner une bulle de dialogue différente des gens ordinaires, hérissée de piques, comme pour souligner son caractère quasi surnaturel. Son antre elle-même parait plus lugubre, ici un véritable donjon éclairé aux chandelles et cachant une statue bien plus crédible que celle du film.
Certaines planches sont un véritable festin – haha ! – en soit, via des choix de représentations dynamiques et totalement dans l’esprit Gore de Lewis: la longue préparation du festin, à peine visible à l’origine, est ici représentée par une série de cases placées à l’intérieur d’un énorme chaudron bouillonnant, fumant, et d’où dépasse la main d’un cadavre qui y est mijoté. Quant à la découverte des cuisines de Ramses par la police, elle donne lieue à une splash page nous montrant le fameux repas sanglant, l’hémoglobine jaillissant hors des cases pour se répandre sur le reste des pages ! Le gore semble avoir fait l’objet d’un véritable soin de la part des auteurs. S’il était finalement assez limité dans 2000 Maniacs, puisque de toute façon embelli par sa nature cartoonesque, il se fait ici il est ici au centre du projet.
Tous les meurtres connus se retrouvent ici, sans nouveauté mais avec quelques détails supplémentaires ou différents, en tout cas beaucoup plus graphique. La première victime, celle qui perd sa jambe, se fait désormais trouer un œil au pique à glace avant d’être dépecée à l’aide de différents types de lames. Le meurtre sur la plage n’oublie pas la présence du serpent qui glisse sur le sable, près de la cervelle s’écoulant du crâne fracassé, et la façon dont Ramses doit plonger sa main dans la bouche d’une victime pour en extraire la langue semble bien plus douloureux. Sa table de préparation est encombrée de restes humains, viscères, squelettes et autres choses indéfinissables. Et tout comme 2000 Maniacs réarrangeait le crime le moins réussi pour l’élever au niveau des autres (l’écartèlement), Blood Feast décuple l’effet de la séquence du fouet, transformant ce qui était l’une des passages les moins convaincants en un moment d’anthologie.
Il faut voir l’égyptien fou expliquer à sa proie qu’elle est censée faire office de “flavor of blood” (saveur de sang) pour son banquet, la flagellant comme un fanatique en hurlant “Ishtar” à tout va. Le fouet, dont l’embout se divise à la manière d’un Chat à Neuf Queues, se transforme dans le mouvement, prenant la forme d’un improbable serpent géant venant planter ses crocs dans la chair exposée de la demoiselle. L’effet fonctionne d’autant plus que celle-ci est à pratiquement nue, sa peau semblant particulièrement vulnérable, pour un rendu limite Sadien.
A ce titre autant le dire, l’aspect émoustillant hérité des Nudies est bien présent et, temps et mœurs aidant, peut-être même un peu plus permissif. Un éditeur indépendant se fixant ses propres règles en terme de permission graphique, la nudité est donc présente et plusieurs jeunes femmes exhibent leur poitrine. On pourra noter que les beautés sont brunes, là où Lewis favorisait les bondes, mais je ne risque pas de me plaindre. Toutefois si Malibu approuve totalement d’adapter du Gore, il semble en revanche un poil plus timide concernant l’érotisme, et c’est ainsi qu’un pauvre diable a été engagé pour “ombrer” les corps. Non pas coloriés, cachés, juste ombrés, comme si la pénombre arrivait subitement pour sensiblement cacher les formes généreuses. Le paradoxe USA dans toute sa splendeur. Et puisque nous en sommes à parler d’altération, revenons-en à Jack Herman, bien moins inspiré qu’avec les Maniaques du Sud. Celui-ci l’action se déroule en Floride, en 1963 – date du film – et… en plein hivers ! Ce qui semble absurde entre la balade du couple à la plage, les tenues simples des protagonistes et la séquence où l’héroïne et ses amies s’amusent dans une piscine extérieur !
Dans un soucis de paraître moins ignare en mythologie, il précise ici que Ishtar n’est pas véritablement une déesse égyptienne, mais qu’elle fut adorée par les premiers égyptiens ainsi que par les assyriens. Le noir et blanc et l’absence du regard fou de l’acteur oblige l’auteur à décrire Fuad Ramses dans un dialogue, précisant alors que celui-ci possède des cheveux gris et d’étranges yeux brillants. Sa façon de courir en trainant la patte, iconique, disparait puisque difficile à retranscrire sur des images fixes, et le fanatique préfère utiliser la hache plutôt que la machette.
Une séquence à suspense disparait entièrement, qui avait lieu à la piscine juste avant le kidnapping d’une jeune fille. Celle-ci montrait l’ombre de Ramses se profiler contre un mur, tel Nosferatu, tout proche de l’héroïne qui relevait précipitamment la tête, pressentant le danger. Dommage car vu le talent des dessinateurs, cela aurait fait un très beau dessin. Consolons-nous avec la présence appuyée du serpent de l’antagoniste. Dans le film, celui-ci est à peine visible bien que Lewis et son comparse David F. Friedman jurent avoir essayé de le caser autant que possible. Ici il apparait bien, et presque d’origine surnaturelle, évoquant sûrement le bâton changé en serpent de Moïse.
De la même façon, même si trop discret pour être important, l’influence d’Ishtar semble guider l’assassin encore plus que dans l’original. Outre que l’historien rappel que la déesse est censée s’incarner dans la dernière victime après le festin de sang, prenant forme pour mieux régner sur le monde, il est clairement stipulé qu’elle envoûte ses servants pour les pousser à obéir (comme montré dans Blood Feast 2). Durant la poursuite finale, Ramses la prie de l’aider pour échapper à la police et les agents s’étonne alors: ils l’avaient pratiquement rattrapé, mais celui-ci se retrouve de nouveau très loin d’eux, comme par magie. “It’s uncanny”, déclare le héros malgré sa tronche de grand blasé. On peut ensuite apercevoir une étrange aura en forme de crâne autour de l’antagoniste, lorsqu’il prend place dans le camion-benne, juste avant de se faire tuer…
Ces petites choses ne sautent pas aux yeux et c’est dommage, car il aurait été intéressant d’explorer un peu plus la mythologie de la déesse sanglante. Quiconque ne connait pas le film par cœur risque de ne même pas relever ces petits rajouts. Signalons-en un qui vaut le coup cependant, même s’il aurait mérité une représentation plus appuyée: la mort du tueur, dont on aperçoit le corps broyé lorsque les éboueurs relève la presse ! Voilà un bonus qui était certainement obligatoire. Du reste je retiens également cette réplique hilarante de la mère de l’héroïne, la commanditaire du repas d’anniversaire que devait honorer le meurtrier. Lorsque la police la prévient de la situation, la priant de ne surtout pas toucher à la nourriture vu ses origines douteuses, celle-ci lève simplement les yeux au ciel. “Oh dear, the guests will have to eat hamburgers for dinner tonight.”, dit-elle d’un air à peine ennuyé.
Voilà qui résume bien l’ambiance qui règne dans ce Blood Feast version Eternity Comics. Une adaptation respectueuse et fidèle, qui jamais ne sombre dans la caricature ou ne joue la carte du “plus sombre et plus sérieux”, le scénariste ayant compris quel type de personne était H.G. Lewis. La BD place justement son argument de vente là-dessus, se ventant ouvertement d’être une “adaptation autorisée” du “premier Splatter movie américain”. Dans le recto, un portrait du Goremeister lui-même, et figure une section promotionnelle contenant de nombreuses photos saignantes et autres clichés connus, dont même certaines raretés telle celui de l’actrice dans la baignoire qui révèle ses seins nus et cache son entrejambe avec sa main.
A moins de ne tout simplement pas aimer Blood Feast, cet objet est un must-have sur lequel on peut se jeter sans crainte. Pour seuls défauts je citerai une erreur de bulle sur une case, donnée à un personnage alors que destinée à son compagnon, et le fait d’avoir privé les illustrateurs d’une couverture qui aurait été magnifique. Désireux de faire comprendre à son lectorat que Blood Feast est une adaptation, le premier numéro se retrouve avec une simple photo de film (deux versions, la graphic cover, rare et présentant le cœur arraché lors du flashback en Égypte, et la tame cover, juste un gros plan sur la trogne de Ramses), et celle du second a été réalisé par un autre artiste. Fort heureusement il s’agit de Adam Adamowicz, déjà évoqué dans la chronique de 2000 Maniacs et réalisant ici une image puissante même si un peu hors sujet (plutôt Leatherface que Ramses).
Si j’avais un peu d’argent, je remplacerai l’image peu attirante du N°1 par quelque chose de plus tape-à-l’œil, comme par exemple cette réalisation pour l’éditeur de film Sub Rosa Studios, excessive mais bien plus convenable. Et puis tant qu’à faire j’éditerai le tout dans un recueil trade paperback avec un bien meilleur papier, pour faire redécouvrir cette gemme oubliée. Car comme Ishtar, il y a certaines choses qui méritent tous les sacrifices pour être ramenées des limbes…
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