2000 Maniacs (1991)

 

2000 Maniacs

(1991)

 

 

Laissez-moi endosser mon costume d’Historien du Comics quelques instants. Non pas que cela importe vraiment, mais j’aime bien donner un peu de contexte au sujet de mes chroniques. Cela permet une bonne introduction. Et donc, si vous n’êtes pas un lecteur assidu de labels indépendants, il y a peu de chance pour que vous connaissiez Aircel Comics. La compagnie n’est de toute façon plus, mais son run n’est pas négligeable puisque c’est à elle que l’on doit l’existence de Men In Black. Bien avant que la franchise ne devienne un véhicule pour Will Smith, il s’agissait d’une bande-dessinée plutôt violente mêlant science-fiction et surnaturel, bien plus en rapport avec les X-Files qui commençaient tout juste également.
La firme a été l’une des premières à flairer le potentiel alors méconnu du Manga, publiant quelques titres s’inspirant du style visuel, et surtout elle disposait de quelques titres érotiques parmi lesquelles des adaptations de films comme Debbie Does Dallas, Flesh Gordon et le Scum of the Earth de… H.G. Lewis ! Mais pour être franc ces derniers comics ne sont plus totalement produit par Aircel qui, en 1988, est récupéré par un autre groupe. Il s’agit de Malibu Graphics (plus tard Malibu Comics par soucis de simplicité), qui l’a racheté car croulant sous les dettes. Le nouveau patron fait le ménage, change les artistes, et de l’original il ne reste que le nom. Ce n’est plus qu’un label sous lequel sortira de nouveaux comics, seule quelques anciens étant poursuivit. Passons sur les disputes internes et procédures sans importances: au bout du compte, Aircel abandonne une bonne fois pour toute son catalogue et deviendra la branche “sexy” de Malibu.
La firme décidera ensuite, sûrement pour des raisons financières, de fusionner Aircel avec son propre label d’époque, Eternity Comics, gardant d’ailleurs ce nom comme pour affirmer sa domination.

 

 

Certains d’entre-vous sont peut-être familier avec ce dernier, puisque c’est chez eux que sont paru les premières adaptations BD de la Full Moon: Puppet Master, Demonic Toys ou encore Trancers. Sans entrer dans les détails (elle était également sa propre boite avant d’être, très tôt, intégrée à Malibu et recyclée en label d’édition), Eternity a aussi sa petite importance puisque c’est de là que proviennent quelques grands noms de l’industrie comme Brian Pulido (Evil Ernie et Lady Death), Evan Dorkin (Milk and Cheese et Dork) ou Ben Dunn (Warrior Nun Arela, donc oui celui-ci c’était pour rire). Parmi ses titres à licences, on retrouve là encore du H.G Lewis avec une adaptation de Blood Feast.
Nuls doutes que l’acquisition des droits de celui-ci, Two Thousand Maniacs ! et Scum of the Earth s’est fait en même temps, mais la fusion entre Aircel et Malibu a pas mal chamboulé le choix de parution. Et donc si le Nudie se retrouve naturellement chez Aircel, c’est également le cas pour 2000 Maniacs, chacun en publié en trois numéros. Blood Feast quant à lui sera édité en deux volumes chez Eclipse, malgré qu’il soit chronologiquement le premier dans la filmographie du réalisateur.
Pour conclure cette improbable parenthèse (avant même que je n’aborde le véritable sujet !) et juste pour donner encore un peu plus mal à la tête aux novices en bandes-dessinées, Malibu Comics va cesser d’exister quand elle sera elle-même récupérée par Marvel Comics ! Car la compagnie possédait sa propre division de super-héros via sa ligne Ultraverse et, supposément, un studio de coloration révolutionnaire travaillant dessus. La vérité c’est que la Maison des Idées étaient moins intéressée par de nouveaux personnages et artistes que d’empêcher son concurrent DC de grossir son propre catalogue, ayant déjà un équivalent à l’époque avec Milestone Media.

 

 

Quoiqu’il en soit, le Malibu Universe est officiellement rattaché à celui de Marvel sous la dénomination Earth-93060 même s’il n’est que rarement – voir jamais utilisé. Ce qui signifie qu’il est tout aussi officiel que Fuad Ramses et les Maniaques Sudistes existent dans le même multivers (ou megavers, selon votre terme de préférence) que celui d’Iron Man et de Wolverine, et donc qu’on peut considérer que Blood Feast, 2000 Maniacs ! mais aussi Howard the Duck et Captain America: Civil War se déroulent tous dans le même maelström dimensionnel !
Voilà pourquoi j’adore les comics ! Et comme certains le diraient: HYPERCRISIS !
Mais revenons-en à nos moutons avec ce 2000 Maniacs, ou alternativement Herschell Gordon Lewis’ Two Thousand Maniacs. Notez l’absence de point d’exclamation dans les deux cas. Une adaptation très fidèle du film, et du livre, du Parrain du Gore, publiée entre Septembre et Novembre 1991. Une parution mensuelle de 20 ou 25 pages exclusivement en noir et blanc, comme c’est souvent le cas chez Aircel / Eternity. A priori l’absence de couleur n’est pas un bon point pour un Gore, et particulièrement un Gore ancien qui affichait du beau rouge bien brillant à l’écran, mais on ne peut lutter contre les contraintes budgétaires. Si cela vous semble être une barrière, alors désolé de dire que 2000 Maniacs vous sera décevant. Pour ceux qui parviennent à faire avec, bonne nouvelle: la version papier ne perd strictement rien de la violence de son modèle, et va même jusqu’à corriger pas mal de petits manques ou ratés à l’occasion !
Étonnant quand on voit à quel point toute cette entreprise fonctionne à l’économie: l’histoire ne va globalement pas plus loin que le film, sans ajouts conséquents, et les illustrations sont en dents de scie car sûrement réalisées en fonction des disponibilités du dessinateur.

 

 

Ainsi 95% des cases ne comportent que des décors vides, ce qui se traduit par de vastes zones de blanc avec juste les personnages et objets nécessaires à la compréhension de l’intrigue, comme si les protagonistes étaient perdus dans les limbes. La majorité des traits sont simples, justes quelques coups de crayons, mais certaines cases présentent un travail d’ombrage bien plus conséquent. Du coloriage presque, comme si l’auteur avait eu plus de temps pour détailler son travail. Dans d’autres cas c’est le style qui change, le graphisme général (sensiblement rond et cartoonesque) cède la place à quelque chose de plus anguleux, comme si un remplaçant était venu compléter quelques cases pour que la BD soit fini dans les temps. Pourtant, à moins que celui-ci n’ait pas été crédité, il s’agit bien de l’œuvre d’une même personne. Probablement que ces différentes altérations sont dû à la vitesse de son travail, selon les délais dont il disposait.
En résulte naturellement un côté “cheap”, amplifié par la qualité assez pauvre de la publication (papier très mauvais), qui donne l’impression que tout cela fut assemblé à la va-vite. Ce qui est certainement le cas, mais tout comme l’était la production de H.G. Lewis ! C’est presque parfait en fait, tant cette absence de moyens fait écho avec celle du réalisateur.
L’adaptation, à défaut de pouvoir prendre son temps, se perdre en décors ou discussion inutile, ou rajouter des scènes supplémentaires, se limite au strict minimum et doit alors se montrer expressif pour retenir l’attention. Impeccable pour focaliser sur les scènes sanglantes, le côté sexy et l’humour noir pachydermique qui constituent – définissent Two Thousand Maniacs !

 

 

Question chair, si H.G. Lewis s’était calmé par rapport à Blood Feast, ne lorgnant qu’à peine sur les jolies gambettes de Connie Mason, la BD s’amuse beaucoup plus avec ses héroïnes, prenant toutes des poses aguichantes ou portant des tenues légères. Lingerie et serviettes de bain apparaissent régulièrement tandis que la tension sexuelle entre les couples est un peu plus appuyée. Betsy est ici plutôt séduisante avec ses épaules nues et possède un aspect “petite sauvageonne” qui lui va bien.
Et pour le sang, les meurtres en ressortent grandi et mieux mis en scène. L’écartèlement est maintenant bien visible, jusqu’à l’inclusion de détails supplémentaires comme lorsque les Maniaques récupèrent les membres arrachés ou le torse de la victime. On voit bien les morceaux humains lors du barbecue et le bureau du Maire Buckman apparaît encore tâché de sang bien après le meurtre à la hache.
De la même manière, l’amputation du pouce gagne en efficacité avec un gros plan sur l’action ainsi qu’une réactivité de la blessée: celle-ci se défend un peu plus, puis elle entre en état de choc après sa mutilation, expliquant la façon dont Harper parvient à la ramener à ses complices. Bref, la scène est mieux jouée.
Plus folle et divertissante également est l’évasion finale. Ici les héros n’hésitent pas à foncer dans la population, écrasant quelques Maniaques au passage, laissant des traces sanglantes sur le sol, et mettent le feu à une pompe à essence, provoquant une forte explosion. Les fantômes tentent comme ils peuvent d’empêcher le couple de fuir, se jetant sur la voiture, leur tirant dessus à coups de fusils et lançant non pas un mais plusieurs véhicules à leurs trousses. Toute cela apparait bien plus excitant que dans le film et témoigne bien de la folie meurtrières des revenants Sudistes.

 

 

Le plus amusant demeure cette image rajoutée pour illustrer les fantasmes de Rufus et Lester dans la conclusion. Rappelez-vous, ceux-ci s’imaginent à quoi ressemblera le prochain centenaire en 2065, avec un futur plein de vaisseaux spatiaux et de bombes atomiques. Ici l’artiste représente ce délire en évoquant les romans Pulp des années 50/60, avec une jolie cosmonaute déshabillée, en casque “aquarium”, qui se fait tirer dessus au pistolet laser par nos Maniaques. Aussi une grenouille mutante d’origine alien lui cours après.
A côté de ça les autres petites altérations paraissent bien moins remarquables en comparaison. Ici Harper ne tombe pas directement dans les sables mouvants mais glisse sur une chaussure abandonnée par l’héroïne. Enterré vivant, il tente malgré tout de remonter à la surface pour s’emparer de son couteau, hors de porté, probablement un indice pour montrer sa nature de fantôme et sa détermination. Le jeu du rocher fait de même lorsqu’un Maniaque utilise une balle de Baseball qu’il considère comme une nouveauté. L’épilogue explique que c’est Buckman qui semble à l’origine du retour de Pleasant Valley, ses acolytes expliquant qu’il est occupé à faire disparaître la ville et “d’endormir” les habitants. Il existe maintenant une deadline pour que les fantômes retournent dans leurs tombes, et la manquer signifie qu’ils ne seraient plus là dans 100 ans pour la prochaine fête.
Le scénario précise que l’action se déroule en Georgia, à 20 miles de la frontière du Tennessee, que le garage de Lester servait en fait à démonter les voitures des arrivants (supposément pour qu’ils ne prennent pas la fuite, mais j’aime l’idée qu’il garde les différentes pièces pour les prochains centenaires, avec lesquelles seraient construit de nouveaux pièges) et il est révélé que Tom, le héros, devait participer à un jeu de lancé de haches, là où le film évoquait une mystérieuse cérémonie de fiançailles.

 

 

Hélas pour moi, le script allant au plus simple, disparait la scène que je préfère dans le film: celle de la réaction de la population suite à l’écartèlement. On y voyait les Maniaques presque regretter leur action, comme s’ils comprenaient subitement que leur vengeance est aussi atroce que le crime qui les a damnés, et c’est Rufus et Lester, véritablement diaboliques, qui les obligeaient à y prendre du plaisir, leur ordonnant de chanter et de s’amuser. Rien de tout ça ici.
Ce n’est pas le seul “problème” (tout relatif) que j’ai pu déceler, et il y a notamment cette mystérieuse plaque commémorative qui change d’une scène à l’autre. Si l’on retrouve celle du film, avec le message explicatif sur l’histoire de Pleasant Valley lorsque Tom découvre la vérité, le reste du temps elle affiche un autre texte qui tient presque de la citation littéraire, sans explication. Les protagonistes assomment toujours un fantôme pour prendre la fuite, ce qui reste perturbant (encore plus quand celui-ci y va de sa propre réaction, s’étonnant mentalement que l’hôtel ait l’eau courante lorsque l’héroïne prétend avoir un soucis de salle de bain), au même titre que certains détails: les fantômes veulent utiliser des chiens pour traquer les fuyards qu’ils ne retrouvent pas, l’opératrice téléphonique semble bien connecter les appels…
Questions erreurs et mauvais raccords, relevons une certaine confusion entre Lester et Rufus durant le jeu du rocher (la foule acclamant l’un alors que c’est l’autre qui participe), et on ne voit pas du tout Tom jeter le jeune Billy hors de la voiture, celui-ci apparaissant subitement aux limites de la ville lorsque la voiture rejoint la grande route, d’une case à l’autre. Rien de bien grave, juste quelques petites broutilles qui auraient pu être rectifiés si les auteurs en avaient eu le temps, et on comprend que l’éditeur lui-même n’ait pas vraiment fait attention (même si ça reste techniquement son job, bordel).

 

 

2000 Maniacs reste du très bon boulot et, si l’on reste dans la médiocrité technique, le charme et la fidélité l’emporte. Je préfère honnêtement ça aux illustrations ultra détaillées du 2001 Maniacs d’Avatar Press, qui à côté semble un peu plus creux et surtout difficile à aborder sans le film qui l’accompagne. Le scénariste Jack Herman (personnage mineur dans l’industrie qui n’a rien fait de remarquable, si ce n’est un court run sur le Terminator de 1988, chez NOW Comics, et qui bosse plutôt dans le jeu de rôles) a parfaitement su capturer l’univers de H.G. Lewis, son goût pour le grotesque et l’exubérant. Probablement pas un hasard qu’il se retrouve également à bosser sur Blood Feast la même année. Son partenaire, Nigel Tully, n’est peut-être pas le plus grand dessinateur mais il sait y faire pour donner aux scènes gores leur efficacité. Le bonhomme entrera un peu plus tard dans la cours des grands et rejoindra DC pour quelques boulots sur Teen Titans et Deathstroke.
Avec eux, deux autres illustrateurs le temps des couvertures: ce sont Adam Adamowicz, aujourd’hui disparu mais dont le style reste saisissant (il évolua plus tard dans le monde du jeu vidéo, bossant sur des franchises comme Elder Scrolls et Fallout) et Joseph Allen, qui se calque sur le style de Tully et remplace certainement son prédécesseur pour une question de délais. Lui a bossé sur l’adaptation de Re-Animator et son étrange préquelle, Dawn of Re-Animator, toujours chez Malibu. Au lettrage. Bon, je crédite ce que je peux, hein.
Bilan: si vous aimez le Parrain du Gore et son Two Thousand Maniacs, si vous aimez les comics horrifique ou les petits livres indépendants, pas extraordinaires mais divertissants, ou si vous aimez les produits dérivés curieux, 2000 Maniacs de Aircel Comics est un bonne petite chose à intégrer dans votre collection. Ah, si seulement un éditeur français pouvait s’intéresser à ce genre de produits et leur donner une seconde vie…

 

 

 

GALERIE

 

       

 

Leave a reply

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>