Are You Afraid of the Dark ?
The Tale of the Pinball Wizard
(1992)
The Tale of the Pinball Wizard est une sorte de curiosité, épisode à la fois bon et mauvais qui tire plus sur le récit d’aventure que l’histoire d’épouvante traditionnelle, propre à la série. Je ne reviens pas sur celle-ci, ayant déjà écrit toute une intro dans un article précédent, mais il convient de rappeler que Fais-Moi Peur ! met principalement en scène des fantômes, monstres et vampires un peu à la manière de Chair de Poule, et que ses rares écarts s’inspirent de folklores et de mythologies. C’est sans doute pour paraitre plus moderne et “proche des jeunes” que ce season finale traite de jeux vidéo et de la dangereuse addiction qu’ils représentent.
Un bon moyen également de se mettre les parents dans la poche, qui s’allieront volontiers avec le show pour dissuader leurs têtes blondes de passer trop de temps sur Mario et Sonic. De la propagande en quelque sorte, qui comme d’habitude lorsqu’il s’agit de taper sur la technologie de divertissement, se plante royalement car ne sachant en réalité pas du tout de quoi elle parle. Parler d’un problème, c’est bien, mais autant le faire avec intelligence et subtilité car sinon le message ne passe pas et devient caricatural.
En l’occurrence, les scénaristes font ici un amalgame grossier entre les jeux de maintenant et ceux d’autrefois, créant un improbable flipper qui se joue comme une borne d’arcade et où il faut jouer avec sa bille tout en montant de niveau en niveau. Tellement incompréhensible que même le réalisateur a préféré ne quasiment rien montrer de l’appareil, usant du hors-champ et de bruitages pour simplement nous faire comprendre l’idée, le concept dont il est question. Oui mais voilà: la série s’adresse avant tout aux enfants, qui eux s’y connaissent bien plus que les adultes en ce qui concerne ces choses là et vont donc rejeter en bloc cette aberration inexistante ou se gratter la tête tout au long de ces vingt minutes d’antenne en essayant de comprendre ce qu’on essaye de lui dire.
C’est alors mal partie pour cette critique grossière qui heureusement semble au moins être capable de représenter le côté absurde de ces réalités virtuelles où la logique n’a de sens que pour le joueur et pas vraiment pour les personnages qui les peuplent. Ainsi l’intrigue tourne autour de Ross, un jeune garçon trop souvent livré à lui-même et qui a pour habitude de squatter la grande galerie marchande de sa ville.
A la manière de Mallrats, il y traine toute la journée, se fait un ennemi du vigile et récolte de la monnaie là où il peut afin de financer ses parties, pillant les cabines téléphoniques et la fontaine intérieure, quitte à se battre avec une vieille clocharde pour s’emparer de quelques pièces ! Il tente même de convaincre M. Olson, gérant d’une petite boutique de réparation, de l’employer afin d’obtenir un salaire. Mais celui-ci n’est pas intéressé, sachant pertinemment que l’adolescent passerait son temps à jouer au flipper qui traine dans son magasin plutôt que de faire le boulot. Lorsqu’il doit s’absenter déjeuner, Ross réussi toutefois à le convaincre de surveiller son business le temps de sa pause, de façon à faire ses preuves. Celui-ci accepte mais à peine est-il parti que son futur ex-employé se faufile dans la réserve pour démarrer une partie !
Mais la machine qu’il a choisi est un peu particulière, mystérieuse construction cachée sous une bâche et qui ne devrait pas fonctionner d’après le commerçant. Si ce n’est pour une courte interruption lorsqu’une cliente – la jolie Sophie, qui tape tout de suite dans l’œil à Ross – vient récupérer une commande, le jeune homme va perdre toute notion du temps et continuer à jouer pendant des heures.
Lorsqu’il s’arrête enfin, il fait nuit et le centre commercial est désert. Notre héros se retrouve coincé dans le bâtiment et dès lors des évènements étranges vont commencer à se produire. Il entend d’étranges bruits et musiques semblables à celles d’un jeu, découvre que les mannequins pour vêtements sont des robots qui cherchent à l’attaquer, et enfin retrouve Sophie qui est désormais habillée comme une princesse médiévale et attaquée par un méchant Shérif de Nottingham et une vieille sorcière. Que diable se passe t-il donc ?
Et les péripéties s’enchainent si vite que le garçon n’a pas le temps de comprendre: sa belle lui supplie de récupérer un objet, lequel va lui ouvrir l’accès à un étage (niveau !) supérieur où il va rencontrer d’autres ennemis à fuir et trésors à collectionner. La jeune femme le presse toujours et ne répond jamais à ses questions, forçant son sauveur à poursuivre l’aventure, se battre avec des gardes et trouver des armes pour empêcher le couronnement des vilains. Au final on se dit que Ross doit être un peu con de ne pas réaliser qu’il s’est retrouvé projeté dans le flipper et qu’il mérite peut-être ce qui lui arrive…
Ce n’est pas comme s’il n’y avait pas des centaines d’indices sur son chemin: entre les bruitages qui s’enclenchent aussitôt qu’il trouve ou débloque quelque chose, le côté Foire du Trône de ses ennemis et de la progression toute balisée de sa quête. Un banc public a clairement la forme d’un bumper et lui-même level up progressivement, gagnant des objets sur sa personne qu’il n’avait pas avec lui l’instant d’avant. Malgré tout l’épisode fait un bon boulot à propulser son protagoniste dans une situation qui le dépasse complètement et qui a commencée sans lui. A peine réalise t-il qu’il a été oublié dans le bâtiment qu’il est agressé par des androïdes perdant leurs membres et doit fouiller dans des casiers de vestiaires qui lui jettent du slime à la figure !
Et au final on fini nous même par se prendre au jeu (!) de cette aventure féodale-contemporaine où il convient de faire glisser des billes au sol pour faire chuter une vieille bique et voler un Super Soaker de luxe pour faire fondre le bourreau qui nous poursuit lentement tel Jason. Entre ça et ces décors de galeries marchandes désertes, c’est un peu Dawn of the Dead pour les gamins, avec cette même appréhension / excitation de pouvoir se promener partout là où on ne devrait pas.
The Tale of the Pinball Wizard s’éloigne drastiquement de la formule habituelle de la série et ne provoque absolument aucun effroi. Quelque chose qui pourra justement perturber le jeune public, forcément plus en recherche de frissons et d’horreurs gentillettes que de la recréation de sa dernière partie de Game Boy en mode GN avec un budget minuscule. Mais impossible de ne pas sourire en voyant Ross, désarmé face à l’antagoniste, brandir subitement un pistolet (à eau) caché un peu à la manière de Die Hard. La sorcière en fait des caisses et provoque le rire, la princesse est très mignonne et se retrouve même toute ligotée sur une chaise, et il y a quelque chose d’hilarant dans l’idée qu’un type en capuchon noir et veste cloutée, doté de muscles énormes, appelle l’ascenseur de la manière la plus banale possible, l’attendant bien sagement, les bras croisés. Quel dommage que cette araignée géante originellement prévue n’ait pas pu voir le jour pour des raisons financières !
Mais il y a la fin, le twist, qui vient subitement renverser tout ça. Une conclusion si cruelle qu’elle resta pendant longtemps dans les mémoires des spectateurs d’alors. Car alors que le héros triomphe, il se retrouve… revenu au point de départ, plongé dans l’obscurité de l’établissement fermé pour la nuit.
Étrange puisque l’on s’imaginait le voir retourner dans la réalité avec l’excuse que tout cela n’était qu’un rêve. C’est sûrement ce qui devait être la fin originale puisque l’introduction permet de repérer une foule d’éléments déjà présent autour de Ross qui reviennent durant son aventure: le thème médiéval provient des flippers chez M. Olson, le Super Soaker est déjà exposé dans la galerie marchande, la sorcière n’est autre que la clocharde et le shérif est le vigile. Sophie est la cliente sur qui le héros avait flashé, et le couronnement doit avoir lieu sur un trône doré qui est à l’origine une boite à musique que la demoiselle venait chercher au magasin.
Mais à la place, les responsables de l’épisode vont opter pour une révélation bien plus sombre. En regardant par le toit vitré du centre commercial, l’adolescent va découvrir le visage gigantesque de Olson, qui l’observe en fait depuis l’appareil de son arrière-boutique. Ross est toujours coincé à l’intérieur du flipper magique, et le commerçant se moque ouvertement de lui et de sa fausse promesse: puisqu’il aime tant ce jeu, il y jouera donc pour toujours !
Le dernier plan montre une bille de flipper géante venir bloquer la sortie, piégeant le garçon qui ne pourra jamais ressortir. Et un dernier bruitage laisse supposer que celle-ci va être propulsée comme pour une partie, laissant la mort par écrasement comme seule alternative à éternité de tourments ! Vache, d’autant que Ross n’a jamais mérité un sort pareil. Et c’est alors qu’il faut se souvenir d’un bout de dialogue récité plus tôt où l’on apprenait que Olson avait déjà “viré” un précédent employé dont l’attitude ne lui convenait pas En clair, lui aussi a dû connaitre une fin atroce et le marchand peut être perçu comme une représentation au sens propre du Démon du Jeu .
En un éclair, l’épisode bascule dans l’horreur absolue et ne fait plus rire du tout. Une belle façon de conclure la première saison de Fais-Moi Peur ! et très rare sont les histoires qui oseront aller aussi loin. On peut mentionner The Tale of the Dark Music, diffusée un peu plus tôt (et où l’on retrouvait déjà l’acteur qui joue ici le maléfique vendeur), mais même celui-ci cherchait à rassurer les spectateurs en promettant que son héros n’y avait pas sacrifié sa petite sœur au croquemitaine. Ici rien de tout ça, et si le message demeure stupide sur le fond – les jeux vidéos sont mauvais et vous causeront du mal si vous ne gardez pas les pieds sur terre – il est plutôt effective sur la forme et mérite franchement le coup d’œil !
Cet épisode est surtout – du moins à mes yeux – une relecture du sympathique segment « The Bishop of Battle » du film à sketches « En Plein cauchemar » (1983) de Joseph Sargent.
Il y a en effet beaucoup de similitudes et le petit budget est sans doute la raison pour laquelle on passe de jeu vidéo à simple flipper. La conclusion est tout aussi horrifique en tout cas.