A Lamb in Despair
(1999)
La Chine aime ses monstres au moins autant que les États-Unis, et avant la rétrocession son cinéma se faisait un plaisir de s’en inspirer à travers des films portant la classification de category III. Des films racoleurs qui amplifiaient et déformaient les faits, ne s’embarrassant que très rarement de réalisme et ne cherchant jamais à retranscrire la vérité. Avec les succès consécutifs de Dr. Lamb et Untold Story, les deux meilleurs représentants du genre, c’est tout un tas de faits divers sanglants qui furent exploité à tort et à travers, chacun cherchant à faire son pain sur cette mode, et le phénomène se poursuivit jusqu’aux années 2000 avant de s’éteindre progressivement. L’une des icônes du genre, Anthony Wong, déclara en 2017 qu’il n’y a selon lui plus de place pour ce type de productions en Chine désormais. Il fit ses adieux à cet univers la même année avec The Sleep Curse, ayant de toute façon depuis longtemps percé du côté respectable de l’industrie.
Avec son titre évoquant tant Dr. Lamb que Le Silence des Agneaux (Silence of the Lambs en anglais), A Lamb in Despair voit le jour en plein durant le procès du tueur en série Wu Zhida, alias Charles Chi-tat Ng, accusé d’avoir tué entre 11 et 25 personnes aux USA. Né à Hong Kong et fils d’un riche homme d’affaire, il connu une enfance difficile, constamment puni et battu par son père au moindre problème. Difficile de savoir si ces mauvais traitements sont ce qui l’a rendu mauvais, les experts lui ayant diagnostiqué un trouble de la personnalité dépendante (maladie mentale à long terme qui a tendance à mener au suicide), mais il s’enlisa dans la criminalité et la violence dès son adolescence. Il abandonna les études après divers incidents puis, ayant déménagé en Amérique, s’engagea chez les Marines pour s’éviter des problèmes en raison d’un délit de fuite lors d’un accident de voiture. Là encore il persista à commettre quelques larcins.
Fuyant l’armée pour s’éviter la cours martiale, il fini par basculer dans l’horreur après sa rencontre avec un psychopathe meurtrier. Son trouble lui causant d’être émotionnellement dépendant d’une autre personne, il adopta son style de vie et participa aux meurtres d’une vingtaine de personnes. Le couple s’attaquait principalement aux femmes pour les violer et les torturer, tuant immédiatement les hommes et les enfants les accompagnants. A la mort de son partenaire, qui se suicida après avoir été interpellé par la police dans une affaire de vol à l’étalage, il se réfugia chez sa sœur au Canada avant d’être arrêté à son tour. Ayant commis ses crimes en Californie où la peine de mort est de rigueur, Wu Zhida tenta par tous les moyens de rester incarcéré sur place mais fut finalement extradé et placé dans le couloir de la mort. Aux dernières nouvelles, en Juillet 2019, il y est toujours, l’état n’ayant pas exécuté la moindre personne depuis 2006.
Il fut reconnu coupable de onze homicides (six hommes, trois femmes et deux enfants) en Février 1999, et le film s’inspirant de son histoire sorti seulement six mois après sa condamnation. Un projet que l’on doit entièrement à Tony Leung qui écrit, produit et réalise pour l’occasion. Attention, pas ce Tony Leung, alias Leung Chiu-wai (In the Mood for Love, Lust Caution, Infernal Affairs), ni l’autre Tony Leung, alias Leung Ka-fai (L’Amant, Election, Le Syndicat du Crime 3), mais le troisième Tony Leung, alias Leung Siu-Hung, cascadeur et vétéran des films d’arts-martiaux que l’on a pu croiser dans de petits rôles avec Ip Man 1 et 3, et déjà metteur en scène du bonnes grosses séries B comme Satin Steel, Superfights et Bloodmoon, avec Gary Daniels et Darren Shahlavi. Peu intéressé par la fidélité des évènements, il choisi d’imaginer un scénario “what if” où le tueur en série serait retourné à Hong Kong plutôt qu’au Canada.
De nombreux détails de l’affaire subsistent mais sont transformés, parfois au-delà du reconnaissable, mais contre toute attente le cinéaste semble moins intéressé par la représentation graphique de l’horreur que la façon dont elle est perçue par les institutions hong-kongaises. C’est le conflit d’opinion entre la police, la presse, les services sociaux et le peuple qui est au centre l’intrigue ici, les méfaits de Wu Zhida (renommée Hui Da, que les sous-titres anglais très approximatifs du LD et VCD transforment en Ted Wu) étant plutôt en retrait et peu sanglants. Ici l’antagoniste est surveillé par la police dès son retour, les autorités étant conscientes des faits qui lui sont reprochés mais ne pouvant agir à moins qu’il ne récidive, et s’il tente de mener une existence tranquille en s’isolant et vivant de petits boulots, un journaliste déterminé à le voir derrière les barreaux va tenter de dévoiler son véritable visage par tous les moyens possibles, y compris les moins légaux.
A la manière de Untold Story, les méthodes utilisées pour contrer le tueur sont très discutables et on peut même arguer ici qu’elles ne font qu’empirer les choses. La police n’hésite pas à le tabasser en le questionnant et le reporter qui le poursuit va s’introduire chez son père pour voler quelques affaires et manipuler une amie d’enfance pour qui il éprouve encore des sentiments afin de l’utiliser comme appât. A cela se rajoute une assistante sociale qui, charmée autant par son intelligence que sa face sombre, va sympathiser avec lui. Persuadée qu’il peut être réhabilité, elle va entrer en conflit avec les autres personnages et soulever la question de l’efficacité du système. Category III oblige, la police est décrite comme stupide et incompétente, l’enquêteur principale valant bien celui de Daughter of Darkness avec sa chemise à fleur incongrue, mais au moins a-t-elle conscience des risques si Hui Da venait à céder à ses pulsions.
La presse, au contraire, est prête à courir le risque de victimes, arguant qu’elle ne pourrait être tenue pour responsables des conséquences puisque le meurtrier finira par se remettre à tuer ou violer de toute manière: le pousser à l’acte serait moins risqué tant qu’il est encore sous surveillance. Et la pauvre héroïne d’en faire les frais, se retrouvant plongée au cœur de l’affaire pour la seule raison qu’elle a connu le serial killer lorsqu’elle était petite et a failli devenir sa petite amie avant qu’il ne parte aux États-Unis. S’il lui reste quelques sentiments pour le garçon, c’est surtout parce qu’elle sait qu’il était maltraité par sa belle-mère et elle ne peut donc se résoudre à le détester complètement. Mais aussitôt qu’il entre de nouveau dans sa vie, la voilà terrorisée: elle ne peut ni compter sur la police, qui ne peut intervenir, ni sur le journaliste, qui espère justement que le criminel commette une erreur en agissant impulsivement.
Ces différents points de vue s’opposent durant tout le film sans que le réalisateur ne viennent vraiment prendre partie. Si la police semble inutile, elle demande malgré tout une alliance avec la presse afin de régler le problème, et le journaliste va finir par se sentir coupable lorsque les morts s’accumulent et qu’une innocente est désormais dans le collimateur du tueur. L’héroïne elle-même ira jusqu’à dire que la Loi n’est pas irréprochable et qu’aller à son encontre peut être efficace dans une certaine mesure (avec en exemple le piratage de films, certes immoral mais venant satisfaire le spectateur… une comparaison très maladroite rendue d’autant plus bancale avec les sous-titres). En fait le seul personnage qui se retrouve plus ou moins puni est la naïve travailleuse sociale, qui sera capturée par Hui Da après l’avoir surpris au mauvais moment. Difficile alors de savoir s’il s’agit d’un commentaire volontaire du cinéaste ou un simple moment d’exploitation.
Car n’oublions pas que A Lamb in Despair reste un cat. III avant tout et, malgré l’enrobage socio-psychologique, l’idée est de montrer le criminel en action. Inculpé de 25 meurtres et d’innombrables viols dès le début du film (sans complice dans cette version), il n’a effectivement plus grand chose d’humain et cela se retrouve jusque dans son apparence: le teint blafard comme un zombie, totalement froid et inexpressif, il ne fait montre d’émotion que lorsque sa folie prend le dessus. Comme le titre original du film l’indique (人肉玩具, qui se traduit par “jouets de chair humaine”), son modus operandi n’est pas de tuer immédiatement ses victimes, mais de jouer avec elle. Une idée qui tient sa source dans le fait que sa folie lui vient de son enfance, sans que cela ne soit vraiment expliqué. Il capture une femme qu’il va garder prisonnière, l’enfermant dans une cage minuscule ou la forçant à faire le ménage comme une esclave.
Hui Da rejette sur elle toute la haine qu’il a pour sa belle-mère et répète même certains traumatismes sur sa victime. Celle-ci va devenir passive et obéissante au point qu’elle ne cherchera plus à se rebeller, devenant complice de meurtre sans même le réaliser. Sur ses ordres elle étouffe un petit garçon en l’enveloppant dans du cellophane, puis découpe la mère en morceaux. Autant dire que devant tout ça, le débat des protagonistes ne pèse pas lourd et tourne même au ridicule. Effet sans doute voulu, d’autant plus que la description de ces évènements reste plutôt sobre pour ce type de film. Ne vous attendez pas à la moindre subtilité pour autant considérant le type de production: il y a cette décapitation à la hache montrée du point de vue de la tête tranchée, tandis qu’une femme nue est attachée sur une table à la manière d’un sacrifice tribal, musique et décors à l’appuie.
L’assassin pisse sur une femme évanouie pour la réveiller et il y a cette scène à la Dario Argento où une captive parvient à s’échapper pour se faire aussitôt percuter par un camion qui va lui passer entièrement sur le corps. Un passage qui rappelle beaucoup Les Frissons de l’Angoisse, et comme pour mieux créer un lien on retrouve la musique du Frayeur de Lucio Fulci par instant ! Cette inspiration occidentale peut aussi se retrouver dans l’étrange (et sous exploité) symbolisme chrétien qui apparait de temps à autre. Hui Da est comparé à Légion, dans le sens où il est un démon dans un corps d’homme, l’héroïne est une japonaise catholique portant une croix et le titre anglais du film, A Lamb in Despair (une brebis égarée, si l’on devait traduire), fait clairement référence à l’antagoniste qui a succombé au Mal et s’est égaré du droit chemin. Dommage que l’idée ne soit jamais utilisée, surtout que le scénario s’intéresse plusieurs fois à l’innocence de son antagoniste.
Son humanité, son “âme”, est corrompue par une schizophrénie qui prend presque la forme d’une entité démoniaque l’ayant possédé. Quelques plans en vue subjective montrent ainsi sa perception de son environnement: un filtre bleu apparait lorsqu’il à des épisodes paranoïaques ou hallucinatoires. En deux instances cependant, cette caméra est totalement séparée du personnage, flottant dans les airs comme la force maléfique de Evil Dead: quand enfant il est enfermé pendant plusieurs jours dans une petite pièce, la faim l’amenant à se cogner la tête contre la porte (la caméra surgit de la fenêtre pour se fondre en lui) et à la fin du film, lorsqu’il est confronté à ses propres démons. Il peut ainsi “voir” sa folie, brisant le quatrième mur, et va chercher à la fuir littéralement, comme s’il était redevenu lui-même. “I’ve finally defeated you” lui dit-il alors qu’il s’apprête à se suicider. Un peu plus tôt il disait “Ma maladie mentale est mon refuge. C’est aussi mon arme”.
Et on peut le voir de temps en temps résister autant que possible. Comme lorsqu’il demande à l’assistante sociale de ne plus le revoir, de peur de lui faire du mal, ou lorsqu’il se contente de menacer le petit ami de l’héroïne pour qu’il ne soit pas un obstacle. Inutile de dire que les moments les plus efficaces du film sont ceux où le jeune Hui Da est violenté par sa belle-mère, une folle qui le haïssait au point de lui brûler les mains à la cigarette, de lui enfiler des pétard sous ses vêtements et de le bâillonner avec sa propre culotte. Un petit côté Psychose. Un petit côté Maniac également, ce qui se ressent dans la conclusion où le tueur voit ses victimes revenir d’entre-les-morts pour lui demander des comptes. Rien d’aussi fort que dans le film de William Lustig, tout cela n’étant qu’un stratagème pour confondre l’antagoniste, mais intéressant. Intéressant aussi ce parallèle avec le journaliste, sa petite sœur s’étant suicidée après avoir été violée par leur père, plantant là aussi les graines de la haine.
Si en l’état A Lamb in Despair est loin d’arriver aux chevilles de Dr. Lamb et Untold Story, en plus d’être un category III visuellement très sage au-delà de ses quelques scènes de nudité féminine, il y a malgré tout quelques petites choses à décoder qui vont au-delà du simple film d’exploitation sanglant habituel. Cela le rend plus intéressant que certains représentants du genre, comme Horrible High Heels par exemple, qui ne proposent rien d’autre qu’un peu d’horreur de façon très rudimentaire. Et il faut aussi compter sur le casting, avec un certain Edward Mok tout bonnement parfait dans le rôle du meurtrier. Anthony Wong joue son adversaire avec grande sériosité, ce qui change de ses célèbres interprétations de psychopathes mais aussi celles d’andouilles comiques à la Untold Story II. Quant aux filles, elles sont évidemment très jolie, avec surtout la sexy Sherming Yiu (Raped by an Angel 4) qui rejoindra Mok cette même année dans… Untold Story III.
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