The Brood (1979)

 

The Brood

(1979)

 

 

Tout juste après avoir mis en place son univers avec ses deux véritables premiers films, Frissons et Rage, David Cronenberg termine les années 70 en réalisant deux films. Le premier est Fast Company, basique film de course automobile plutôt éloigné de l’esprit de ses films précédents, puis ce The Brood (oublions le titre français Chromosome 3, tout bonnement nonsensique quoiqu’en bonne concurrence avec celui, canadien, de La Clinique de la Terreur), un film dans la continuité de son œuvre et marquant une étape fondamentale dans l’évolution de celle-ci.

 

 

On note tout d’abord la volonté d’assumer pleinement l’œuvre à la vue du titre, précédant celui-ci par le nom du réalisateur (David Cronenberg’s The Brood), un peu à la manière des films de John Carpenter. Ce nouvel opus est clairement marqué du sceau de son créateur, qui le revendique comme étant directement issu de son propre génie créatif. C’est en effet délivré des grandes références à George A. Romero qu’il s’attèle à une histoire très sombre et très personnelle, par ailleurs à fortes connotations autobiographiques. The Brood fait écho à la vie du réalisateur, ce dernier ayant kidnappé sa propre fille de peur que sa femme ne puisse s’en occuper correctement, car étant embrigadée dans des groupes soi-disant auto-psychanalytiques à la limite de la secte !

 

 

Ainsi faisons nous connaissance de la psychoplasmatique, une nouvelle forme de thérapie visant à faire s’exprimer le corps même du patient à travers ses peurs, ses angoisses ou ses colères refoulées. Un peu comme lors d’un effet psychosomatique, l’organisme se met à agir de lui-même et crée une sorte de mutation. C’est dans une clinique privée, dirigée par le Dr. Hal Raglan, créateur de cette science, que réside Nola Carveth, mère recevant la visite de sa toute jeune fille Candice depuis son internement. Mais un beau jour Frank, le mari de Nola, découvre des bleus et autres traces de coups dans le dos de l’enfant et est alors persuadé que sa femme en est responsable. Il tente d’aller la voir mais sera repoussé par Raglan, puis se met alors en tête d’intenter un procès contre ce dernier pour ses pratiques douteuses. C’est alors qu’il découvre que les mutations engendrées par le corps humain peuvent s’avérer très dangereuses et que Raglan est loin de contrôler sa méthode, causant de véritables problèmes à plusieurs de ses patients. De son côté Raglan poursuit sa thérapie avec Nola en se servant de l’incident survenu à sa fille pour progresser, et c’est là que débute une série de meurtres dans l’entourage de la patiente…

 

 

S’il n’est plus vraiment question de virus ou d’épidémie, l’idée de “maladie” est toujours présente et désormais élevée à un autre stade que celui biologique: c’est l’esprit qui déclenche la transformation de l’organisme. Idée qui sera par la suite reprise et développée dans ses prochaines œuvres (Scanners, Videodrome, eXistenZ…), tandis que son concept de la Nouvelle Chair (The New Flesh) et des mutations se font plus importantes désormais. Les corps vont, par le biais de l’esprit, développer des cancers, des irruptions cutanées ou pire, une “portée” (The Brood). Des êtres naissant différemment des humains car enfantés par la rage et crées dans l’unique but de se débarrasser d’un obstacle.

 

 

C’est ainsi que Nola se retrouve capable d’engendrer une race d’enfants tueurs extrêmement agressifs, allant “protéger” leur mère en détruisant tout ce qui pourrait lui nuire. Véritable aberrations génétiques, ces enfants ont une durée de vie limitée (possédant une poche de réserve de nourriture dans le dos), sont dépourvue d’organes génitaux et même de nombril, mais possèdent une force physique très impressionnante dû à l’état de rage de leur mère. Ces enfants sont les représentants d’une Nouvelle Chair, différente de l’Ancienne mais plus performante car génétiquement conçus pour un but unique qu’ils remplissent à la perfection.

 

 

The Brood a cette importance dans la filmographie de Cronenberg qu’il s’agit de son premier film véritablement personnel (tant sur l’origine autobiographique que sur le reste de la fiction) et pleinement maîtrisé. Car là encore le film ne montre pas qu’une évolution artistique (sujet plus aboutis, bonne utilisation de la tension, final encore plus froid et pessimiste…) mais également technique, comme ce fut le cas de Rage vis-à-vis de Frissons. Avec un budget encore plus confortable et plus d’aisance dans la mise en scène, Cronenberg peut désormais compter sur des effets spéciaux mieux conçus, malgré l’aspect aujourd’hui un peu rudimentaire des créatures de Nola. On note aussi que la musique possède une plus grande importance encore qu’autrefois. Exit les supervisions de Ivan Reitman et les musiciens non crédités, et place à Howard Shore, grand compositeur qui signe ici sa toute première collaboration avec le réalisateur, pour ensuite le suivre sur ses autres films.

 

 

Enfin, The Brood se voit doté d’une interprétation solide avec l’emploi d’acteurs tout simplement parfait dans leur rôle. On retrouve le regretté Oliver Reed, imposant et impressionnant, dans le rôle du Dr. Raglan, qui arrive à exercer sur le spectateur la même fascination que sur les patients du film (notamment lors de ses séances de thérapie où il endosse diverses personnalités), lesquels vont jusqu’à le vénérer. A ses côtés Samantha Eggar, comédienne confirmée, compose une Nola Carveth complètement hallucinée, tantôt apeurée, tantôt en pleine crise de démence, et lui confère une aura particulière. Parfois terriblement inquiétante, de la même manière que Marilyn Chambers l’avait fait dans Rage. Moins connu, Art Hindle incarne le mari de Nola mais surtout le porte-parole de Cronenberg et le point de vue du spectateur. Un personnage pourtant éclipsé par les deux acteurs précités, mais qui tire quand même son épingle du jeu, surpassant ainsi les interprétations plutôt fades de Paul Hampton et Frank Moore (respectivement dans Frissons et Rage) dans des rôles similaires (monsieur tout le monde confronté à l’inconnu et le rejetant en bloc). Au niveau des abonnés on note cependant l’absence de Ronald Mlodzick ainsi que de Joe Silver, mais le retour de Robert A. Silverman (qui jouait un rôle très bref dans Rage le temps de deux ou trois répliques), qui va revenir fréquemment dans d’autres films du réalisateur (Scanners, Le Festin Nu, eXistenZ). Un casting impeccable et très convaincant en somme, jusqu’aux enfants employés dans le film, que ce soit la petite Cindy Hinds dans le rôle de Candice où ceux de l’école maternelle (voir la scène du meurtre brutal de la professeur sous leurs yeux, leurs visages choqués étant plus vrais que nature).

 

 

Grande évolution du travail de Cronenberg, et cela sur tous les niveau, The Brood constitue une œuvre originale à l’histoire sombre et intelligente, mettant en scène des personnages certes communs mais aux relations décrites avec brio. Un film très intéressant marquant la fin du règne des seventies et l’entrée en scène d’un cinéma encore plus extrême pour les années à venir (ce que Cronenberg confirme par la suite en signant des œuvres telles que Videodrome ou Le Festin Nu). Sil fallait une preuve pour dire que le réalisateur canadien est un grand auteur, la voici.

 

 

 

5 comments to The Brood (1979)

  • Audrey Jeamart Audrey Jeamart  says:

    “The shape of rage”…comment façonner, donner corps à la haine, à la rage, à tout ce qui est enfoui. Samantha Eggar, si douce et belle dans L’Obsédé de Wyler, terrifiante ici. Une progression dramatique relativement classique, mais qui permet de se focaliser sur les vraies aberrations, celles du corps. Et ces gnomes terrifiants, progéniture maléfique et contre nature, responsables de la phobie des parkas à capuche. J’arrête, ma photo de couverture et mon pseudo sur les blogs parlent pour moi : je vénère ce film.

    • Adrien Vaillant Adrien Vaillant  says:

      Excellent choix de film de chevet !
      Et au passage, il est bon de revenir, et d’admirer, le Cronenberg d’autrefois, dont n’ont finalement pas conscience beaucoup de ceux qui ne connaissent que sa carrière moderne.

      • Audrey Jeamart Audrey Jeamart  says:

        C’est vrai que pour moi, Cronenberg, c’est ça, c’est une évidence. La réalité me revient parfois en pleine face, et je dis “Youhou, Cronenberg il a commencé au milieu des années 60 (allez, 70)”. Merci à toi de revenir aux fondamentaux !

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