ʽNamwolf
(2017)
“War is Hell”
ʽNamwolf est né d’un amusant quiproquo lors du HeroesCon 2014, durant une conversation entre le scénariste Fabian Rangel, Jr. et son ami, l’illustrateur Logan Faerber. Alors qu’ils entretiennent une discussion sur Predator et le cinéma d’action des années 80, ils dérivent sur les films de loups-garous et, quand le dessinateur évoque le génial Loup-Garou de Londres, l’autre comprend mal le titre: plutôt que An American Werewolf in London, il entend An American Werewolf in Vietnam. Tout le concept est là et le duo va s’amuser à en faire leur nouveau projet. Environ un an plus tard ils accouchent d’une petite copie ashcan (un prototype promotionnel) de huit pages qui présente personnages et intrigue. Le titre: ʽNamwolf, avec une apostrophe au début, ‘Nam étant la contraction populaire de “Vietnam” utilisée par les vétérans. Ils proposent la chose à quelques compagnies et certaines sont même intéressées, mais les deux artistes ne sont pas assez populaires pour garantir de fortes ventes et l’affaire est abandonnée. Cependant après s’être réuni avec succès pour un autre titre en 2016, Tribes, ils tombent sur une interview de l’estimé Eric Powell (The Goon) qui désire ouvrir son label à autrui.
N’ayant rien d’autres à faire à ce moment là, Rangel et Faerber tentent leur chance et propose leur ouvrage à Albatross qui l’accepte alors. Plusieurs changements seront effectués entre leur ashcan et la version définitive, comme des modifications dans le design du héros et du monstre, et un changement de direction sur le final afin d’offrir à l’histoire une note un peu plus dramatique, mais globalement ʽNamwolf reste tel qu’ils l’avaient envisionné et sort en 2017 avec quatre numéros qui se lisent si rapidement qu’il pourraient aussi bien n’être qu’un one-shot. A vrai dire il s’agit d’une des notes d’intentions des auteurs qui voulaient faire l’équivalent en bande-dessinée des films d’exploitations trouvables en vidéoclub – blaguant même en disant que si leur comic-book était un film, il serait un ersatz de Predator avec Bill Paxton à la place de Schwarzenegger ! Mais contrairement à la façon dont beaucoup s’inspirent du cinéma de genre, il n’y a ici ni mépris, ni caricature, ni effets de style décalés. ʽNamwolf ne donne pas de coups de code à ses lecteurs, évite le jeu des références ou les ruptures de ton bancales, préférant rester fidèle à son récit et à ses personnages. En gros ce livre ne se réclame pas de la série B: il fait de la série B.
Le récit démarre en 1970 et montre le jeune Marty Spencer, un gamin de dix-huit ans, partir pour la guerre au Vietnam. Son père se désole et lui proposerait presque de s’enfuir, mais ils n’ont pas le choix. Avant son départ, l’adolescent se voit remettre une lettre qu’il ne doit ouvrir qu’au “bon moment”. Pas plus d’indication même si on lui assure qu’il saura quand il devra la lire… Quelques heures plus tard le voilà largué dans la jungle avec d’autres soldats pour effectuer sa première patrouille: un sentiment de malaise le prend et ne le quitte pas, empirant d’heure en heure. Si ses camarades prennent cela pour de la frousse, Marty réalise que quelque chose cloche avec son corps. Et lorsque l’ennemi attaque la nuit venue, alors que la lune se montre pleine, il se métamorphose… Les pauvres Vietcongs qui pensaient profiter de son état de faiblesse se font mettre en pièces par le gigantesque loup-garou qu’il devient, mais il effraye du coup sa propre équipe et décide de s’enfuir lorsqu’ils essaient de s’en prendre à lui. Quand Marty se reprend sa forme humaine, il ne garde aucun souvenir de ce qu’il s’est passé. Il est retrouvé et capturé par les siens, puis jeté en cellule.
Confus, c’est là qu’il va lire la lettre de son père et découvrir la vérité: chez les Spencer on est loup-garou de père en fils, mais également soldat. Et l’éveil de la bête se déroule à chaque fois sur le champ de bataille, comme si la guerre réveillait le monstre caché en eux. Puissants et invulnérables, ils sont des armes vivantes pouvant changer le cours du conflit, gardant en eux assez d’intelligence pour ne pas attaquer aveuglement tout ce qui bouge. Hélas les temps change et l’apparition du loup-garou va entrainer de terribles conséquences. D’abord avec un sorcier vietnamien qui va répondre à ce nouvel adversaire en fabriquant ses propres monstres. Ses potions transforment quelques volontaires en créatures semblables à des chauves-souris monstrueuses dont les griffes et les crocs peuvent blesser le lycanthrope. Mais le gouvernement américain va lui-même exploiter le jeune homme, pratiquant sur lui des expériences afin de le transformer en chien de guerre. Drogué, découpé et soumis à un conditionnement similaire à celui d’Orange Mécanique (mais inversé), Marty est régulièrement jeté d’un hélicoptère dans des zones dangereuses où il fait le ménage.
On le récupère lorsqu’il redevient humain et vulnérable, et on recommence l’opération encore et encore. De quoi détruire sa personnalité, et une sacrée métaphore de la guerre du Vietnam où l’Amérique envoyait sa jeunesse à l’abattoir au nom d’un conflit compliqué et pas du tout dans l’intérêt dans sa population. Mais lorsqu’un jour il entend l’appel à l’aide de ses anciens équipiers par radio, il refuse de les ignorer et prend pleinement le contrôle de l’animal en lui afin de les sauver. Il devra non seulement affronter les abominations surnaturelles Vietcongs, mais également son double maléfique en la forme d’un autre loup-garou, créé par l’armée à partir de son sang et d’un soldat psychotique façon Tom Berenger dans Platoon… Alors si l’on peut reprocher à ʽNamwolf de ne pas faire preuve d’une grande originalité tant on retrouve là des éléments maintes fois utilisés aussi bien dans des histoires de monstres que de super-soldats, il faut quand même reconnaitre qu’ils s’emboitent ici parfaitement et semblent couler de source dans cette intrigue. Car ici la “malédiction” de la famille Spencer n’est pas que la lycanthropie mais aussi l’enrôlement militaire forcé.
La succession des conflits armés ne lui laisse pas vraiment la possibilité de briser la chaine et chaque génération se retrouve plongée dans l’horreur: Seconde Guerre Mondiale, Première Guerre Mondiale, et même quelque part en Écosse durant le Moyen-Âge. Pas étonnant que le père de Marty désirait aider son fils à fuir puisqu’il espérait qu’il soit le premier à briser le cycle et vivre en paix. Une belle manière de moderniser le mythe et cela permet de jouer avec les clichés du genre, comme lorsque ce sont les expériences du gouvernement qui engendrent un nouveau loup-garou à la place de la morsure traditionnelle, le comportement ultra féroce de celui-ci étant expliqué par la brutalité naturelle de l’hôte – une machine à tuer sanguinaire. Tout le contraire de Marty qui, profondément bon de nature, est capable de résonner et même de parler. Et si la mythologie de la bête n’est pas le sujet du récit, la narration fait un bel effort pour évoquer ses origines remontant à la nuit des temps et entretenir le mystère de son invulnérabilité: les monstres sont immunisés contre les armes, et une scène évoque Monster Squad avec l’explosion d’une roquette.
Mis en pièce mais toujours vivant, le loup se réassemble tel le T-1000 et aborde un nouveau look couturé, comme s’il revenait de chez le Dr. Frankenstein. Et voilà juste un exemple du fun que l’on retrouve dans ʽNamwolf. Le loup-garou tranche et mord mais sait encore se servir de son M16. Ses crocs poussent en imitant le bruit des griffes de Wolverine, et lorsqu’il décide de rentrer au pays, c’est à la nage et tant pis si ça lui prend du temps ! La narration officialise d’entrée de jeu le surnom de ʽNamwolf pour le protagoniste, qui est ensuite reprit par l’armée elle-même, et lors de l’épilogue se déroulant dans les années 80, un Marty vieillissant mais bad ass parodie le Batman de Frank Miller: “I’m the Goddamn ʽNamwolf”. Quand il s’évade de sa cellule alors que les démons attaquent la base, son sergent lui donne toute sa confiance: “Ain’t you never seen a monster movie, Doc ? Let’em fight.” – il vient ensuite le saluer pour acte de bravoure et le monstre réagit avec fierté. Et bien sûr la BD est un déluge de séquences gores: les corps tombent en tranches, les têtes sont arrachées ou épluchées quand elle n’explosent pas sous les balles… Nous sommes dans le territoire du R-Rated d’autrefois, violent, drôle, et où les antagonistes sont de vraies ordures.
On y croise plusieurs soldats portant des colliers d’oreilles ou s’amusant en incendiant des villages. L’opération visant à transformer Marty en une sorte de Captain America barbare est abject, montrant que les États-Unis n’a aucun respect pour son propre peuple, et le traumatisme qui en résulte n’est pas sans renvoyer à John Rambo, lui aussi $désabusé par son pays et sa manière de le traiter. Mais les Vietcongs ne sont pas des saints non plus, prêts à vendre leurs âmes et à se changer en gargouilles décérébrées pour l’emporter. Leurs guerriers s’éclatent à torturer et à jeter leurs prisonniers en pâture aux démons et le sorcier sacrifie son propre fils au nom de leur cause, le transformant sans avoir le moindre état d’âme. Fabian Rangel Jr., qui a déjà écrit sur les loups-garous avec Extinct, se montre très adroit dans sa façon de raconter tout ça et emporte le lecteur avec lui. Il y a peu de dialogues et le récit va au plus simple, allant droit au but tout en sachant créer l’atmosphère. L’enfer de la guerre, les troubles émotionnels du héros et le caractère surnaturel de l’histoire sont parfaitement retranscrit et sans la moindre lourdeur. Mais si l’on tourne les pages si vite ce n’est pas que grâce à l’écriture et il faut saluer le dessin et le découpage.
Tout comme les mots de son collègue, les illustrations de Logan Faerber vont à l’essentiel. Elles sont fouillées mais ne se perdent pas en détails parasites, ayant au contraire un petit côté cartoonesque leurs permettant de déformer la réalité quand cela arrange. Son trait est simple, léger et surtout ses cases évitent la mise en page tape-à-l’œil. Il n’y a pas de splash page, de cadres en triangles ou en ronds ni d’images qui se superposent. Juste une série de carrés et de rectangles simples qui s’enchainent avec une logique imparable. Aucune page n’est surchargées et le lecteur progresse ainsi rapidement – peut-être presque trop, et il faut savoir s’interrompre pour apprécier les images. Celles-ci bénéficient d’ailleurs grandement de la colorisation de Brennan Wagner qui, comme ses partenaires, ne cherche pas à faire compliquer ou à jeter de la poudre aux yeux. Ses tons clairs et légers mais précis. Et surtout ils soulignent ce qui est important à la lecture. Je m’en voudrais de ne pas mentionner les superbes couvertures, montrant des vignettes significatives prisonnières de silhouettes monstrueuses, qui résument parfaitement le travail des trois artistes.
Visuellement l’objet est splendide, ressemblant graphiquement à certaines production du label français Label 619 chez Ankama comme les excellentes anthologies d’exploitation DoggyBags, et la forme s’accorde parfaitement avec le fond. En un mot, ʽNamwolf est une réussite et sa lecture est vivement recommandée. Albatross ne s’est pas trompé en choisissant ce titre et la popularité de Eric Powell n’est nullement entachée par cette bande-dessinée de genre, tellement plus respectueuse de ses racines que les pseudo nanars volontaires qui nous inondent désormais comme, au hasard, WolfCop !
GALERIE
Commentaires récents