Le Retour des Morts-Vivants, le manga ! | Monthly Halloween #3 (1986)

ROAD TO HALLOWEEN VII

 

 

Monthly Halloween #3

Battalion – The Return of the Living Dead

(1986)

 

 

Oui, je sais. Comment un magazine peut-il s’appeler Monthly Halloween quand on ne célèbre Halloween qu’une fois par an ? Le fait est que cette revue n’a en réalité aucun rapport avec la fête de la Toussaint, le nom n’étant là que pour montrer son affiliation avec le genre Horrifique. Alors certes, ce n’est pas terrible de lancer ce Road to Halloween avec un faux représentant de la saison, mais si l’on regarde bien il y a une petite citrouille sur la couverture et la maquette fait l’effort d’écrire “Halloween” au milieu de tous ces kanji, donc en ce qui me concerne cela suffit amplement. Et puis ce n’est pas tous les jours que l’on peut parler de presse spécialisée venant d’Asie, d’autant plus qu’il s’agit là d’une publication réservée à un lectorat féminin ! Du shōjo comme on dit, mot que l’on a vite fait d’associer à des thèmes plus romantiques que terrifiants. Grossière erreur, surtout avec le Japon, comme le prouvent de multiples œuvres dont les graphismes mignons n’empêchent pas pour autant l’épouvante ou le sordide.

 

 

Fondé par la compagnie Asashi Sonorama (désormais Asahi Shimbun Publications), le canard vécu près de dix ans entre 1986 et 1995, troquant vite son titre original de ホラー・オカルト少女マンガ誌 (Horror Occult Shōjo Manga Magazine) pour celui de 月刊ハロウィン (Monthly Halloween) et donnant naissance à plusieurs hors séries et spin-off avant de rendre l’âme (Dark Moon, Halloween X). Parmi les auteurs ayant participé à l’aventure, citons quand même le légendaire Junji Itō, qui y présenta Tomie pour la première fois, et Ochzukenori avec son Manoir de l’Horreur. Mais le plus surprenant, et le plus intéressant, demeure cette incroyable adaptation du Retour des Morts-Vivants figurant dans le troisième numéro, réalisée spécialement pour faire la promotion du film lors de sa sortie en salle dans le pays. Une rareté jamais distribuée ailleurs, en tout cas jusqu’à ce qu’une bonne âme ne décide de partager son exemplaire sur Internet. Non pas avec un scan mais de simples photos des pages, ce qui est toujours mieux que rien.

 

 

Évidemment il n’existe aucune traduction officielle et la chose est tellement obscure qu’il y a peu de chance pour que quelqu’un en finance une via les groupes dédiés à cette tâche sur certains sites de hentai, mais quiconque connait l’histoire s’y retrouvera sans problème. Le manga représente les 65 premières minutes du film, s’arrêtant lors de la résurrection de Trash en zombette sexy afin d’encourager les lectrices à suivre le reste au cinéma. En revanche l’adaptation est loin d’être fidèle puisque condensée en cinquante pages avec plusieurs scènes et personnages passant à la trappe, et un parti pris esthétique qui s’éloigne drastiquement de l’ambiance punk originale. L’air de rien ce sont ces changements qui intriguent le plus et font le sel de cette version nippone, comme par exemple le sort réservé à Freddy et Tina, totalement différent sans doute pour surprendre les spectateurs potentiels lors de la projection. Ici la jeune femme est immédiatement tuée par le Tarman tandis que le garçon est victime d’un effet secondaire de son exposition au Trioxin: sa tête explose sans prévenir !

 

 

Point de Colonel Grove, l’action se centrant exclusivement sur la bande de loubards et les employés de l’entreprise de fournitures médicales. Pas non plus de d’ambulanciers, de chiens coupés en deux ou de policiers. Même Ernie l’embaumeur, pourtant l’un des meilleurs protagoniste, disparait complètement. En revanche la résurrection de Yellow Corpse est bien là, Tarman dévore le cerveau de quelqu’un et Trah danse toujours toute nue entre les tombes. La scène où un bras coupée mais toujours animé agresse Ernie est supprimée mais recyclée lors du siège de la morgue, Burt étant celui qui se retrouve agrippé à la place. Quant à Half Corpse, elle fait une demi-apparition (héhé), se retrouvant bien tranchée en deux lors de l’assaut des morts-vivants mais étant aussitôt abandonnée, son célèbre interrogatoire se retrouvant alors zappé. Spider est lui aussi en retrait, une partie de ses dialogues ayant été donné à Suicide, qui survit à la place de Tina. Les zombies sont eux un poil moins diversifiés (pas de nain !) mais aux moins ils crient toujours “Brain”, et en anglais !

 

 

Mais là où la différence se fait, c’est surtout au niveau des dessins. L’auteure de cette adaptation, une énigmatique Mari Eran (摩梨絵蘭) que je n’ai pas réussi à identifier, a pour le coup choisi de bien transposer le côté shōjo au projet, redesignant de A à Z ou presque l’univers du Retour des Morts-Vivants. Clu Gulager ne se ressemble évidemment pas, et si les personnages de Burt et Frank sont les plus reconnaissables puisque ayant simplement l’air de deux bonhommes d’âge moyen, la bande à Freddy subit un sacré ravalement de façade et devient parfois méconnaissable. L’identité de voyous branleurs du groupe (“This is a way of life !”) est complètement changé pour faire de chacun des jeunes séduisants au look BCBG typique de cette époque au Japon. Freddy et Tina, notamment, semblent venir d’un drama romantique pour adolescentes et rappelent beaucoup l’OAV Nineteen 19 ou des séries comme Juliette je T’Aime et Orange Road. Suicide est désormais un bellâtre aux cheveux longs fringué comme Max Rockatansky ou Kenshiro, et Spider est parfois limite féminisé.

 

 

Trash est désormais une femme fatale aux cheveux blonds, Chuck et Scuz (le mec en costard et le punk à crête) ont été fusionnés en un seul personnage affreusement générique, et Casey (la troisième fille qu’on a tendance à oublier) est un peu plus coquette mais pas tellement plus présente. Avec ce changement de style vient aussi l’exagération très manga des animations et des émotions, le réalisme se changeant subitement en cartoon ambulant lors de situations particulières. Ici cela se traduit souvent par des expressions amusantes de terreur ou de colère, manière peut-être pour l’artiste de faire passer le côté humoristique du film qui se serait un peu perdu dans le travail d’adaptation. Un choix clairement volontaire en tout cas, puisque lorsqu’elle veut se vautrer dans l’horreur, Mari Eran n’hésite pas: subitement les décors sont plus détaillés, glauques, et les zombies sont tous décomposés et hideux. Le gore est même poussé à l’extrême puisqu’ils n’hésitent plus à exploser les boites crâniennes pour s’emparer de la matière grise désirée.

 

 

Possible que John Russo trouverait beaucoup à redire de cette adaptation de sa tentative de succéder à La Nuit des Morts-Vivants, mais Dan O’Bannon s’en serait sans doute beaucoup amusé. Les modifications sont suffisamment légères pour conserver l’essence même du film tout en restant assez surprenantes pour donner envie de voir ce que l’auteure a transformée, et seule l’absence de conclusion peut faire preuve de défaut puisqu’il aurait été intéressant de voir sa réinterprétation de la célèbre conclusion apocalyptique de l’histoire. Malgré tout, cette version manga de Battalion, comme ils l’appellent au Japon, demeure très plaisante et suffisamment rare pour donner l’impression de découvrir un petit trésor. Les intéressés devront d’ailleurs pratiquer leur Google-fu pour mettre la main dessus, la chose n’ayant jamais été réédité depuis lors, pas même en tankobon (les fameux volumes de poche, comme on en trouve chez nous). Prière de ne pas avoir peur de trainer sur des sites de dōjinshi coquins, mais quelle est l’alternative ?

 

 

Certainement pas Revenge of the Living Dead en tout cas, un graphic novel paru courant Mars de cette année et dont les illustrations paraissent cheap à mort et le scénario prétexte et difficilement justifiable. A vérifier quand même s’il se montre un peu plus, mais en cette période de COVID-19, il demeure aussi compliqué à exhumer que ce Halloween Monthly datant d’il y a trente-quatre ans…

 

 

 

   

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