The Stuff (1985)

 

 

The Stuff

(1985)

 

Are you eating it ? Or is it eating you ?

 

 

Grande figure du cinéma Fantastique et de SF, Larry Cohen s’est de nombreuses fois illustré dans le genre, notamment en créant la célèbre série télé Les Envahisseurs. Scénariste et réalisateur, on lui doit des films aux idées généralement farfelues: s’imaginant les conséquences que pourrait engendrer une série de meurtres si elle était commise par un policier en uniforme, il accouche de la trilogie culte des Maniac Cop. En imaginant les ravages que pourrait faire un bébé en colère s’il était pourvu de dents et de crocs, c’est une autre trilogie, celle des It’s Alive (Le Monstre est Vivant) qui voit le jour, et en se promenant à New York, il s’imagine combien un gratte-ciel pourrait parfaitement convenir pour le nid d’un monstre ailé géant, livrant alors son Épouvante sur New York. Lorsqu’il n’offre pas deux des meilleurs films de Blaxploitation avec Fred Williamson, il critique le fanatisme religieux à travers Meurtres sous Contrôle (dont le titre original, God Told Me To, laisse mieux sous-entendre le cynisme de l’œuvre) et l’éducation militaire avec Uncle Sam. Bref, un véritable amoureux du genre qui, bien que désormais peu actif, tâche de se renouveler à chaque film.

 

 

Cette fois il est question d’une substance blanchâtre découverte par hasard dans une station de forage, et qui ressemble à de la crème. La chose ayant visiblement bon goût, elle est très vite mise sur le marché et remporte un succès national des plus important. Tout le monde raffole de ce dessert alors appelé “The Stuff”. L’industrie des produits laitiers, inquiète d’un tel succès pour sa propre entreprise, décide de faire appel à un espion industriel afin de trouver ce qui se cache derrière le phénomène du Stuff. Au même moment, un enfant voit le produit se mettre à bouger tout seul dans le frigo en pleine nuit…

 

 

Faisant preuve de beaucoup d’inventivité lorsqu’il opère dans le genre qui le passionne, Larry Cohen fait ici état d’un yaourt tueur et manipulateur. Si l’on peut bien sûr penser à la masse gélatineuse des The Blob, il y a une grande différence entre les deux. Car si le Blob est un organisme digérant tout ce qu’il recouvre, le Stuff se laisse manger pour mieux attaquer de l’intérieur.

 

 

Très loin de faire un simple ersatz du Blob, Cohen ne plonge pas dans le Fantastique pur et emploi un traitement semblable à sa série des Envahisseurs. Paranoïa, complots, ennemis pas directement identifiables, The Stuff suit exactement le même schéma avec pratiquement les mêmes personnages (l’enfant qui connaît la menace par hasard et que personne ne veut croire renvoi directement à David Vincent, le héros de la série). Une approche plutôt sérieuse sur le sujet donc, et ce malgré un décalage évident de par la nature de la menace et le caractère des personnages principaux ; que ce soit le héros, un type très décontracté quoiqu’il arrive et se surnommant lui-même “Mo” car ne pensant qu’à l’argent (money), ou bien Chocolat Chip Charlie, ancien président d’une entreprise de chocolaterie dont les poings sont enregistrés comme “armes mortelles”. L’occasion de scènes étranges, comme lors de cette interrogatoire par le héros d’un ancien employé qui semble être surveillé par son propre chien !

 

 

Plutôt que de complètement délirer sur la nature de son sujet, Cohen livre donc un récit proche du film à suspense, du polar, et en profite pour livrer une critique sur la société de consommation. La menace Stuff saute aux yeux par son omniprésence, que ce soit par le matraquage publicitaire (diffusion continuelle de spots télé, messages radio, affiches géantes), de la commercialisation (on vend du Stuff partout) ou par les consommateurs eux‑mêmes, nombreux à se jeter sur le produit. Bref tout le monde y passe, jusqu’au directeur de l’entreprise qui avoue n’avoir même pas goûté à son produit et ne pensant qu’au profit de l’affaire, se préparant même à lancer le “Taste” pour rester dans la course après les évènements du film.

 

 

Cette folie pour le Stuff (les consommateurs sont appelés les “Stuffers”, preuve du phénomène) s’explique par le fait que le produit exerce une influence psychique, rendant dépendant ceux qui y goûtent. La chose prend possession de ceux qui l’ingurgitent, qui deviennent en quelque sorte ses esclaves. Ainsi le yaourt attaque de l’intérieur au niveau organique aussi bien qu’au niveau social. Cette accoutumance provoque bien sûr des effets secondaires désastreux, outre la possession totale de l’esprit: les corps sont rongés au point de devenir creux. L’idée de la dépendance et de la mort à long terme n’est évidemment pas sans faire penser aux drogues, ce que la fin du film, un brin pessimiste, n’oublie pas de souligner en montrant des humains conscients du danger se procurer en cachette le produit, à l’identique d’un trafique de stupéfiants.

 

 

Altérant le corps humain pour mieux le contrôler, le Stuff n’hésite pas à déformer certains d’entre eux pour mieux passer à l’attaque, provoquant dans les effets spéciaux une certaine réminiscence envers ceux du The Thing de John Carpenter (auquel on pense aussi dans le sentiment de paranoïa et du fait que les protagonistes ne sont peut-être pas ceux qu’ils semblent être. A noter d’ailleurs la ressemblance des titres, The Thing – la chose, et The Stuff – le truc). Malheureusement le manque flagrant de budget ne permet pas d’excellents artifices et au final ces mutations sont assez rares et plutôt grossières. Il est même dommage de voir que, si un effort a tout de même été fournis en matière de mutations des corps, les effets sont coupés au montage, comme pour les dissimuler, si bien que cela entraîne parfois une impression de censure. De même lorsque le Stuff se met à se mouvoir par lui-même, bien que le rendu soit globalement satisfaisant et possède cette touche de sympathique que s’attire pas mal de films fantastiques et horrifiques des années 80. On peut heureusement mentionner de jolis éclatements de trombines lorsque les Stuffers se font percuter violemment, du yaourt jaillissant de leur corps à la place du sang.

 

 

Côté réalisation, Cohen mène bien son intrigue mais n’évite malheureusement pas les longueurs qui cassent le rythme. Si la partie ayant pour thème le complot autour du Stuff est intéressante, c’est plus la dernière demi-heure que l’on retient, où Cohen se lâche complètement en faisant intervenir un groupe de paramilitaires dont le chef se révèle être un patriote raciste et parano, que le héros flatte en lui faisant croire que la menace communiste qu’il redoute tant se cache derrière le phénomène du Stuff. Là, le film prend un second souffle, se permet de faire jaillir des litres de yaourt hors de ses cuves de stockage et de montrer des séquences aussi délirantes que l’arrivée en ville de la petite armée en taxis, l’ordre étant donné de payer les chauffeurs avec pourboire. Une manière pour Cohen de tirer à boulet rouge sur l’Armée et le patriotisme exacerbé, via une série de répliques très mordantes et hilarantes.

 

 

Cette dernière partie confirme l’idée que le film est une œuvre complètement barrée, assurant un spectacle des plus divertissant pour finalement se conclure sur une scène dans la continuité du début du film (plus polar que fantastique), les dirigeants de l’entreprise du Stuff se voyant obligés par le personnage principal jusqu’ici fanfaron et amusant, ainsi que le jeune enfant, d’avaler tout un stock de leur produit. Une vengeance froide et inattendue qui se révèle être un des meilleurs moments du film.

 

 

Très sympathique, The Stuff pêche toutefois par quelques défauts. Outre une baisse de rythme et des effets spéciaux gâchés par un montage parfois trop abrupt, le personnage du petit garçon se révèle finalement assez inutile à l’intrigue et aurait gagné à être moins présent. On note des hasards scénaristiques un peu poussés et on constate un manque d’information total sur la nature et le but du Stuff. Ces scènes furent tournées mais les producteurs imposèrent des coupes à Cohen. Comme il l’avoue lui-même, ces explications n’avancent en rien l’intrigue du film, mais elles auraient été là le bienvenu.

 

 

Niveau casting, Cohen reprend ici quelques-uns de ses acteurs fétiches et c’est avec grand plaisir que l’on retrouve l’excellent Michael Moriarty dans le rôle principal (déjà présent dans Épouvante sur New York), de même que l’habitué James Dixon qui vient faire une apparition dans un petit rôle comme d’habitude. A leur côté on trouve également Paul Sorvino (père de Mira Sorvino et déjà vu dans Les Affranchis de Martin Scorsese et Cruising de William Friedkin ) en militaire complètement barge.

 

 

Amusant, The Stuff est un film très original et surtout marqué par la folle imagination de son créateur, associant à la fois la nostalgie des vieux films de monstres grotesques des années 50, aux film à suspense des années 70. Une curiosité bien loin des standards conventionnels de l’époque comme on voudrait en voir plus souvent. Car comme le dit la publicité:

 

Enough is never enough

 

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