Ultra Q: The Movie
Legend of the Stars
(1990)
Il sera difficile d’expliquer à un occidental l’importance de la série Ultra Q, mais on pourra résumer en disant que sans elle, l’icône populaire qu’est Ultraman n’aurait sans doute jamais vu le jour. Ce super-héros capable de grandir à volonté est probablement le plus grand représentant du tokusatsu à lui seul, en tout cas à la petite lucarne, et est au moins autant responsable que le lézard atomique de l’importance qu’ont les monstres géants au Japon. Mais avant sa première apparition, il y a eu une sorte prototype (qui lui a en partie donnée son nom) fonctionnant sur le même principe: chaque épisode présentait une créature gigantesque et menaçante à travers une orgie de petites maquettes et de costumes en caoutchouc, et cette fois point de robots extraterrestres pour régler le problème. Préfigurant un peu les X-Files, le show montrait un trio de journalistes enquêter chaque semaine sur les phénomènes paranormaux dans une ambiance parfois pas loin du film d’horreur.
Bon, en réalité l’ambiance générale était une véritable girouette et les histoires comiques ou parodiques côtoyaient sans problèmes les intrigues plus tragiques ou paranoïaques, mais dans tous les cas la chose fit son petit effet à l’époque, bien aidée il est vrai par une générique d’ouverture réussi. Si elle avait continuée quelques années supplémentaires on aurait sans doute pu la considérer comme un équivalent nippon de La Quatrième Dimension, mais les producteurs changèrent leur concept afin d’entrer dans un cadre plus familiale et ainsi agrandir leur audience: la couleur remplaça le noir et blanc, l’action se substitua au mystère et surtout un extraterrestre étincelant prit la place des reporters humains. Pari réussi puisque la franchise persiste encore de nos jours tandis que Ultra Q est pratiquement oublié de toutes les mémoires malgré de minuscules retours durant les années 2000 (Ultra Q: Dark Fantasy) et 2010 (Neo Ultra Q).
Des tentatives ratées, ne recapturant jamais l’atmosphère de l’original, auxquelles ce rajoute cette version cinéma plutôt obscure réalisée en 1990, soit au tout début de ce que l’on nomme l’ère Heisei. Une période de modernité pour le tokusatsu, qui généralement se débarrasse de l’aspect kitsch et rétro des décades précédentes pour embrasser un réalisme plus sombre. Godzilla redevient un monstre, Gamera n’est plus vraiment l’ami des enfants et Ultraman… traverse une bien mauvaise passe depuis sa dernière incarnation en 1981. Tsuburaya Productions semble peiner depuis la conclusion de l’ère Shōwa et les apparitions de son héros deviennent occasionnelles: quelques dessins animés destinés aux plus jeunes (Ultraman Graffiti, Ultraman Kids), deux films (Ultraman Story, Ultraman Zoffy) et c’est à peu près tout sur une bonne dizaine d’années. Difficile de comprendre pourquoi la compagnie décida de ressusciter Ultra Q à ce moment là…
Mais l’idée tombe plutôt bien car si Ultra Q pouvait être vu comme un précurseur des X-Files, Ultra Q: The Movie pourrait aussi bien en être le prologue puisque trois ans plus tard la série américaine provoquera un engouement international pour les soucoupes volantes, les conspirations et l’Étrange. D’ailleurs c’est exactement sur ces éléments que le long métrage se concentre, faisant presque abstraction du monstre géant qui n’apparait ici que deux ou trois fois, très brièvement. Le scénario lui préfère une lente exploration du folklore japonaise, qu’il recontextualise dans un cadre très contemporain tout en y injectant des éléments de science-fiction. Les journalistes y croisent un culte limite Lovecraftien, enquêtent à propos de morts inexplicables et font une rencontre du Troisième Type tout en réalisant que leurs contes et légendes n’ont rien de fictif. Toute la formule de Chris Carter se retrouve donc ici et sans le moindre second degré.
Cela ne plaira sans doute pas aux puristes, mais à l’époque il ne devait plus y en avoir beaucoup. Cela permet également aux producteurs de se distancer un peu d’Ultraman et de proposer une aventure unique et adulte qui s’éloigne des schémas habituels des kaiju eiga. On pourra arguer que c’est peut-être pour cette raison que l’équipe initiale en charge du projet, le réalisateur Shusuke Kaneko et le scénariste Kazunori Ito, qui accoucheront de la géniale trilogie Gamera, fut remplacée. A leur place vient le cinéaste Akkio Jissoji, un fidèle de la Tsuburaya depuis les années 60 qui a justement débuté sa carrière avec un documentaire sur Ultra Q, et notamment metteur en scène du live action Tokyo: The Last Megalopolis ainsi que de plusieurs adaptation de romans d’Edogawa Rampo. Et avec lui Mamoru Sasaki, également un partenaire de longue date de la firme qui a travaillé plusieurs fois avec le subversif Nagisa Ôshima, auteur de L’Empire des Sens et de Furyo.
Si l »un comme l’autre ont une longue expérience avec Ultraman, ils possèdent aussi ce côté “cinéma d’auteur” sérieux et respectable qui va être mis en avant pour l’occasion, peut-être dans l’espoir que le film se fasse remarquer. Et cela signifie que Ultra Q: The Movie ne fait pas dans la SF pop et divertissante, mais plutôt la gonflante et prétentieuse. A la manière de Star Trek: The Motion Picture, l’inspiration 2001: L’Odyssée de l’Espace est évidente, et ça dès les premières minutes avec l’image d’un fœtus humain visible à travers un magatama. L’histoire intellectualise tout, demande une forte connaissance en géographie et mythologie japonaise et relance le débat “traditionnalisme contre modernité” en opposant le passée, vue comme sacrée, à la société actuelle qui pollue, exploite et détruit l’environnement. Et si le cœur du récit demeure fondamentalement simple, il est inutilement complexifié pour lui donner plus de crédit.
L’intrigue commençait pourtant bien avec ces phénomènes inexpliqués ayant lieu sur différents sites archéologiques. Une créature monstrueuse sort de terre pour détruire un chantier, un pilleur de tombe est assassiné avec une arme inconnue et un industriel pensant construire une station de ski sur un endroit protégé connait le même sort. Hamano, un journaliste, commence à faire le rapprochement entre ces faits divers puis disparait mystérieusement alors qu’il mène l’enquête. Ses collègues se lancent à sa poursuite et découvrent qu’une alien, Wadatuzin, est à l’origine de toutes ces attaques. Son but n’est cependant pas de détruire notre au planète mais au contraire de la protéger, chacun de ses actes n’ayant pour but que de préserver des endroits qu’elle considère importants. Nos héros apprennent alors que de nombreuses légendes du pays sont liées à l’affaire, toutes mettant en scène les descendants d’une race extraterrestre s’étant installée sur Terre.
Hamano est justement l’un d’entre eux et a décidé de plaquer son ancienne vie pour rejoindre une secte vivant près de Eternity Island, dernier bastion de ces adorateurs de la Nature. Ses trois amis vont-ils l’autoriser vivre en paix et protéger son secret, ou vont-ils laisser les autorités et les médias envenimer la situation ? Un dilemme intéressant qui s’éternise beaucoup trop, le film s’étirant sur presque deux heures en répétant un peu trop souvent les mêmes choses. Il y a beaucoup trop d’îles, de péninsules, de préfectures et de temples à mémoriser, certains n’étant cités qu’en coup de vent avec une gravité qui leur donne de l’importance sans que ça ne soit le cas. On se perd vite dans les différentes pistes que suivent les protagonistes, nombreuses et semblables, et n’ayant finalement qu’un impact mineur sur les évènements. Et au final on fini par s’y emmerder un peu dans ce Ultra Q: The Movie, monstre géant ou pas.
Passée les quarante premières minutes, les choses commencent à stagner, se répéter, et le script fini par agacer à force de se vouloir intelligent en multipliant les références: sont évoqués les princesses Kaguya et Totoyama, la déesse Benten, Urashima Tarō et le Palais du Dragon, mais aussi les asparas, ces danseuses célestes qui prennent aussi le nom de tennyo ou tennin selon la Chine, l’Inde et le Japon. Tout ça pour finalement se retrouver avec dix crétins en robes blanches prétendant descendre de ces êtres légendaires sans jamais rien faire d’autre que ce réunir une fois de temps en temps pour entamer une danse interprétative un peu idiote sur la plage. Non pas que le concept soit mauvais, au contraire, l’idée que la mythographie devienne une science exact est plutôt passionnante, mais c’est amené avec tellement de lourdeur pour un résultat minimal qu’il en devient décevant. Et les séquences de tokusatsu alors ?
Il est évidement qu’elles n’étaient pas une priorité, apparaissant sporadiquement au fil de l’intrigue et toujours succinctement, mais elles raviront évidemment les fans. La véritable apparence de Wadatuzin par exemple est un croisement entre la Maria de Metropolis et la statue d’une divinité hindoue. C’est aussi un clin d’œil appuyé à Ultraman puisqu’il s’agit d’un humanoïde métallique capable de voler et de lancer des rayons mortels avec ses mains. Pour commettre ses méfaits elle préfère prendre l’apparence d’une statuette dogū de taille humaine, crachant un jet d’eau d’une si forte pression qu’elle peut faire briser la pierre. Inutile scénaristiquement , cette seconde forme demeure visuellement frappante et très esthétique, et apparait régulièrement dans en arrière-plan sous la forme d’une ombre effrayante lorsque le suspense est à son comble. Et bien sûr il y a Nagira, le dragon marin lui servant d’arme ultime.
Il est plutôt cool, avec ses longues cornes fines servant de paratonnerre qui lui permettent de cracher une charge d’énergie comme Godzilla. De l’ultra kaiju pur jus qui ne cache pas son inspiration évidente de la célèbre créature d’Inoshirō Honda, et d’ailleurs la musique imite celle d’Akira Ifukube aussitôt qu’il apparait à l’écran. Ses yeux quasi “humains” sont assez bizarre cependant, même si le fait qu’il puisse les cligner est un chouette détail, et les dernières images du film présentent cette idée géniale qu’il n’est pas du tout le dieu marin qu’on pourrait le croire, mais en réalité une créature biomécanique à la H.R. Giger faisant partie intégrante du vaisseau spatial de Wadatuzin. Bien sûr la Tsuburaya n’est pas la Toho (ni même la Toei) et la qualité des maquettes et de la suitmation demeurent plutôt limités, les décors étant vides, peu élaborés et souvent perdus derrière des écrans de fumées. Du travail télévisuel, pourrait-on dire.
Tout cela est amplement rattrapée par l’incroyable mise en scène d’Akkio Jissoji, toujours à la recherche du plan qui claque et du cadrage créatif. Pratiquement chaque image se veut esthétique ou atmosphérique, comme ce portail Torii donnant sur une île mystérieuse, cet écriteau Sea God sur la façade d’un immeuble plongé dans la pénombre ou ces spots de lumières remplaçant les arbres d’une forêt de bambous. Il sait aussi comment montrer la pollution, comme avec ces cheminées d’usine cachant la vue du Mont Fuji et ces ordures s’éparpillant partout lors du décollage du vaisseau alien. Une merveille qui pour le coup bénéficierait vraiment du traitement Blu-ray avec tous ces jeux d’ombres, de lumières et de couleurs. Du bon travail qui se retrouve aussi dans la musique, pas loin des compositions expérimentales que Mark Snow livrera pour X-Files mais rappelant aussi beaucoup les sonorités flippantes de Christopher Young dans Hellraiser et La Revanche de Freddy.
Bref, il y a plein de chose à aimer dans Ultra Q: The Movie, comme cet instant où les membres de la secte quittent silencieusement leur village natal racheté par des hommes d’affaire, tandis que derrière eux Nagira ravage tout, ou la conclusion ultra pessimiste montrant l’extraterrestre abandonner notre monde par dépit, embarquant avec elle quelques heureux élus sur son Arche de Noé. Mais les rares fans d’Ultra Q ne s’y retrouveront pas nécessairement malgré la reprise sympathique du générique des 60s et la présence du trio de journalistes. Ceux-ci sont finalement très en retrait, remplacés par Hamano durant la première moitié du film. Lleurs acteurs n’ont aucune alchimie et on ne sent pas non plus la moindre complicité entre les personnages: Yuriko, la fille du groupe, aurait pu être coupée au montage tant elle n’apporte rien, le jeune Ippei est désormais un petit con arrogant et seul Manjome, leur sempai, est pro-actif.
On pourra au moins s’amuser de les voir devenu reporters pour la télévision plutôt que les journaux, évolution des mœurs oblige, et l’étrange romance entre Manjome et Wadatuzin à la fin du film sort tellement de nulle part qu’elle rappelle un peu la naïveté des sixties. Au final on préfèrera quand même s’en tenir au sixième épisode de la série originale, Grow Up Little Turtle, qui certes adaptait la légende d’Urashima Tarō de la façon la plus enfantile et non-sensique possible, mais demeurait charmant à sa manière. Le sous-titre du film, The Legend of the Stars, semble impliquer que d’autres longs métrages étaient à prévoir, mais cela ne fut jamais le cas, Tsuburaya Productions retrouvant à la place son super-héros favori à la télévision avec les séries Ultraman: Towards the Future, coproduite avec l’Australie la même année, et Ultraman: The Ultimate Hero en 1995, cette fois en partenariat avec les États-Unis.
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