Transformers
(2007)
Si j’ai évité parler de Transformers jusqu’à maintenant, c’est avant tout parce que les origines de la franchise sont un sacré merdier compliqué à expliquer. Le public ignorant aura vite fait de penser qu’il s’agit d’une création américaine originale, mais la vérité est plus complexe que ça. Car à la manière de Power Rangers qui américanisait la série japonaise Super Sentai en jetant ses intrigues et personnages aux orties pour n’en conserver que les designs, Transformers fut d’abord prévu comme la version occidentale de jouets nippons. Seulement ce n’est pas une seule ligne qui fut recyclée, mais plusieurs, principalement Diaclone et Microman du fabriquant Takara Tomy. Deux séries à base de mechas et de robots se combattants les uns les autres. Cependant, à la manière d’une collection bootleg bouffant à tous les râteliers, cette nouvelle déclinaison trouva le moyen d’assimiler des éléments provenant d’autres créations faites par d’autres marques comme Toy Box, Toyco et même Bandai. Bonjour l’anomalie légale.
A ce titre, si Hasbro a su trouver un moyen de valider ses acquisitions sous une même enseigne, certains robots furent parfois interdit de vente dans divers pays pour d’obscures raisons de droits. Pour rendre les choses encore plus confuses, le Japon décida d’adopter le résultat malgré l’existence des originaux chez eux, produisant même à leurs tours quelques dessins animés et personnages, tandis que Microman se permis de récupérer certains concepts US pour les incorporer dans son propre catalogue. Tout ça, c’est sans compter sur la participation de Marvel Comics, commandité par Hasbro pour développer une histoire et nommer les personnages. Ce qui signifie que les gentils Autobots et les méchants Decepticons firent un temps partie de l’univers de Spider-Man, bossant à l’occasion avec le SHIELD et quelques super-héros de passage. Ne mentionnons surtout pas Marvel UK, label exclusif au Royaume-Unis et doté d’une certaine liberté créative lui permettant d’inventer ses propres monstres et cyborgs qui se promenèrent d’une propriété intellectuelle à l’autre, de Doctor Who à Ghostbusters.
Quiconque fera des recherches sur le personnage de Death’s Head risque de s’en sortir avec une sacré migraine. Et des migraines, la déclinaison cinéma de Transformers en aura causé beaucoup, la faute principalement à son architecte Michael Bay, pape du blockbuster beauf et bourrin. Si sa culpabilité quant à la mauvaise qualité de la saga ne fait aucun doute, rejeter la faute sur sa seule personne serait toutefois une erreur, car à l’origine tout vient du producteur Don Murphy, l’un des génies derrières les adaptations de Double Dragon et de La Ligue des Gentlemen Extraordinaire, dont le rêve était de produire un film sur… G.I. Joe. En pleine administration W. Bush, durant la guerre en Irak. Autant dire que Hasbro lui demanda gentiment de choisir autre chose et il sélectionna alors Transformers. Steven Spielberg lui-même s’intéressa au projet et ramena sa fraise, proposant quelques directions pour mettre les choses en route, dont notamment l’angle “un garçon et sa voiture” qui est au centre de l’intrigue.
Cela commençait donc plutôt bien, jusqu’à ce que le réalisateur de Jurassic Park décide d’engager ces idiots d’Alex Kurtzman et Roberto Orci pour pondre le scénario, deux arnaqueurs sans imagination dont le seul talent (autre que de voler des idées) est de charmer les investisseurs avec leurs belles paroles. La série Star Trek ne s’en est d’ailleurs toujours pas remise. D’un autre côté ils étaient plutôt à plaindre sur le coup, puisque partagé entre deux feux: d’un côté la vision tout public de Spielberg, de l’autre celle de Murphy qui voulait un ton sérieux proche du film catastrophe. C’est avec un script pas terrible sous le coude (les robots ne parlent pas !) que le papa d’E.T. proposa la mise à scène à Michael Bay, lequel déclina d’abord l’offre, peut enclin à filmer un spectacle pour enfants à base jouets. Il fini par céder après insistance, non sans réécrire le scénario au passage afin d’y apposer sa griffe. L’ironie ? Il ajouta de nombreux passages mettant en scène l’armée, dont un groupe de soldats clairement inspiré de G.I. Joe !
Le résultat est une tambouille indigeste de 2h23 qui combine tous les défauts de ses créateurs. Une aventure interminable multipliant les personnages secondaires et donnant trop d’importance à des sous-intrigues insignifiantes, cherchant à combiner le sérieux mortuaire voulu par Don Murphy avec l’humour vulgaire du metteur en scène. Il ne reste que peu de place pour les Transformers eux-même dans tout ça, lesquels se retrouvent surtout dans un rôle de soutien pour les protagonistes humains au lieu de tenir la vedette. Et quand bien même l’intrigue tourne autour de leur lutte pour l’obtention d’un Cube cosmique capable de changer notre technologie à leur image, ils ne font que des apparitions sporadiques ici et là en attendant le grand final. Leurs personnages sont pour ainsi dire inexistant et parfaitement interchangeables, à l’exception d’Optimus Prime et de Bumblebee, les plus reconnaissables et les seuls à vraiment interagir avec le reste du casting.
Au moins la mythologie demeure reconnaissable: sur Cybertron, deux factions se livrent une guerre afin de récupérer le All Spark, un artefact qui serait peut-être à l’origine de la Vie dans l’univers. Lors du conflit, la planète fini par être détruite et les survivants s’éparpillent à travers le cosmos, toujours à la recherche de l’objet mystique dans l’espoir de recréer leur monde. Megatron, le leader des Decepticons, retrouve sa trace sur Terre mais échoue au Pôle Nord où il fini congelé. Des siècles plus tard ses alliés débarquent, prenant la forme de véhicules ordinaires pour rester caché, et attaquent des bases de l’armée américaine afin de pirater leur réseau informatique pour localiser leur chef et le Cube. Leur seule piste est Sam Witwicky, un adolescent dont l’ancêtre explora le cercle arctique et exhuma le Transfomer maléfique, récupérant les coordonnées menant à la relique. Heureusement Bumblebee, un Autobot, intercepte le garçon avant eux et fait appel à ses camarades pour le protéger.
Un tel point de départ promet de belles bagarres entre un tas de robots, et pourtant ce n’est pas du tout dans cette direction que le film se dirige puisqu’il présente à la place deux intrigues plus conventionnelles qui finissent par se réunir en cours de route. D’un côté nous avons les déboires du Pentagone, bien embêté par les attaques à son encontre qui provoquent un incident internationale et place des pays comme la Chine, la Corée et la Russie sur le pied de guerre. Le secrétaire à la Défense réuni une bande d’informaticiens chargés d’analyser la menace tandis qu’au Moyen-Orient, un groupe de soldats mené par le Capitaine Lennox se la joue Predator avec un scorpion mécanique se déplaçant sous le sable du désert. Ayant été témoin de la menace robotique, ils sont ciblés par les Decepticons qui ne comptent pas ébruiter leur présence… Un côté série B plutôt sympa qui hélas se limite à bien peu de choses: l’attaque surprise de la base et l’affrontement musclé contre l’arachnoïde.
Passé ces deux scènes d’action, absolument rien ne justifiait la perte de temps que provoque cette partie de l’histoire. De longues minutes sont dédiées à l’étude de fichiers numériques tandis que l’anarchie règne dans la chaîne de commande, et tout cela aurait pu sauter au montage sans affecter la suite des événements. Le seul intérêt de la chose, outre les fusillades et les explosions, est l’introduction de la mystérieuse Section 7, sorte de Men In Black ayant déjà récupéré le All Spark et la carcasse de Megatron qu’elle étudie depuis maintenant des décennies. Encore une fois cela n’amène à rien d’important et sert surtout d’excuse afin de réunir tout le monde au même endroit pour le dernier acte, mais l’idée des expériences menées par le gouvernement demeure sympathique: en exploitant la puissance du Cube, ils peuvent créer de mini Decepticons à partir de technologie lambda comme un téléphone portable. Une idée qui permet la transformation inattendue d’un distributeur de canettes et d’une X-Box.
L’autre trame s’intéresse au cas de Sam, jeune homme queutard mais pétochard qui ne rêve que de deux choses dans la vie: avoir une belle bagnole et une belle copine. Lorsqu’il déniche Bumblebee sous la forme d’une vieille Camaro défoncée, il tente aussi sec d’emballer la sublime Mikaela mais va se retrouver malgré lui au centre de la guerre entre Autobots et Decepticons. Le concept était clairement de faire dans la comédie pour ado très à la mode depuis American Pie et les enjeux graves précédemment mis en place cèdent la place à des blagues vaseuses, de la romance bâclée et de l’humour slapstick mal venu. Bumblebee fait le coup de la panne d’essence pour permettre à son conducteur d’emballer la demoiselle, la maman de Sam pense que son fils se masturbe lorsqu’il communique secrètement avec les robots depuis la fenêtre de sa chambre et l’héroïne tombe amoureuse d’un claquement de doigt sans que son prétendant n’ai fait quoique ce soit pour la faire craquer. D’ailleurs c’est à peine s’ils prennent le temps de se connaître.
Les Autobots, eux, ne débarquent qu’au bout d’une bonne heure pour finalement rester en arrière-plan après avoir expliqué la situation aux spectateurs, et la première chose qui en pâtit et la relation Sam / Bumblebee qui est censée être le cœur du film. Certes les deux se sauvent mutuellement la vie et les dialogues laissent à penser qu’ils tiennent l’un à l’autre, mais pratiquement rien à l’écran ne témoigne de cet attachement. En fait le robot ne parle même pas, probablement une vestige du script original de Kurtzman et Orci, et communique via des messages venant de sa radio. La seule chose un tant soit peu Spielbergienne qui subsiste dans tout ça, c’est l’image de cette petite fille observant un Transformer émerger de la piscine de son jardin, durant la nuit. Le réalisateur, lui, préfère montrer un robot pisser de l’huile sur un agent du gouvernement pour l’humilier ou envoyer une sorte de Gremlin métallique arracher le pantalon du héros car les caleçons ridicules le font apparemment bien rire.
Une grand mère Black tend le majeur à son arnaqueur de fils, George W. Bush exhibe ses chaussettes rouges en gros plan et le Capitaine Lennox doit peloter les fesses d’un collègue en pleine bataille pour trouver sa carte de crédit et passer un appel en PCV au quartier général. Bref, c’est du Michael Bay pur jus avec toute la stupidité que cela implique, son humour tournant toujours autour des mêmes thèmes: les gros, les homosexuels, les minorités ethniques à fort accent, le sexe et le pipi. Même les plus tolérants verrons leur patience être mise à rude épreuve: Sam avait-il vraiment besoin d’un Chihuahua nommé Mojo avec une patte dans le plâtre ? Jazz avait-il vraiment besoin de se présenter en lançant “What’s cracking, little bitches” ? La bimbo analyste qui ne sert à rien avait-elle vraiment besoin d’un sidekick obèse et hystérique ? Le pire étant que tout ceci est la définition de Michael Bay d’un cinéma “adulte”, par opposition aux Transformers qu’il trouve être puériles. Alors bien sûr cela va parfois si loin que, inévitablement, il est possible de rire une fois ou deux.
J’avoue sans honte avoir gloussé lorsque le mini Decepticon infiltre la chambre de Sam avant de sursauter en tombant nez-à-nez avec un poisson rouge dans son bocal. Mais ce sont bien les “jouets” qui méritent l’attention, puisqu’ils se montrent autrement plus divertissant lorsqu’ils sont enfin utilisés: course-poursuite sous fond de gros rock entre Barricade et Bumblebee en forme de voitures, baston de robots géants sur l’échangeur d’une grande autoroute, guerre ouverte en plein centre-ville… Starscream se croit dans Macross et se transforme dans les airs pour affronter un escadron de F22, Optimus Prime et Megatron grimpent aux gratte-ciels façon King Kong tandis qu’un petit robot infiltre Air Force One en se déguisant en chaine Hifi avant de se prendre pour un ninja et tuer quelques G-men avec des shurikens. Et que dire de Barricade qui, sous forme de véhicule de police, remplace la devise “To protect and to serve” en “To punish and to enslave” ! Puis bien sûr on y caresse le fan dans le sens du poil avec quelques références…
Le doubleur Peter Cullen reprend à la perfection le rôle d’Optimus, le logo des Autobots est visible un peu partout, le slogan “More than meet the eye” est utilisé dans réplique et Sam pense que les Transformers viennent du Japon vu leur avancée technologique. Les affrontements osent même être violent, sans doute à la demande de Don Murphy, ce qui n’est pas sans évoquer le film Transformers original de 1986: Optimus décapite ses adversaires, Bumblebee perd ses jambes dans un bombardement, Jazz est coupée en deux par un Decepticon plus grand que lui… Quel dommage alors que ces combats se résument à une bouillie numérique où il est impossible de dire quel robot apparaît à l’écran ! La faute à leur rapidité et à la caméra qui les suit de trop près, rendant parfois l’action illisible, mais aussi à leurs designs surchargés. A la différence des dessins animés ou des comics qui donnaient aux personnages des formes simples, les informaticiens responsable de leur animation ont voulu pousser à fond l’enveloppe du détail et du réalisme mécanique.
Chaque Autobot et Decepticon présente ainsi des centaines de petits éléments en mouvements un peu partout sur le corps, leur donnant parfois presque des allures de monstruosités Lovecraftiennes indescriptibles. Difficile de trouver les visages, de déchiffrer les expressions faciales et parfois même de savoir si l’on regarde le devant ou le derrière d’un Transformer tant tout se ressemble. Peu de diversité également dans les colories, et si l’on peut identifier celui qui est jaune de celui qui est vert, la plupart abordent les mêmes tons gris métallisés ! En gros, ils sont devenus des drones dépourvus de caractères et de signes distinctifs, et leur sort n’a plus vraiment d’importance. Certains meurent, d’autres survivent, et le spectateur confus n’en éprouvera aucune émotion. Et passe encore que la seconde forme de Bumblebee ne soit plus une bonne vieille coccinelle, mais pourquoi changer celle de Megatron (un pistolet géant) pour un avion à réaction identique à celui de son sous-fifre Starscream ?
Seules les transformations elle-même bénéficient de cette surcharge visuelle, paraissant encore aujourd’hui très impressionnantes grâce au boulot impeccable des studios ILM, mais on ne pourra que remercier Spielberg d’avoir conseillé à Michael Bay de n’utiliser les CGI qu’un minimum et d’utiliser au maximum les effets mécaniques en cours de tournage. Celui-ci alla jusqu’à contacter l’armée ainsi que la compagnie General Motors pour avoir accès un tas de grosses machines, civiles ou militaire, ce qui, associé à sa mise en scène outrancière (musique pompier, caméra aérienne, gros ralentis, explosions gigantesques et acteurs prenant la pose devant la caméra), donne l’impression que Transformers pue le fric. Cela permet au film de gagner amplement ses galons de gros blockbusters, du genre à faire baver d’envie un Roland Emmerich, là-dessus au moins il n’y a pas tromperie sur la marchandise. Cet excès, on le retrouve évidemment dans le casting, plutôt hétéroclite.
Dans le rôle de l’insupportable Sam Witwicky, c’est le tout aussi insupportable Shia Lebouf, acteur que personne n’a jamais vraiment aimé et dont la carrière à Hollywood fut finalement de courte durée. Celui-ci parvient aisément à flouter la ligne entre l’acteur et le personnage, se montrant agaçant et sans charisme sans que l’on sache si cela est voulu ou non. A ses côtés une jeune Megan Fox qui n’a malheureusement rien à faire si ce n’est de faire la potiche. Le film élude complètement son personnage et la pauvre se contente d’être jolie, ce qu’elle fait très bien. Michael Bay en est bien conscient et attarde parfois la caméra sur son corps, multipliant les vues plongeantes sur son décolleté. De quoi nous permettre de survivre entre deux attaques de robots. Inutile aussi le pauvre Josh Duhamel, pseudo G.I. Joe sympathique qui aurait pu faire un meilleur héros s’il ne disparaissait pas pendant un bon tiers du film. Tyrese Gibson, lui, aurait apparemment payé les producteurs pour avoir un rôle !
S’il n’est pas mauvais, s’y trouvant même plus crédible que dans les Fast & Furious, il demeure l’un de ces protagoniste ne servant qu’à faire du remplissage. Même chose pour ce pauvre Zack Ward, complètement inexploité, pour Jon Voight, qui reste professionnel et donne le meilleur de lui-même (sortant même le fusil à pompe le temps d’une scène) ou encore feu Bernie Mac, qui nous fait son numéro habituel pendant dix bonnes minutes là où trente secondes auraient dû suffire. Peter Jacobson au moins ne s’éternise pas en professeur totalement blasé. Anthony Anderson persiste et signe dans son registre d’Eddie Murphy grassouillet, et enfin il y a John Turturro, acteur habituellement irréprochable qui a pourtant décidé de partir en roue libre, cabotinant à mort et devenant vite difficile à supporter. De son propre aveu, il s’est inspiré du comportement de Michael Bay pour jouer son personnage ! Si c’est la vérité, cela expliquerait beaucoup de choses… Mais pas comment Transformers a pu être un si gros succès au box office.
Car si de nos jours la réputation de la franchise est sacrément entachée, le film rapporta tant d’argent qu’il fut en fait l’un des plus profitables de l’année 2007 et permis à Michael Bay et ses âmes damnées de produire d’innombrables suites sur les dix années qui suivirent. Des séquelles que la critique descendit en flèche et que l’audience rejeta en bloc jusqu’à ce que Hasbro ne décide de presser le bouton reboot avec Bumblebee, mais qui pourtant se contentèrent de refaire exactement la même chose. D’ailleurs chaque nouveau film se montra très profitable, preuve peut-être que la notion de qualité est finalement inutile à Hollywood, et il fallu attendre que le metteur en scène tente d’appliquer la même formule aux Tortues Ninjas pour en trouver les limites. Alors oui, on pourra toujours le pointer du doigt pour avoir engendré cette montagne de fumier, mais bon sang si Steven Spielberg avait fermé sa grande gueule, les choses auraient sans doute été bien différentes !
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