The Curse of Dracula (1998)

 

The Curse of Dracula

(1998)

 

 

Quand, dans les Seventies, l’horrible Comics Code Authority commença à s’assouplir et à être plus permissif concernant l’utilisation d’éléments horrifiques dans la bande-dessiné, tout le monde sauta sur l’occasion pour ramener leurs monstres préférés alors relégués au placard depuis la fin des année 50. Marvel notamment bondit sur l’occasion pour ressusciter le genre avec de nombreux titres et personnages modernisant les créatures d’autrefois: ce sont Morbius le Vampire Vivant, Manphibian, une version extraterrestre de la Créature du Lac Noir, le lycanthrope de Werewolf by Night, et bien sûr les célèbres Comte Dracula et Monstre de Frankenstein. La revue la plus emblématique du lot reste The Tomb of Dracula, qui ramenait le suceur de sang pour quelques aventures pas nécessairement violentes mais emprunts d’une ambiance d’épouvante gothique à l’ancienne. Un sacré choc pour les lecteurs plutôt habitué aux aventures super-héroïques de la Maison des Idées.

 

 

Il faut dire que derrière la série, il y avait une équipe du tonnerre comme les scénaristes Archie Goodwin, Gerry Conway et Roy Thomas, mais surtout Marv Wolfman, la grosse tête derrière le Crisis on Infinite Earths chez DC. C’est surtout grâce à lui que le magazine prit son envol et gagna en popularité, avec l’aide non négligeable de l’illustrateur Gene Colan dont les dessins hautement atmosphériques sont simplement parfait pour le genre. Le duo fonctionne si bien que même vingt ans plus tard l’éditeur les réunis pour une série limitée également intitulée The Tomb of Dracula (volume 3, 1991), avec pour idée de moderniser le concept en poussant sur le contenu graphique. Plus gore et plus sexy, cette nouvelle mouture s’avèra être une expérience un peu décevante des aveux de Wolfman, qui se senti contraint d’obéir aux impératifs de la compagnie et considère que le résultat laisse un peu à désirer…

 

 

C’est donc chez le concurrent Dark Horse que les deux compères se retrouve afin de livrer leur nouvel opus sur le vampire de Bram Stocker, The Curse of Dracula, qui n’entretient évidemment aucun lien direct avec la version précédente pour des raisons de droits. Pas un mal pour les deux artistes qui se sentent libre de réinterpréter le vampire différemment et peuvent créer un tout nouveau casting de héros pour l’occasion. Mais là encore il leur faut réactualiser le mythe, car presque dix ans se sont écoulés depuis la dernière fois et le paysage culturel est désormais bien différent. Le film de Francis Ford Coppola a triomphé au cinéma et des séries comme X-Files et Buffy Contre les Vampires cartonnent à la télé, sans compter que leur ancien patron a vendu les droits de Blade (un personnage créé par Colan et Wolfman !) à Hollywood pour une adaptation à succès. Désormais tout est différent et le vieux Dracula encapé n’a plus vraiment sa place dans ce nouvel âge.

 

 

C’est en se replongeant dans le roman original que Wolfman trouve comment faire, et plutôt que de réinventer le personnage, il le recontextualise. L’auteur conserve sa personnalité originale, sa sexualité agressive ainsi que sa soif de pouvoir et de domination, lui retirant simplement toute la retenue du siècle passé qui rend l’œuvre assez sage aux yeux du public moderne. Et en troquant l’aristocratie anglaise pour la politique américaine, il chamboule à peine le cadre original qui faisait du mort-vivant une menace pour la bonne société. Il va même encore plus loin puisqu’il le transforme en une sorte de Charles Manson ou Jim Jones, qui manipule aussi bien les non-morts que les vivants pour arriver à ses fins ! Les vampires l’adulent comme un dieu, obéissant à ses ordres avec adoration et se considérant tous comme inférieur à lui. Les femelles s’offrent à lui sexuellement et les mâles lui offre volontiers leur vie.

 

 

Mais s’il règne sur une horde de cadavres ambulants, le Comte vise beaucoup plus haut. Retranché secrètement dans une demeure luxueuse de San Francisco depuis sa destruction apparente des mains d’un Van Helsing dans les années 70 (une référence à peine cachée à Tomb of Dracula), il planifie un terrible plan pour s’emparer du territoire américain tout entier. D’une part il organise des kidnapping dans toute la ville, transformant les victimes en poches de sang vivantes afin d’en tirer un maximum d’hémoglobine et nourrir sa petite armée, mais surtout il s’est acoquiné avec un sénateur en pleine campagne présidentielle. Un politicien qui est également son servant et le laissera prendre le commandement du pays une fois son élection remportée. Heureusement Jonathan Van Helsing veille au grain, autre descendant qui ignore que sa Némésis est toujours vivante mais qui s’est malgré tout bien préparé à la chasse aux vampires.

 

 

Celui-ci a utilisé l’histoire de sa famille pour faire fortune, écrivant des livres sur le sujet et possédant sa propre émission de télévision. Une sorte de Peter Vincent de Vampire, Vous Avez Dit Vampire ? qui utiliserait son statut comme couverture et moyen de financement pour sa lutte contre les Nosferatus. Bien que ses cordes vocales aient été détruites durant un affrontement, il s’est monté une équipe de tueurs assez fantastiques: il y a Hiroshima, jeune femme mi-humaine mi-vampire rendue aveugle par la transformation, mais doté d’un sens semblable à celui des chauves-souris. Nikita Kazan, un ancien du KGB qui travaillait dans la branche Paranormale des services secrets, et Simon, ex-criminel qui possède encore des contacts bien utile dans le milieu underground. Ils sont bientôt rejoint par Sebastian, le descendant de John Seward, lui aussi chasseur de vampires et seule personne à savoir que Dracula est toujours en vie…

 

 

Les bases sont posées, mais honnêtement c’est à peu près tout ce que ce Curse of Dracula peut faire. Avec seulement trois numéros au compteur, ce projet n’a pas été conçue comme une histoire complète mais plutôt comme une introduction à une possible saga que Wolfman et Dark Horse avaient imaginés sous la forme de plusieurs mini-séries. Les auteurs auraient ainsi développés progressivement chacun de leurs protagonistes au fil des aventures, avec pourquoi pas effectuer quelques retours en arrière pour explorer un peu plus le passé de leur anti-héros. Peine perdue, le titre se retrouva enterré sous un grand nombre de concurrents, entre les vilains de Chaos! Comics, les centaines de vampiresses dénudées du circuit indépendant (car nous sommes, après tout, en plein durant les “extrêmes” 90s) et surtout le grand retour de Blade chez Marvel, beaucoup moins cérébral mais tellement plus fun.

 

 

Il est clair que le ton de la BD, résolument adulte et sombre, ne risquait pas d’attirer les gamins. Pas vraiment question de déconner même si l’équipe de Van Helsing dispose d’un équipement assez grotesque pour se débarrasser des goules: balles en bois, mitraillettes à crucifix (!), grenades à sulfure et jusqu’à une voiture doté de Gatlings à pieux en bois… Leurs méthodes d’exécutions sont en revanche beaucoup plus glauque car ils partent du principe qu’il faut traiter le vampire comme celui-ci le ferait avec sa proie. Sans pitié. Et ainsi Van Helsing possède un fouet qu’il utilise pour pendre ses proies qu’il laisse brûler au soleil, ou a qui il arrache lentement la tête. Chacun se réfugie dans la prière ou le souvenir d’êtres perdus pour se rappeler pourquoi ils commettent de telles atrocités et se raccrocher à leur humanité, et bien sûr plusieurs d’entre eux connaissent un sort atroce. Comme Simon, cloué sur un mur et gardé vivant le temps de passer un message à ses collègues.

 

 

Mais le plus inconcevable reste la façon dont Dracula est dépeint, à la fois absolument cruel et manipulateur, mais charmeur, élégant et d’une grande politesse. A côté de ses enfants de la nuit, tous difformes et rampants, il a l’air d’un dieu, et face aux humains, il se montre plus classieux que n’importe quel bourgeois. D’un côté il s’amuse à empaler une prostituée sur une clôture façon Un Justicier dans la Ville 2, de l’autre il va prendre la défense de son esclave sexuelle – la femme du sénateur – lorsqu’elle est brutalisée par son mari. Et s’il boit volontiers le sang de certains de ses sujets, il fait attention de commettre ses meurtres à l’aide d’armes à feu afin de ne jamais éveiller les soupçons quant à sa véritable nature. Son intelligence est également mise en avant et il possède toujours un coup d’avance sur tout le monde. Curse of Dracula se termine ainsi si un twist final certes prévisible, mais très bien amené.

 

 

Ainsi il pousse les chasseurs à l’attaquer en plein gala, cachant quelques vampires dans la foule afin de les maitriser. Plutôt que de les massacrer sur place, il les utilise pour se débarrasser de son encombrant allié, le sénateur, dans ce qui ressemble à un assassina. Car le politicien n’était tout simplement pas assez dévoué à son Maitre, alors que sa femme, elle, voit le vampire comme un sauveur qui la protège et se montre prête à tout pour lui. Il n’a plus qu’à la mettre à la place de son mari comme candidate aux élections, la mort de son époux lui garantissant une victoire presque certaine tandis que la police traque désormais le groupe de Van Helsing. Si elle avait pu voir le jour, la suite aurait montré les tueurs de vampires devoir se battre sur le plan diplomatique pour freiner la campagne tout en s’alliant avec un inspecteur de police afin de rétablir la vérité et de laver leur honneur…

 

 

A défaut de pouvoir lire tout ça, on peut quand même apprécier la plume très soignée de Marv Wolfman, dont la narration se montre très différente de ce que l’on trouve habituellement dans des petits comics d’horreur pour ados. Son sens de la formule fait un complément atmosphérique parfait aux illustrations éthérées de Colan. Celui-ci a d’ailleurs choisi de ne pas encrer ses dessins, laissant le coloriste travailler directement sur ses crayonnés avec une palette sombre mais étrangement légère. Si ses compositions sont assez habituelles, avec des cases tordues qui partent en diagonales, elles restent beaucoup plus sobres que dans le Tomb of Dracula de 1991 avec juste une ou deux trouvailles plus spectaculaires comme cette voiture sortant d’un tunnel qui prend la forme de la tête de Dracula. Bref, c’est un régal tant visuel que littéraire, d’autant que la sériosité générale n’empêche pas quelques délires.

 

 

Seward arrache le visage d’un non-mort pour se camoufler parmi ses congénères, Hiroshima est clairement désignée pour être la nouvelle Blade de service, et à ce titre la séquence des « poches de sang » humaines évoque justement une scène coupée au montage du film Blade ! Ici les victimes supplient l’équipe de Van Helsing de les brûler vifs afin qu’elles puissent mourir et propager le feu dans le reste du nid. Sauvage et finalement bien plus effectif que tous les gadgets high-tech et les arts martiaux que l’on rajoutaient au genre à cette époque. Pas de doute, question ambiance nous avons bien là un Tomb of Dracula nouvelle génération. A défaut d’une continuation, The Curse of Dracula aura au moins eu les honneurs d’une édition de luxe en 2005, augmentée de quelques croquis de Gene Colan et d’une nouvelle introduction par Marv Wolfman. A réserver au puriste de Dracula ou des vampires certes, mais ceux là ne seront pas déçus !

 

 

 

       

Leave a reply

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>