Still More Tales For the Midnight Hour
Cemetery Road
(1989)
Une chose que je n’ai étrangement jamais évoquée depuis le temps que je tiens L’Imaginarium, c’est à quel point j’aime le format court, qu’il s’agisse de films à sketches comme Creepshow ou les anthologies de la Amicus, les séries télés à la Tales From the Crypt et The Twilight Zone, ou les recueils de nouvelles chez les écrivains. L’une des raisons est l’absence de temps mort dû au format limité qui oblige l’auteur à aller droit au but. A priori cela n’est pas nécessairement bon pour une histoire car on ne peut alors prendre le temps de développer les personnages, évoquer des faits antérieurs pouvant avoir leur importance, multiplier les lieux ou les protagonistes pour donner plus d’ampleur à l’intrigue, etc. Au contraire, bien souvent il ne reste que le concept, l’idée de base, brute et directe, bien que suffisamment polie et travaillée pour l’offrir aux lecteurs et spectateurs.
Une véritable plongée dans l’Imaginaire de l’auteur qui peut laisser éclater sa créativité dans le sens le plus large possible, sans vraiment s’embarrasser de choses comme de continuité, de contexte ou de construction. En plus de cela je dois avouer qu’avec le nombre d’œuvre que je dois voir, lire et chroniquer pour ce blog, sans compter d’interminables archives à transférer, je n’ai plus toujours le temps de lire un roman complet ou de regarder un long métrage avec autant de régularité qu’autrefois. Aussi le petit format me permet de faire l’un ou l’autre sans prendre trop de retard sur le reste de mon travail, tout en me fournissant ce que j’ai besoin en terme d’évasion du réel.
Cependant je dois dire que je suis peut-être influencé par mon tout premier livre. Oh, naturellement j’avais déjà lu quelques histoires dans ma toute jeunesse et j’ai notamment appris à lire et à écrire grâce à Moby Dick (une version écourtée mais quand même sacrément complexe pour le gamin que j’étais), mais je parle de la toute première fois que l’on m’a offert un bouquin. Celui qui fut le premier de ma bibliothèque était un recueil de nouvelles. Le plus amusant c’est que j’ignorais même l’existence de ce type de littérature ! Pour moi, il existait juste des romans, plus ou moins long selon l’âge auquel ils s’adressent, et le concept m’échappait totalement.
Ainsi, à la lecture de ma première nouvelle, j’ai innocemment cru qu’il ne s’agissait là que du premier chapitre d’une plus longue histoire ! Autant dire que sur le moment j’ai été un peu déçu de découvrir que ça ne serait pas le cas… Il faut dire que je lisais un peu tout et n’importe quoi autour de moi à cette époque, et que l’idée de pouvoir me plonger dans un véritable livre me plaisait énormément. Et mes parents, déjà compréhensif de mes goûts particuliers, avaient parfaitement choisi l’ouvrage: Minuit, Heure de l’Horreur ! Ajoutez à cela une couverture m’évoquant l’épouvante gothique avec ce chat géant et surnaturel reposant aux milieux des tombes, et vous comprendrez que j’étais aux anges.
Passé la découverte surprenante, je me suis vite pris au jeu du recueil, anticipant avec impatience chacune des prochaines histoires. De nouveaux thèmes, de nouveaux monstres, de nouvelles situations permettant de ne pas “s’enliser” dans la lecture en cas d’ennui. Quel dommage alors que cette première aventure, celle mettant justement en scène ce chat monstrueux, ne soit pas la meilleure… Car il ne s’y passe pour ainsi dire rien, et le texte fait plus effet d’ambiance qu’autre chose. Pas désagréable, et même très efficace pour les gamins, mais pas très consistant…
Il faut dire que le recueil est effectivement dédié à un âge relativement bas (dès 11 ans – j’étais certainement en-dessous) et que l’auteure devait se limiter en fonction de son public, mais par rapport aux quelques autres nouvelles qui l’accompagne, Cemetery Road paraît bien faible et peu inspiré. Pourquoi en parler en ce cas ? Pensez-vous ! Par pure nostalgie: il s’agit de ma première histoire d’horreur, à travers mon premier livre, pour ce qui fut ma première expérience avec le format d’anthologie…
Pour brièvement présenter les choses, Cemetery Road (chez nous, Rue du Cimetière) fait partie d’une petite série intitulée Tales For the Midnight Hour, que l’on doit à l’écrivain Judith Bauer Stamper. Elle en aura réalisé un total de quatre volumes et seuls deux d’entre eux nous sont parvenus. Le premier, le plus gros avec 17 nouvelles, est étrangement inédit chez nous et c’est le troisième tome, Still More Tales For the Midnight Hour qui le remplace . L’auteure ouvre ce nouveau recueil avec la mésaventure d’Isabelle (Susan dans la VO, la traductrice ayant choisie de franciser certains noms mais pas tous, allez comprendre), un petite fille qui vient de déménager suite à la mutation de son père et qui se retrouve dans une maison qui donne vue sur le cimetière. Vite embêtée par les cruels gamins du quartier, elle se retrouve contrainte de prouver son courage en obéissant à un gage: s’aventurer seule parmi les tombes afin de trouver la statue d’un grand chat noir et de lui voler son collier (une coquetterie du gardien, je suppose).
Car d’après les garnements, l’endroit est hanté par ce félin surnaturel qui revient à la vie lorsque sonnent les douze coups de minuit. Si elle ne se laisse pas démonter, la petite voit ses plans originaux être contrariés par ses parents: alors qu’elle pensait faire un rapide tour sur place avant la tombée de la nuit, sa famille l’entraine dans une sortie qui repousse son expédition jusqu’à bien trop tard. Mû par le désir d’en finir avec cette histoire, la gamine se rend alors au cimetière armée d’une lampe torche et découvre facilement la statue et son collier. Mais tandis qu’elle tente de retirer l’objet, l’église sonne l’heure fatidique…
Un postulat très simple qui n’aurait pas fait tâche dans la collection Chair de Poule ou dans l’émission Fais-moi Peur. Et il est vrai que si l’on se met en situation, l’atmosphère du cimetière, de nuit, et l’apparition d’une imposante sculpture simplement éclairé d’un faisceau lumineux peut terrifier. l’écrivain évoque même la trouille que ressent son héroïne lorsqu’elle croise subitement la forme d’un ange blanc à travers les ténèbres. Cependant l’argument surnaturel est minimaliste et son exécution manque de conviction. Même enfant et jeune, je n’arrivais pas à ressentir le moindre danger, frisson ou tension, ni pour l’héroïne, ni en tant que lecteur.
Il faut dire que, à moins de se tenir dans l’obscurité et d’entendre un chat gronder de colère, ce qui est effectivement très flippant tant le bruit que l’animal émet paraît disproportionnellement élevé par rapport à sa petite taille, il est difficile de considérer un matou noir comme maléfique. J.B. Stamper essaie pourtant, évoquant ses miaulements énervés, ses yeux verts luisant dans le noir (ce qui semble plus joli qu’autre chose) et le bruit de ses pas lorsqu’il poursuit Isabelle à travers le cimetière. Mais rien n’y fait. Personnellement, dès que je tente de me représenter la bête, je ne vois que ma Tinta qui tente d’avoir l’air féroce sans y arriver…
Quoiqu’il en soit l’auteure désire malgré tout imposer son félin et nous le montre donc prendre vie alors que sonne minuit. S’il ne parvient pas à rattraper l’enfant qui prend la poudre d’escampette avec son collier, il n’abandonne pas pour autant et réapparait dans les rêves de la fillette. Celle-ci, épuisée par son aventure, rentre chez elle et se dépêche de se mettre au lit, ayant naturellement du mal à s’endormir avec le stress. Et l’animal lui apparait alors, assis sur sa poitrine, feulant juste devant son visage. J’ignore si cette image était un choix conscient de l’écrivain mais il existe un mythe ancien qu’il raconte que le chat, maléfique, attends qu’un enfant s’endorme pour lui voler son âme. Il s’installerait ainsi sur sa poitrine pour l’étouffer, plaçant sa tête devant la bouche de sa proie afin d’aspirer son souffle, et donc sa vie.
Stephen King avait évoqué le sujet dans son histoire originale pour le film à sketches Cat’s Eye, dans lequel un gros minet se retrouve confronté à un Troll minuscule qui veut justement s’emparer de l’âme d’une enfant. Dans la scène d’ouverture, coupée au montage, on découvre que l’animal avait déjà une maîtresse, un gamine assassinée par le monstre. En revenant des funérailles, la mère de celle-ci s’attaquait alors au chat en le pensant responsable, forçant la bête à fuir et à errer en ville jusqu’à ce qu’une vision d’une autre môme, elle aussi ciblée par le monstre, ne l’envoie sur le chemin de la rédemption.
Si le félin était un personnage positif chez King, l’occasion était ici parfaite pour en visiter le pendant maléfique. Cela aurait permis une véritable plongée dans l’horreur, avec une mise en danger du personnage principal mais sans risque d’être trop graphique ou explicite dans les péripéties (les autres nouvelles du recueil sont souvent bien plus violentes, même dans l’idée générale). Cela aurait également assuré l’originalité de cette histoire, lui permettant de sortir du lot. Merde, ça semblait même totalement mis en place dès lors que l’héroïne découvrait l’avertissement “Ne dérangez pas les morts” gravé au pied de la statue, mise en garde promettant un sort funeste à quiconque violerait les sépultures !
Hélas tout ceci n’est pas utilisé, l’auteure n’ayant pas pensée ou voulu développer ce thème, et cette petite scène n’amène finalement à rien de plus qu’un quelconque cauchemar. Cemetery Road embraie alors sur sa conclusion de la façon la plus plate possible. Car lorsque la jeune fille, perturbée, veut jeter un œil sur son trophée, elle réalise que celui-ci n’est plus là. Pire: le meuble où elle l’avait rangé est labouré de traces de griffes. La chose du cimetière l’a suivi jusque chez elle, et l’histoire se termine lorsqu’elle jette un œil sur sa fenêtre qui a volé en éclat (et personne n’a rien entendu ?): sur le balcon se tient le chat, la fixant de ses grands yeux verts…
Vous comprendrez naturellement pourquoi j’ai cru, à l’époque, qu’il s’agissait d’une fin de chapitre plutôt que du véritable épilogue ! Comme première entrée dans l’anthologie, c’est décevant, plat, et fait montre d’un potentiel gâché. Même tout jeune, je n’ai globalement rien ressentis devant ce texte et j’attendais simplement qu’il se passe enfin quelque chose. En fait si ce n’était pour la couverture qui met en scène le chat et la déception d’alors de ne pas avoir de continuation de l’intrigue, je ne me serais sans doute jamais souvenu de cette nouvelle. Il est évident que je ne conseille pas sa lecture, sauf peut-être pour les passionnés des félins à travers le genre Horreur / Fantastique. Éventuellement ceux qui, pour rester dans le format d’anthologie, ont aimé The Uncanny (chez nous un temps traduit par Brrr…, véridique !), collection de trois contes macabres ou Peter Cushing essayait de nous convaincre que les chats sont des êtres naturellement malfaisant.
Et pour rester sur une conclusion en eau de boudin, je terminerai cet article en me projetant quant à l’avenir de la jeune Isabelle. Puisqu’elle devait avoir a peu près mon âge quand j’ai lu ce texte pour la première fois, il serait intéressant d’imaginer ce qu’elle est devenue alors que je réexplore son histoire. S’il est facile de l’imaginer morte et enterrée, ironiquement gardée par la créature qui l’aurait tuée, je préfère l’idée plus réaliste de… l’adoption du matou ! Je la vois tout à fait vivante et vaquant à ses occupations, alors que sur son lit traine un gros chat noir aux yeux verts, qui ne fait rien qu’à dormir ou à se mettre sur le dos pour avoir quelques gratouillis.
Ou qui, comme Tinta, se couche sur le clavier de son ordinateur pour l’empêcher d’écrire !
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