Sisterly Love, Chapitre 1

1

Mère et Fille

 

    La boutique à babioles semblait faire luire les yeux de Jade comme des lucioles. Ce magasin, elle l’adorait. Elle ne comptait même plus le nombre de fois qu’Alice et elle l’avaient prit d’assaut, emportant les objets par dizaines chaque semaine. Elle avait tenue à le montrer à sa mère. Certes elle n’était pas aussi obsédée que son père mais elle aimait aussi les petits bibelots, et Jade voulait lui faire plaisir. Lui faire repérer un petit truc et le lui offrir. Et pour son père aussi peut-être. Manque de chance sa propre passion lui montait à la tête et son attention était complètement occupée par les centaines d’articles exposés sans soucis de classement.
    Ça lui rappelait la maison. Ses parents exposaient généralement leurs collections comme ça. Pas d’unité, pas de rangement maniaque. Juste une myriade étincelantes de petites choses de toutes formes, de toutes tailles. Provenances inconnues, mystiques, souvenirs de voyage ; artefacts magiques ou simples décorations… Depuis son enfance, ces trésors l’avaient enchanté. Son regard ne pouvait même pas s’attarder sur un seul d’entre eux tant la beauté transparaissait de l’ensemble. Captivée, elle s’était promenée pendant des heures pour tenter de détailler chaque élément de cet amoncellement fantasmatique.
   D’ailleurs l’une des choses qu’elle adorait le plus était que pratiquement chaque objet avait son histoire. Sa propre origine. Parfois une simple anecdote, parfois un grand récit merveilleux. Combien de nuits les avaient-elle écoutés raconter leurs fables fantastiques avant de dormir ? Des contes comme ceux des enfants oui, mais des contes véridiques, vécus par ses propres parents il y a très longtemps. La tête pleine de paroles et les yeux envahies d’une explosion de couleurs et de formes, Jade s’endormait souvent pour faire des rêves merveilleux. Des rêves d’explorations, de trouvailles, de chasses aux trésors. De mondes différents…

    La nostalgie et le virus de la collectionnite aiguë avaient toujours raison d’elle. Une magnifique plume de Paon à la main et un petit serpent-sifflet en bois autour du cou, elle farfouilla en perdant toute notion du temps jusqu’à ce qu’une faible lueur n’attire son attention. Un jeu de lumière sur un petit cristal. Admirant sa découverte, Jade contempla ce qui était une petite plume à calligraphie, création à la finition incroyable. Les détails étaient impressionnant et fruit de l’ouvrage d’une main de maître.
   L’objet ressemblait à un oiseau qui aurait placés ses ailes afin de se faire comme un cocon de protection, sa tête dressée vers le ciel formant la pointe de la plume. De son regard, Jade pouvait voir chacune des plumes de l’animal. Le bec terminant la pinceau, les yeux même de l’animal, ses serres recourbées s’accrochant au porte-plume… Tout était d’un réalisme saisissant. Et la lumière se reflétant dans le cristal donnait naissance à une illusion parfaite: l’oiseau semblait fait de lumière, de flammes. Un pur Phoenix de légende.
   Bouche bée, Jade guida son regard autour de l’œuvre pour comprendre qu’il ne s’agissait là que d’un élément appartenant à un ensemble à calligraphie. Le porte-plume était une baguette d’ébène sculptée à la mode tribal, comportant en son sein une série de représentations gravées. Il était conçu comme un ancien totem indien avec des divinités et des créatures superposées les unes aux autres. Et puis il y avait les autres plumes. Comme le Phoenix, elles étaient d’une finition exemplaire et brillaient de milles feux. Là un incroyable serpent – comme Python, fils de Gaïa (ou d’Héra) dans la mythologie grecque, ici un ibis au plumage blanc, captant la lumière tel Thot avec la lune. Un Kraken (ça plairait à papa !), une louve romaine, une grande licorne… Représentations d’animaux mythiques et divins. Un pur chef-d’œuvre.

    Ce n’est qu’une fois remise de la découverte qu’un déclic s’opéra dans son esprit: sa mère avait toujours aimée dessiner. Le souvenir de nombreuses illustrations revinrent en mémoire à Jade. Le regard hypnotisé mais concentré de sa mère durant le tracé d’un trait délicat, les encouragements et les compliments de son père malgré les protestations de l’artiste trop modeste… Des images merveilleuses issues de souvenirs et de lieux lointain. L’Irlande, ainsi découverte dans sa jeunesse. D’anciens camarades, d’innombrables carnets de voyages témoignant de découvertes extraordinaires.
    Le sourire aux lèvres, elle subtilisa doucement l’ensemble, jetant un œil à sa mère. Celle-ci semblait affairée à fouiller une autre partie du magasin. Des dizaines de peluches dans les bras, elle avait le nez dans un antique coffre à jouet, fouillant avec énergie et détermination. Nul doute qu’elle cherchait un objet précis. L’occasion parfaite pour faire l’achat sans se faire repérer. Jade passa donc à la caisse en secret, demandant même un emballage avant de le glisser dans son sac de cours.

    Un coup d’œil à sa montre lui indiqua que ça faisait maintenant plus de deux heures qu’elles parcouraient la ville, et au moins une demi-heure dans cette boutique. La vision de son pauvre père les attendant désespérément près du restaurant s’imposa à elle, lui intimant d’abréger leurs courses. Jade s’avança donc d’un pas décidé vers sa mère et lui posa la main sur l’épaule.
– Dit maman ?
– Hmm ?
Celle-ci se retourna alors, les bras surchargé de pieuvres en tout genre. Peluches, jouets en plastique, mous ou rigides. Des gros, des petits. Des dizaines de ces bestioles s’entassaient, couvrant presque le visage de la jeune femme. Jade repensa immédiatement à la Boite à Poulpe, petite plaisanterie de sa mère pour son père où des centaines de céphalopodes avaient été entassés pour s’échapper comme des serpentins lorsque le couvercle était soulevé.
– Oh ça va plaire à papa ça…
– Oui hein ? Quand j’ai vu ça, ça m’a fait pensé à lui.
Jade sourit gentiment. Voir ses parents être toujours aussi intentionnés l’un pour l’autre lui avait toujours plu. Elle ne comptait plus les couples se détruisant comme un rien car n’ayant jamais été véritablement amoureux. Et puis elle les trouvaient si mignon comme ça…
   Quelques minutes plus tard, elles étaient de nouveau dans la rue, une mini-boîte à poulpes dans les bras. Elles ne pouvaient s’empêcher de rire en imaginant la tête de Premutos lorsqu’il l’ouvrirait. Sans parler des clients du restaurant.
– Ça va être une bonne journée, émit Jade un peu rêveuse.
Sa mère la gratifia d’un petit câlin auquel elle répondit avant de lever vers elle des yeux pétillant.
– Oh fait je peux te faire chier ?, demanda t-elle avec une fausse méchanceté.
– Mi ?
Avec un grand sourire, Jade brandit devant ses yeux son paquet cadeau, mimant un rire sadique. L’hilarité la gagna lorsque le visage de sa mère se décomposa, toute émue et surprise, puis se plaignant qu’elle n’aurait pas du faire ça. C’était tout bête, mais voir se visage heureux la remplissait de joie à chaque fois.
– Je t’aime maman !
– Miiiii… Je t’aime aussi ma chérie…
Un nouveau câlin, puis le cadeau fut déballé à grande vitesse…

    Ciarán fixa un long moment les plumes de cristal et le bâtonnet d’ébène. Une foule de souvenirs lui monta en tête alors subitement, la renvoyant en arrière lorsqu’elle était encore toute jeune. Pas plus grande que Jade. Elle se souvint de l’achat d’une petite plume en cristal dans un festival, elle se souvint de son goût pour le dessin, la manière dont cela la détendait. Elle se souvint aussi des félicitation de Premutos, de ses demandes timides de dessiner pour lui.
   Elle prit délicatement les cristaux pour les regarder de plus près. C’était un ouvrage d’une beauté exquise, visuellement somptueuse. Ses doigts manipulèrent avec dextérité le porte-plume, lui assurant une prise en main sûre et précise. Avec ça elle pourrait dessiner avec une habileté déconcertante !
– C’est magnifique ma chérie…
– C’est vrai, ça te plaît ?
– Oui ! Mon cœur c’est vraiment merveilleux. Et puis…
– Ça te donne envie de dessiner ?, demanda Jade avec espoir.
– Mi…
   C’était un “oui” qui fit sauter Jade sur place. C’était exactement ce qu’elle avait voulu déclencher. Plus que l’objet lui-même, cette envie de dessiner, cette passion, était ce qui était le plus important, et elle avait réussie à l’offrir à sa mère.
Ne pouvant retenir un câlin, elle se serra une nouvelle fois très fort contre jeune femme avant que celle-ci ne lui passe une main dans les cheveux. Doucement, Ciarán s’appliqua à lui grattouiller les cheveux. Ce fut comme si son enfant se mit à fondre.
– Gaaah !, émit vaguement Jade en se détendant complètement.
L’autre sourit et continua de caresser les doux cheveux de sa fille. Cette dernière était amorphe, se laissant aller.
– Tu aimes ça, demanda t-elle, pas vrai ?
– Ça fait du bien, répondit Jade d’une toute petite voix.
Sa mère eu un petit rire amusé.
– Oui… Je suis incapable de bouger quand ton père me fais ça.
– J’adoooore…
– Ça me rappel quand je te grattouillais le dos quand tu étais toute petite.
– Arrête, c’était génial ! Je pouvais même plus bouger.
Ciarán hocha la tête en souriant. Les grattouillis de dos, c’était aussi quelque chose que Premutos lui faisait lorsqu’elle allait mal, et Jade avait toujours aimée ça également. Cela faisait parti de ces petits plaisirs simples que l’on s’offrait, en témoignage d’amour.

    Avec son enfant dans les bras, elle respira le bonheur. Jade était une grande fille maintenant et ces scènes là se faisaient un peu plus rare, mais c’était toujours avec une joie immense qu’elle en profitait. Prise d’un élan d’affection sans cesse grandissant, elle referma ses bras sur ce petit corps pressé contre le sien et ferma les yeux, s’abandonnant à la douce sensation de chaleur. Elle se sentait heureuse.
    L’étreinte dura un bref instant qui sembla pourtant suffisamment long a chacune d’elles. Puis elles se dégagèrent doucement avant de se regarder toutes les deux en souriant. Mère en fille passant un instant agréable. Puis…
– Papa !
– On l’a encore complètement oublié !
Éclatant de rire, elles se prirent la main pour rejoindre le restaurant. Ce n’est qu’un bref instant plus tard que Jade analysa quelque chose du coin de l’œil. Une forme furtive, une silhouette familière. Tournant la tête un peu trop tard, elle ne pu analyser immédiatement ce qu’elle identifia pourtant comme… Alice ?
    Se retenant d’ouvrir la bouche pour l’appeler, Jade se laissa guider dans les ruelles par sa mère. Cette sensation… Pourquoi avait-elle l’impression qu’Alice s’était trouvée près d’elle un instant auparavant ? Si c’était le cas elle s’en saurait rendue compte, non ? Et puis elle serait même venue la voir ! Intriguée, Jade prit soin de garder tout cela dans un coin de sa mémoire.

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