Lost (and found) in the 5th Dimension
Épisode 51
SHYNGOH LE DÉVOREUR
Creepshow (2022)
“I’ll bet he’s a Pokémon. He looks like a Pokémon.”
Écrit par le grand Paul Dini lui-même, en collaboration avec Stephen Langford (scénariste pour la télévision sans grands exploits), Shingo est la seconde histoire du premier numéro de Creepshow et met en scène un démon interdimensionel qui se fait passer pour une mascotte de spectacle afin de bouffer ceux qui seraient assez bêtes pour l’engager. Un concept amusant mais aussi très Chair de Poule dans l’âme, ce qui se ressent d’autant plus par l’absence de toute violence graphique dans les pages de cette BD. En fait difficile de ne pas penser à la superbe créature Big Yellow de The Haunting Hour tant la ressemblance est frappante en ton comme en exécution. Au moins les origines du monstre sont évoquées ici, et il provient d’une autre dimension qu’il nomme lui-même les Abysses Hurlantes de la Sombre Horreur (ou Screaming Abyss of Dark Horror, débrouillez-vous pour me reprendre).
Conjuré dans notre monde il y a plusieurs milliers d’années, il est désormais piégé ici et doit se nourrir de la progéniture des humains qu’il déteste. De nos jours il possède heureusement une technique bien rôdée qui est de proposer ses services à qui en aurait besoin, un flyers apparaissant comme par magie aux plus désespérés. Il se présente ainsi comme une sorte de clown d’anniversaire organisant jeux et chansons pour les festivités en échange d’un simple repas en guise de paiement. Naturellement personne ne réalisera qu’il n’est pas un type en costume et que sa nourriture se trouve être ses propres clients et leurs gamins. Les choses vont cependant mal tournée pour lui le jour où il se présente chez Fiona Clark, une gamine dont les parents divorcés ne valent pas mieux l’un que l’autre.
De l’aveu de la fillette, aucun ne se soucient vraiment d’elle et ils fonctionnent au chantage affectif, chacun l’utilisant pour se faire bien voir par rapport à l’autre. Ainsi lorsque Shingo arrête d’amuser la galerie comme la faim qui le tenaille se fait trop grande, et qu’il repousse les marmots pour engloutir le banquet de sucrerie qui leur était destiné, ni papa ni maman ne daignent intervenir, trop occupés à se disputer. Un à un les petits invités se font dévorer – hors-champ et d’une seule bouchée pour éviter toute effusion de sang – et bientôt ne reste plus que Fiona et sa meilleur copine. Furieuse de voir sa fête ruinée par une créature antédiluvienne, la jeune fille va riposter en tendant un piège à la bête, la suspendant par les pieds à un arbre grâce à une corde puis le battant comme une piñata jusqu’à ce qu’elle explose, rejettant sur elle toutes ses frustrations.
Shingo va déverser des morceaux d’entrailles à la place de bonbons, mais également ses victimes, en fait toujours vivantes et indemmes. Une bonne façon de réunir la famille, Fiona utilisant alors la même méthode que ses géniteurs pour gagner leur attention et possiblement se faire offrir un tas de choses. Un comportement critiqué autant par sa copine qui par le Creeper lui-même, qui conclu alors l’histoire d’un petit “looks like Shingo wasn’t the worst monster at the party after all” qui ne trompe pas. Mais ne pleurons pas sur le sort du démon, qu’un vieux manuscrit datant du XIème Siècle décrit comme immortel. Si ses restes finissent dans une poubelle, sa tête va continuer de se lamenter. “No more kiddie birthdays…” dit-il, preuve s’il en est qu’il continuera ses méfaits d’une façon ou d’une autre.
Si Shingo, l’histoire, paraitra moins engageante que la précédente avec son fantôme ultra violent, il faut tout de même reconnaître que sa mascotte vivante est assez prenante. Avec son apparence de grosse bestiole poilue et colorée, dotée d’un pelage orange, d’une peau violette et d’une petite queue de dinosaure, Shingo (ou Shyngoh the Ravener, comme le décrit le document médiéval) n’amuse peut-être pas les enfants mais fera sourire le lecteur par ses commentaires décalés: lorsqu’il gobe les parents de Fiona, il se plaint que tout ce drama famililal lui donne mal au ventre, et quand les gamins lui demande d’où il vient, il répond franchement et sans hésitation, avant de se corriger en précisant qu’il dit parfois des bêtises. Et que dire de cette petite qui le prend pour un Pokémon et commence à chercher lequel sur son téléphone alors qu’il dévore un de ses amis. Même le Creeper précise qu’il s’agit d’un vieux copain à lui, encore qu’il utilise plutôt le mot fiend que friend.
On regrettera juste de ne pas le voir exécuter sa Shingo dance qu’il est censé faire avec les enfants, la faute forcément au format figé des dessins. Signés John McCrea (un pote à Garth Ennis qui a bossé avec lui sur The Boys, Hitman et Preacher), avec les superbes couleurs de Mike Spicer (Stiltwater chez Image), ceux-ci font parfaitement l’affaire vu le ton assez bon enfant du comic-book, et donnent plutôt bien l’impression de voir un personnage de cartoon prendre vie dans un environnement réaliste, notamment dans les expressions faciales exagérées de la créature qui évoquent un peu les moments d’animation de Evil Toon. Un peu décevant par rapport au conte précédent, oui, mais totalement en phase avec le sujet. Et quoiqu’il en soit Shingo n’est l’affaire de quelques pages qui s’expédient assez rapidement.
S’il s’agit certainement de la dernière fois que nous verront le monstre, il n’est pas exclu que Creepshow, la BD comme la série télé, le réutilise en forme de logo ou de figurine en guise d’easter egg quelque part. Car après tout Stephen Langford est également scénariste pour le show et Paul Dini n’est pas étranger au genre horrifique de son côté. Reste à voir si la franchise va continuer à s’étendre dans les temps à venir, comme l’espère ses producteurs qui viennent tout juste d’annoncer le développement d’un jeu vidéo, où si Shudder décide d’arrêter les frais après une quatrième saison, laquelle se montre d’ailleurs en retard sur les prévisions puisqu’on l’attendait pour cette période d’Halloween et dont nous sommes actuellement sans nouvelles.
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