Mighty Morphin Power Rangers – 2017 Annual #1
Perfect
(2017)
Depuis ces dernières années, la popularité de Power Rangers n’en fini pas de monter, ramenant la série dans le spotlight de la pop-culture. Et pas seulement à cause de la récente adaptation cinéma, plutôt passable dans son genre (mais autrement plus recommandable que les ignobles Tortues Ninjas produites par Michael Bay). En 2011 c’est la série japonaise originale, Super Sentai, qui fête ses 35 ans, et elle frappe fort en ramenant à l’écran pratiquement tous les super-héros qu’elle avait inventé depuis les années 70. Une grande bataille contre les Forces du Mal où anciens et nouveaux personnages se battent côte-à-côte, ce qui inclut – et oui ! – nos bons vieux Bioman de notre enfance (ils étaient la 8ème équipe et saison de Super Sentai) ainsi que toutes les incarnations recyclés par Saban pour les différentes saisons de Power Rangers. Bons princes, les producteurs invitèrent même l’équipe américaine à venir tourner quelques scènes chez eux afin de les utiliser pour leur version du show. Des séquences qui furent alors employées en 2014 pour ce qui marque un autre anniversaire: celui des 20 ans de Power Rangers.
Plus récemment cette année, un malade mental s’est rendu lourdement armée au Phoenix Comicon dans l’intention de tuer l’acteur Jason David Frank, célèbre interprète du Green Ranger et acteur symbolique de la saga. Si l’incident a été réglé sans heurt, cela n’a pas été sans conséquences puisque les règles de sécurité se sont renforcées, bannissant désormais tout accessoire de type « arme » afin d’éviter la panique et la confusion, au plus grand dam des cosplayers.
Entre ces deux évènements, l’éditeur Boom! Studios s’empare de la franchise afin de ressusciter la première monture de Power Rangers – la classique équipe de Zordon contre les monstres de Rita Repulsa et de Lord Zedd, afin de lui donner une nouvelle vie en comics. Exactement comme le film produit par Saban mais en beaucoup plus proche et respectueux du sujet d’origine, en ça que la compagnie reprend le concept à l’identique plutôt que de vouloir le réarranger ou le moderniser. Les héros et les monstres sont les mêmes, les personnages sont les mêmes jusqu’à leur physique, des éléments comme Bulk et Skull ou le bar à jus de fruit sont également présent, etc.
A la manière de IDW, qui fabrique également sont univers à partir de différentes licences, Boom! soigne son titre de la meilleure façon possible et embrasse pleinement le ton ridicule du sujet, nous livrant robots géants, extraterrestres et super-héros colorés en pagaille, loin des pratiques hollywoodiennes qui cherchent le “réalisme”. Parfait pour réunir de jeunes lecteurs comme les fans de la première heure carburant à la nostalgie. A ce titre leur Mighty Morphin Power Rangers est tellement fidèle qu’il fait fit des conventions sociales actuelle type Social Justice Warriors et ramène l’asiatique Trini dans le costume du Yellow Ranger et Zack, un Noir, dans celui du Black Ranger. Et vous savez quoi ? Ça ne choquera que ceux qui voudront être choqué.
Ces décisions prouvent que Boom! a bien compris l’univers dont ils se sont emparé et cela n’est pas une surprise pour quiconque a jeté un œil aux autres licences tenue par l’éditeur qui, hormis d’assez bof histoires pour Snake Plissken dans leur Escape From New York, sont de très bonnes tenues. Mention spéciale pour leur suite des aventures de Jack Burton, proprement hilarante, ainsi que l’excellente série basée sur Hellraiser et à laquelle Clive Barker a participé directement, qui offre une suite satisfaisante aux deux premiers films de la saga.
Cette nouvelle version de Power Rangers cartonne donc évidemment, au point d’avoir même produit un crossover avec DC Comics, où Lord Zedd s’allie à Brainiac et où les Rangers doivent travailler de concert avec la Justice League pour lutter contre eux. Et oui, un Batman sombre et ultra sérieux se retrouve à enquêter aux côtés de Biomen colorés et de leurs robots dinosaures, et c’est tout simplement génial. Pas surprenant que la série régulière puisse générer quelques numéros spéciaux annuels et c’est justement celui de 2017, qui vient juste de sortir, qui nous intéresse ici. Comme son prédécesseur et globalement tous les annual specials de la BD américaine, le livre est une recueil d’histoires courtes, ce qui permet aux scénaristes de creuser des thèmes, explorer des personnages ou jouer avec des idées qui n’auraient pas nécessairement leur place sur de grosses intrigues. Cette année se sont cinq histoires qui se partagent les pages de la revue, parmi lesquelles se trouve celle qui s’intitule Perfect et qui a remportée toute mon intention.
Pour faire brièvement le tour du comic-book, celui-ci se compose de Search Party, qui s’intéresse aux états d’âme de Tommy après avoir été contrôlé par Rita Repulsa dans ce qui est une conclusion à sa célèbre et première storyline. Alors que les Power Rangers sont à sa recherche, il retrouve la sorcière qui tente de le séduire pour l’enrôler de nouveau. Un scénario qui est lié à l’intrigue en cours de la série régulière et le nom Drakkon est évoqué, nous laissant dans le doute s’il s’agit de l’univers “officiel” de nos héros ou le monde parallèle où Tommy est devenu maléfique.
Vient ensuite Trini’s Vacation, qui se concentre sur la géniale Yellow Ranger pour une aventure solo. Un petite épisode où la belle tente de se la couler douce mais se retrouve à devoir gérer seule la présence de Goldar dans les parages, sans Zord, sans renfort et avec sa propre famille à proximité. Une idée sympa qui nous vaut l’image épique d’une Ranger seule se jetant contre un monstre géant. Bizarrement le scénariste semble avoir confondu le personnage avec sa version du film, plus agressive, ce qui donne l’impression étrange de se retrouver dans un crossover qui s’ignore.
Forever Mighty Morphin Black est un clin d’œil à l’épisode Forever Red, qui ramenait au sein d’une même histoire tous les Red Rangers en une seule équipe. Ici c’est la même chose avec les Black Rangers de timelines parallèles et de mondes alternatifs, devant s’allier contre un monstre de cristal. Sympa mais peut-être un peu trop court, surtout lorsque Zack croise Adam, qui fut son remplaçant à la télévision lorsque l’on jugea qu’un Ranger Black Black était un concept trop scandaleux.
Perfect vient ensuite puis on termine avec Sabrina’s Day Out, qui se concentre sur la diablement belle et méchante Scorpina, ici en congé. Parce qu’une mission stupide ne fonctionne pas comme elle le désire, elle se retrouve à passer un peu de bon temps à la fête foraine avec Goldar, pensant “conquérir” les lieux en gagnant aux jeux. Une manière de creuser leur future relation, puisque ceux qui connaissent la série savent que les deux finissent ensemble et deviennent parents.
Pour faire court, l’Annual 2017 de Mighty Morphin Power Rangers représente tout ce qui fonctionne dans la série: des graphismes adorable et vraiment bon, des personnages attachants, beaucoup d’humour, des intrigues bien plus travaillées qu’à la télévision et des bagarres excitantes avec monstres, mutants et mechas. Comment ne pas aimer ? En gros, un très bon point d’entrée dans la série.
Ce qui nous amène maintenant à Perfect, dont je voulais parler tout particulièrement. Illustrée par Frazer Irving (un british qui a roulé sa bosse avec Grant Morrison, bossé sur Judge Dredd et a qui l’on doit l’adaptation BD de Shaun of the Dead) dont les graphismes donnent pas loin dans l’expressionnisme et évoquent parfois le regretté Bernie Wrightson, parfois Dave McKean. Pour tout dire j’ai eu des flash de ce dernier sur son célèbre Batman: L’Asile d’Arkham (pondu avec Morrison, comme par hasard ! Hypercrisis is real !), notamment pour la scène où Amadeus Arkham rentre chez lui et découvre sa famille massacrée, la tête de sa petite fille à l’intérieur de la maison de poupée. Silent Hill: Past Life m’est aussi venu en tête.
Tout ça pour dire que Perfect tranche avec le reste, semblant plus provenir d’une anthologie horrifique type Creepy que d’un magazine Power Rangers. Feuilleter l’ouvrage suffit à marquer la différence en raison des tons sombres et dépressifs utilisés, limites monochrome, par rapport aux éclats de couleurs des autres histoires. Autant dire que les petites têtes blondes risquent fort de faire l’impasse sur ce morceau, forcément moins attirant, et peut-être est-ce pour le mieux: le contenu est indubitablement celui d’une BD “adulte”, avec sont lot de séquences macabres.
Le scénariste Trey Moore (à ne pas confondre avec Terry Moore, même si les deux ont justement bossé ensemble sur la série Echo, édité chez Avatar Press) s’intéresse à un monstre très secondaire de Power Rangers, à savoir Finster, afin de nous raconter ses origines. Dans la série originale celui-ci apparaissait comme une sorte d’alien inoffensif, sorte de vieille chauve-souris un peu sage dont la seule fonction était de créer les innombrables créatures au service de Rita. Un alchimiste modelant une argile magique afin de sculpter des monstres, donnant vie aux figurines en les cuisant dans un four spécial. Vous pouvez être sûr que ce fabriquant de Monster of the Week était mon personnage préféré, parce que j’en adorai tout simplement le concept. Un petit côté Puppet Master façon sentai qui était très intéressant. Explorer son passé se révèle être une très bonne idée, seulement Perfect ne se dirige pas du tout dans la direction que l’on pourrait attendre. Car si on y apprend effectivement d’où vient son don et comment il a fini par se retrouver sous la coupe de la sorcière, le personnage lui-même devient un monstre de folie ayant vendu son âme au Diable…
Nous apprenons ainsi que Finster était un artiste sur sa planète d’origine. Un créateur qui fournissait son peuple en fontaines et statues, décorant ce qui nous est présenté comme un village beau et féérique. Seulement l’artiste ne supporte plus ces visions enchantées, cette forêt magnifique et ce climat de paix. Tordu, malade, il apparait comme un véritable psychopathe ayant fini par trouver une autre forme de beauté à travers l’horreur et la souffrance. Finster devient alors pyromane, brûlant les bois environnant et habitants, pensant véritablement faire le bien en ajoutant un peu de chaos dans la vie paisible de ses semblables. Dès les premières cases, le personnage se complet à regarder des victimes s’affairer lors d’un incendie, y trouvant l’inspiration.
Lorsqu’il ne s’amuse pas à pourrir son entourage, l’artiste poursuit ses créations, délaissant les œuvres d’art pour des statues de monstres grotesques. Il s’isole dans son atelier et travaille constamment, se coupant du monde. Cela n’est pas sans inquiéter son épouse, Plepra, qui est effrayée par les incidents répétés qui détruise son village et l’absence de réaction de son mari. Naturellement, à la manière du conte de Barbe Bleue, elle commet l’erreur de rentrer dans l’antre de Finster et découvre que celui qu’elle aimait est devenu fou. Celui-ci tente de s’expliquer et la retient lorsqu’elle veut fuir, et hélas la jeune femme fait une chute mortelle en se débattant…
Craignant pour sa vie, comprenant que les villageois auront tôt fait de venir le chercher, l’artiste panique et trouve une solution inattendu lorsqu’une mystérieuse silhouette fait son apparition. Rita Repulsa, évidemment, qui trouve en lui un potentiel intéressant et lui propose de la suivre. Tel ce tentateur de Diable, elle le manipule facilement en lui montrant l’existence d’une glaise magique qui peut prendre vie si elle est modelée. En d’autres mots: si le sculpteur accepte de travailler pour elle, il pourra sans doute utiliser cet élément pour ramener Plepra. Finster accepte alors…
Dans une petite BD sans importance, l’intrigue se serait sûrement arrêtée là, plaçant le protagoniste dans un double-rôle de coupable et de victime. Une manière de donner un peu de profondeur à un personnage secondaire qui n’a pas beaucoup d’utilité une fois ses inventions introduites. Perfect préfère s’enfoncer un peu plus dans le cauchemar, explorant ce que fait Finster durant son temps libre lorsqu’il ne fabrique pas de nouvelles créatures pour la sorcière: il tente de ramener sa femme à la vie, bien sûr ! Et durant les 10.000 ans qu’il passe au service de Rita, le voilà qui termine une figurine parfaite à l’effigie son épouse. Il lui donne vie et… Plepra est bien là, identique en tout point à l’originale. Y compris dans ce qu’elle pense de lui. Choqué par ses réactions de peurs et d’incompréhension, l’artiste préfère considérer son œuvre comme “ratée” et “imparfaite”, s’en débarrassant… à coups de hache ! Car il pense que lorsque sa femme reviendra, elle finira par comprendre qu’il avait raison et qu’elle lui pardonnera. Un espoir vain bien sûr, et voué à ne jamais voir le jour. Et alors qu’il se remet au travail, pensant que la prochaine fois sera la bonne, une dernière réplique nous précise que cet essai n’était pas le premier…
J’évoquais Silent Hill un peu plus haut, et à vrai dire c’est plutôt juste. Avec Perfect, le personnage de Finster apparaît comme un être pathétique piégé dans un enfer personnel, répétant encore et toujours les mêmes actions sans comprendre que tout est joué d’avance. Un cauchemar sans fin qui, via l’argile magique, donne corps à ses démons intérieurs qui le hanteront jusqu’à la fin des temps. Symboliquement, c’est lourd, surtout pour ce qui est supposé être une histoire courte basé sur Power Rangers. Et avec les dessins torturés de Frazer Irving, ses couleurs sombres et dépressives, le résultat est marquant. Pas dit que beaucoup apprécient, mais si quelqu’un s’était toujours demander à quoi ressemblerait un sentai gothique réalisé par Clive Barker, voilà le résultat.
Il y a effectivement un petit quelque chose de Nightbreed dans cette histoire, et justement: Boom! Studios en possédait les droits également, créant une série explorant un peu plus la mythologie générale du film et les origines de quelques monstres. La présente histoire semble presque tiré de ses pages et mérite très franchement que les fans de l’écrivain anglais y jettent un œil. C’est également la preuve que, tout en gardant le ton originale de la série, les bonnes personnes peuvent quand même faire quelque chose de “sombre et sérieux” sans modifier complètement l’univers de base.
Une très belle surprise qu’on aimerait voir se répéter !
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