Mischief Night – Special
(2006)
“I dare the readers not to fall in love with Jill. She’s the ultimate Goth goddess, but she’s a ruthless, diabolical killer. I dare readers not to feel sympathy for Jack, but again he appears to be a heartless killer.”
– Brian Pulido, à propos de Mischief Night
Lorsque le patron de Chaos! Comics Brian Pulido perd son entreprise en 2002 pour des raisons financières, il se réfugie vite chez Avatar Press où il y est accueilli comme un roi. Après tout cette compagnie partage le même goût pour les films d’horreur, la culture Métal, les pin-ups déshabillées et l’ultra violence, et ainsi le scénariste se retrouve en terrain connu. C’est presque une bénédiction pour lui puisqu’il y trouve la possibilité de bosser sur quelques licences, mettant en scène Freddy, Jason et Leatherface, et il parvient même à retrouver son bébé Lady Death afin de poursuivre ses aventures infernales. Entre mini-séries, one shots et numéros “spéciaux” servant de présentations, il n’arrête tout simplement pas d’écrire… Et malgré ça il trouve aussi le temps de créer de nouvelles séries, cherchant à marcher dans les traces de ses collègues britanniques Alan Moore, Garth Ennis et Warren Ellis mais de façon… plus américaine.
Il lance Mischief Night et Bad Moon Rising qui s’inspirent très ouvertement de la série B et doivent servir de substitut aux franchises Les Griffes de la Nuit, Vendredi 13 et Massacre à la Tronçonneuse. Tout un plan est lancé et Pulido s’attaque à un numéro Special servant d’introduction pour chacun d’eux, prévoyant ensuite des publications mensuelles… qui ne verront jamais le jour.
S’il sort trois mois après Bad Moon Rising, Mischief Night fut travaillé d’abord, l’auteur planchant dessus avec son complice Juan Jose Ryp qui réalise les illustrations. Le concept est de revisiter le slasher avec quelques nouveautés, en proposant notamment un couple d’assassins en guise d’antagonistes. Non pas un simple duo comme dans Scream mais de véritables compagnons prenant le meurtre comme une affaire romantique, à la manière des psychopathes de Fantômes Contre Fantômes ou Tueurs Nés. Des monstres qu’il va vouloir un peu plus humains que les croquemitaines du grand écran et dont la folie renvoient plus aux adolescents responsables du massacre de Columbine qu’à un énième avatar de Norman Bates.
Pourtant le titre va lui directement évoquer les années 80, lorsque les films portaient le nom de vacances ou de jours de fêtes (April Fool’s Day, Mother’s Day, My Bloody Valentine): s’il ne peut pas choisir Halloween pour des raisons évidente, il sélectionne alors la “Mischief Night” qui se déroule la veille. Le terme désigne une soirée où les jeunes se livrent à des farces dans le voisinage à la manière de Trick or Treat, à la différence que l’on y donne parfois dans le vandalisme pur et dur. Vitres cassées, boites aux lettres défoncées, glu sur les poignées de porte, sac remplie de merde enflammés sur les paliers…
Pas un hasard si certains états ont carrément surnommé le 30 Octobre “Devil’s Night”, et cela aurait fait un titre sans doute plus fidèle au scénario. Ce Special étant un prologue, il se déroule évidemment la veille et sert à présenter les protagonistes et mettre en place les évènements à venir. L’histoire s’intéresse à la jolie Jennifer qui fait partie de la populaire bande de Cedar Avenue, un beau quartier de Long Branch, New Jersey. Pour s’y intégrer, elle et sa meilleure amie Alexis durent subir une épreuve de bizutage quelques années plutôt durant Mischief Night: passer la nuit dans un manoir abandonné et réputé hanté. Un challenge a priori innocent, sauf que deux autres camarades de classe ont déjà investi les lieux pour finir les préparatifs d’un projet terrifiant. Ce sont Jack et Jill, un couple de Goth qui, à force de brimades et de moquerie, a fini par sombrer dans la démence. Considérés comme des parias par l’élite de Cedar Avenue, ils ont décidés de se venger et tuer tous les responsables de leurs malheurs en empoisonnant le système d’eau de leur lycée.
Jen et Alex découvrent leur laboratoire clandestin et le duo va vouloir les supprimer, ne voulant pas risquer d’être découvert. Du moins c’est ce qu’ils disent même s’il est clair qu’ils accueillent ces victimes avec grand plaisir, s’amusant à les effrayer aussitôt qu’elles arrivent dans le bâtiment et les prenant pour cible avant tout parce qu’elles font partie de la troupe ennemie.
Comprenant la situation, Alexis va tenter de raisonner avec eux avant de se rebeller et coller son poing dans la figure de Jill. Un acte qui lui vaudra de se faire tuer d’une horrible façon: poignardée à la poitrine par Jack, elle se fait crever les yeux à l’aide d’aiguilles à tricoter avant de s’effondrer sur le matériel chimique, provoquant un incendie qui va la brûler vive. Et alors que Jenny prend la fuite, échappant de peu à l’explosion du manoir, le couple assassin va accepter sa destinée et rester ensemble dans la mort. Des années plus tard, la survivante est toujours traumatisée par cette évènement, se sentant coupable de la mort de son amie.
Mischief Night approche de nouveau et c’est alors que des évènements étranges vont venir la perturber encore plus. Elle refait des cauchemars de cette nuit là, croit apercevoir une poupée à l’effigie de Jill à travers la fenêtre de sa classe et entend une voix mystérieuse provenir d’un souvenir d’Alex, comme si son esprit cherchait à la contacter. De quoi lui provoquer quelques crises de panique et passer pour une folle auprès de tous. Seul son petit ami et sa copine Luisa lui offre un peu de soutien, mais en cette ultime soirée avant la nuit des farces, Jack et Jill sont bien revenu d’entre-les-morts. Jennifer va le réaliser lorsqu’elle sera témoin du meurtre de sa nouvelle amie, massacrée avec son compagnon alors qu’ils étaient parti s’envoyer en l’air.
Le récit se termine sur la résurrection du duo, bien décidé à finir ce qu’ils avaient commencé six ans auparavant, et la fuite de l’héroïne qui devient du coup le suspect numéro un pour la police. La suite ? Elle devait en toute logique se dérouler le lendemain, jusqu’à la fameuse nuit des farces où les antagonistes auraient massacré la quasi totalité des membres de Cedar Avenue. Brian Pulido avait notamment prévu de nous révéler en détails leur passé et la raison de leur basculement, tout en suivant Jen alors que les autorités pensent qu’elle est coupable de ces nouveaux crimes. Étant donné la façon dont le scénariste a l’habitude de faire triompher ses vilains, que ce soit dans Evil Ernie ou ces histoires pour Freddy, Jason et Leatherface, il y a fort a parier que tout ceci devait se terminer dans un bain de sang, montrant Jack et Jill triompher et Jen survivre pour d’éventuelles suites, comme à la bonne vieille époque de Chaos! Comics.
Difficile de dire pourquoi exactement la série a été annulée – tout comme Bad Moon Rising au même moment – mais il faut préciser qu’au même moment Avatar Press a également perdu les droits de ces licencest, annulant un projet lié à 2001 Maniacs et toutes futures publications sur Les Griffes de la Nuit, Massacre à la Tronçonneuse, La Nuit des Morts-Vivants et Vendredi 13. Du coup le résultat des ventes n’est sans doute pas à mettre en cause.
C’est dommage car, outre la conclusion plutôt prévisible à toute cette histoire, Mischief Night fait montre d’un sacré potentiel. Non pas dans l’horreur elle-même, finalement équivalente aux autres titres de la compagnie (les femmes se dénudent et le sang gicle), mais dans l’écriture et la présentation des personnages. Ce que l’on retient le plus de la BD en dehors de ses innombrables hommages au cinéma (des costumes de Freddy et Jason sont visible pendant Halloween, quelqu’un regarde Night of the Living Dead à la télé et on trouve des posters trafiqués de Destination Finale, Hannibal, Vendredi 13 et Phantasm), c’est la relation solide entre Alexis et Jennifer.
Il y a une différence d’âge flagrante entre les deux et elles ressemblent plus à des sœurs qu’à des amies, l’une se montrant ouvertement protectrice envers l’autre. Cela permet au scénariste de vraiment créer un lien solide entre les deux et de montrer la détresse de l’héroïne. Dans une jolie scène, Alex lui offre son précieux porte-bonheur avant d’entrer dans le manoir, afin de la rassurer. L’objet devait sans aucun doute avoir de l’importance plus tard et permettre de ramener la jeune femme d’une façon ou d’une autre dans l’intrigue. Et si le gore est efficace, sa mort fonctionne avant tout parce qu’elle se montre héroïque jusqu’au bout: même transformée en torche humaine, elle supplie Jennifer de s’enfuir. Voilà qui change des habituelles scream queens servant de chair à canon.
En revanche il n’y a pas vraiment matière à s’intéresser à Jack et Jill. Il y a clairement une façade tragique à leur existence, mais rien ne nous est encore révélé et seul l’instant où ils décident de s’enlacer plutôt que de fuir les flammes, mourant ensemble, témoigne de leur personnalité. Car sinon ils évoquent surtout les psychopathes qui accompagnent Leatherface, sadiques et arrogants. Jack n’est qu’un cliché du Goth en mascara et noir à lèvre, visuellement peu intéressant, et Jill est une lolita ultra sexy qui certes va rappeler le bon vieux temps des Bad Girls, mais évoque surtout une Harley Quinn un peu plus hardcore. Peut-être que le problème tient de leur présentation un peu trop réaliste avec cette idée du massacre de l’école, très proche de la triste réalité de notre monde. Pas vraiment le bon choix pour provoquer la sympathie ou la terreur pure.
Encore plus quand leur créateur tente vraiment de les présenter comme les descendant des meurtriers « funs » des années 80 : Jennifer découvre la poupée de Jill dans une scène semblable au cauchemar de Nancy dans Les Griffes de la Nuit, le célèbre slogan de La Dernière Maison sur la Gauche est ici détourné (“Now keep repeating — it’s only a nightmare ! It’s only a nightmare.”), et le couple utilise tout un arsenal pour commettre leurs méfaits: battes cloutées, faucilles, pièges à loup, ciseaux… Où diable rangent-ils donc tout ça ?!
Finalement il est plutôt difficile de ce prononcer sur ce Mischief Night – Special. D’un côté ce n’est pas mauvais et il y a plusieurs choses très intéressantes, de l’autre cela ressemble à l’habituelle production Avatar Press avec un manque flagrant d’originalité. Le fait est que si le livre tient la route, l’histoire reste inachevée et ne permet pas d’avoir une bonne vision de ce que voulait créer Brian Pulido. Reste qu’il s’agit d’une curiosité intéressante pour quiconque aime les slashers ou les Bad Girls et que les illustrations de Juan Jose Ryp sont toujours aussi impressionnantes avec ces perspectives forcées et ses innombrables détails (remercions Andrew Dalhouse pour les couleurs qui rendent tout ça bien plus lisible).
Attention toutefois si vous êtes intéressé: ce comic-book est disponible en une multitude de couvertures alternatives, mode très 90s qu’Avatar Press a eu la mauvaise habitude de relancer. Onze variantes pour un unique bouquin, c’est beaucoup trop et ça tient même de la caricature. L’une d’entre-elle est même sacrément trompeuse puisque ramenant Lady Death, ici ligotée et à la merci de Jill, comme s’il s’agissait d’un crossover ! Certes l’image vaut le coup d’œil mais on fini vraiment par s’y perdre à la longue…
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