Men’s Adventures #25
The Shark !
(1954)
Avant de devenir Marvel Comics, la future Maison des Idées s’appelait Atlas Comics et ne basait pas toutes ses publications sur les super-héros. Compagnie de bandes-dessinées avant tout, elle tapait dans tous les genres populaires à l’époque: guerre, romance, western et bien sûr l’horreur, particulièrement à la mode dans les années 50 grâce au succès sans précédent des revues EC Comics. The Shark ! est l’une des innombrables histoires copiant la formule miracle de Bill Gaines et Al Feldstein et elle fut publiée dans les pages de Men’s Adventures. Un magazine qui tirait son nom du terme men’s adventure, désignant des magazines pulp d’aventures sexy et violentes, et à la ligne directrice chaotique puisqu’elle s’intéressa d’abord aux récits de guerre avant de se spécialiser dans les contes d’épouvantes puis de justiciers costumés. En Janvier 1954 c’est évidemment l’horreur qui règne en maitre même s’il convient de préciser que nous ne sommes ici pas tout à fait sur le territoire de la sharksploitation comme on l’entend désormais.
Car si le concept du requin mangeur d’homme existe depuis la nuit des temps, il n’a pas été consolidé comme sujet de narration dans l’inconscient collectif moderne avant la sortie des Dents de la Mer. D’ailleurs comme beaucoup d’oeuvres de ce type antérieures au film de Spielberg, la créature n’est pas nécessairement l’antagoniste ou le sujet principal de l’intrigue mais souvent un simple obstacle menaçant pour les personnages. Ici le squale est pratiquement un MacGuffin, celui qui va plonger le héros au cœur d’un petit mystère vite résolu puisque l’affaire ne dure que quelques pages: ancien plongeur pour la Navy, “Harpoon” McKay est devenu chasseur de requin sur l’île de Ceylan, que l’on nomme désormais le Sri Lanka. Un gagne-pain mais aussi une passion, puisqu’il rêve de se mesurer au légendaire Devil Shark qui hante un lagon du coin depuis plus d’une dizaine d’années, dévorant quiconque tente de le tuer. S’il économise pour s’offrir l’équipement nécessaire à sa destruction, une opportunité se présente à lui grâce à la belle Laura.
Une femme qui l’engage pour faire le boulot, lui offrant le matériel et une prime de 10.000 dollars malgré une condition assez étrange: l’opération doit se dérouler de nuit. Peu à l’aise mais ne pouvant refuser une telle occasion, Harpoon accepte et va se retrouver face à un grand requin-mateau de neuf mètres de long. Malheureusement son fusil harpon s’enraye au pire moment, le laissant vulnérable à une attaque, et il ne devra la vie qu’à une étrange circonstance: le corps de Laura tombe à l’eau, probablement blessée ou tuée, et son sang attire la bête qui va la dévorer. Profitant de cette diversion, le chasseur regagne la rive et va tomber nez-à-nez avec deux gangsters qui vont tenter de le tuer… Shark ! dévoile ainsi sa véritable nature d’histoire criminelle, preuve s’il en est que Les Dents de la Mer innnova sincèrement en proposant l’idée d’un monstre marin se comportant comme un tueur de slasher. Au moins ici le Devil Shark n’est pas abandonné après cet incident, bien au contraire.
Car c’est en retournant le combattre que le protagoniste va éclaircir les choses, et si en dire plus reviendrait à raconter la conclusion, disons que la vérité derrière cette affaire évoque beaucoup L’Invasion des Piranhas d’Antonio Margheriti. Un peu de Moby Dick aussi dans ce duel entre l’homme et l’animal, puisque les deux adversaires manquent de s’entretuer tel Achab et sa baleine, Harpoon perdant justement une jambe dans l’affrontement. L’occasion d’un gag final très EC Comics dans l’âme, le bonhomme acceptant sa mutilation sans réticence et déclarant qu’il aurait de toute façon donné un bras et une jambe pour pêcher le Devil Shark et qu’il se retrouve avec un bon deal. Amusant, même si rien dans cette aventure n’atteint le niveau de qualité atteint par EC Comics à la même époque, ni au département horreur, ni dans celui du suspense et du thriller comme présenté dans les titres moins connus de l’éditeur (Crime SuspenStories et Shock SuspenStories).
Il convient de signaler que l’on ignore tout du scénariste, totalement anonyme comme l’était nombre d’auteur d’Atlas. Tout au plus peut-on identifier l’illustrateur, Joe Sinnott, qui signa ses planches. Il est possible que celui-ci se soit occupé du projet dans son intégralité, mais d’après ses propres dires à propos du fonctionnement de l’entreprise à cette époque, il s’est sans doute contenté d’attraper un script au hasard dans la pile disponible sans même savoir à quoi il aurait affaire avant de commencer à travailler dessus, la chose n’étant peut-être même pas signé de toute manière, le laissant lui-même dans l’ignorance. Sans surprise cette absence de crédits se répéta durant les années 70 lorsque Marvel réédita quelques uns de ses vieux travaux dans de nouvelles anthologies. C’est en 1976 que The Shark ! refit surface, forcément pour profiter du succès des Dents de la Mer et entrant enfin pour de bon dans la sharksploitation moderne.
Une nouvelle version qui s’offre la couverture du magazine et un slogan accrocheur. Si l’écrivain n’est toujours pas présenté, l’artiste de l’affiche n’est pas non plus révélé, pas plus que la personne en charge d’apporter quelques modifications aux dessins originaux. Car oui, autre temps, autres mœurs, et outre une recoloration inutile mais inoffensive (le protagoniste blond devient châtain, des cases stylisées en bicolore sont pleinement coloriées) apparaît une certaine censure pour mieux se conformer au redoutable Comic Code Authority, qui fut mis en place peu après la publication originale dans Men’s Adventures. Cette fois on ne trouve pas de sang lorsque les squales sont frappés par des harpons et une ombre vient cacher la jambe coupée du héros. Cette version fut publiée sous le titre très similaire de The Shark, sans le point d’exclamation qui l’accompagnait, dans les pages de Weird Wonder Tales #16. Un titre à ne pas confondre avec le Weird Mystery Tales qui sortait à peu près à la même époque chez le concurrent DC.
Deux ans plus tard, à l’occasion de la sortie des Dents de la Mer, 2ème Partie, Marvel remis le couvert en publiant cette fois directement une adaptation officielle du film.
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